| DÉCHARGER, verbe trans. Enlever quelque chose ou quelqu'un de. A.− Ôter (ce que l'on a transporté) de. 1. [Le compl. d'obj. désigne l'être (humain ou animal) ou la chose (véhicule, navire, etc.) qui a effectué le transport] Décharger un mulet; décharger un camion, un navire. Une grue, là-bas, en train de décharger un chaland (Zola,
Œuvre,1886, p. 107).Il y eut ainsi un groupe de vingt sous-officiers (...) pour décharger des wagons de charbon (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 280). ♦ Emploi abs. La charrette au bout d'une heure apparut à la barrière et il fallut décharger sous la pluie (Maupass., Vie,1883, p. 238). ♦ Emploi pronom. Loubet, pour se décharger les bras, avait jeté la viande sur les épaules de Lapoulle (Zola, Débâcle,1892, p. 452). − [Avec un compl. second. désignant ce que l'on a transporté] Décharger un camion de ses marchandises. J'étais comme un homme qu'on vient de décharger d'un immense fardeau (Lamart., Raphaël,1849, p. 158). 2. [Le compl. d'obj. désigne la chose ou la pers. que l'on a transportée] Amener, déposer la chose ou la personne qui a été transportée sur/dans. Décharger du matériel; les grues déchargent des pierres. Décharger sur/ dans. Je déchargeais sur mes plantations les cargaisons de noirs que j'avais été écumer sur la mer (Claudel, Soulier,1929, 2epart., 2, p. 1046).Ceux qui déchargent des poutres dans les chantiers (Pourrat, Gaspard,1930, p. 89). ♦ Emploi abs. : 1. ... nous détalions pour aller les voir décharger. Nous nous enchantions de ces cascades de cailloux bleus et gris déversés des arrière-trains.
Pesquidoux, Le Livre de raison,1928, p. 114. ♦ Emploi pronom. Se décharger de son sac. − P. méton. [Le suj. désigne un navire] Débarquer les marchandises qui ont été transportées. Ce navire déchargeait son faix sur le port (Gide, Voy. Urien,1893, p. 16). B.− [L'accent est mis sur le poids qui a été enlevé] 1. [Le compl. d'obj. désigne une chose ou une pers.] Débarrasser d'un poids qui surcharge. Décharger un plancher vermoulu. − [Avec un compl. second. introd. par de] Décharger un arbre de ses branches, de ses fruits : 2. ... le moine architecte (...) plaça au-dessus de chaque entre-colonnement un arc en briques, très-surbaissé, pour décharger l'architrave des constructions supérieures, et par ce moyen éviter sa rupture.
A. Lenoir, Archit. monastique,1852, pp. 123-124. ♦ Fam. Décharger le plancher. Quitter une pièce. Rem. Attesté ds Ac. 1835, 1878. − Au fig. : 3. Le parfait entreteneur, créé et mis au monde pour prévoir vos désirs (...) vous décharger de tout souci, de tout ce qui est ennuyeux à faire...
Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 317. − Loc. Décharger son estomac, son ventre Le soulager par quelque évacuation (Ac.). Son estomac s'est déchargé (Ac.). Cette drogue décharge le cerveau, (Ac.) elle soulage le cerveau des humeurs qui l'incommodent (Ac.) : 4. Jamais nous ne l'avons vu [un compagnon] manger ou dormir, décharger sa vessie ou son ventre à la manière de la descendance d'Adam, ni transpirer, ni éructer.
Arnoux, Rhône, mon fleuve,1944, p. 271. a) Spécialement − IMPR. ,,Faire passer sur une presse typographique des feuilles de papier sacrifiées, soit pour enlever un excès d'encre, soit pour éviter un maculage dû au contact d'un premier côté imprimé`` (Éd. 1913). Décharger des balles, une forme (cf. Chelet, Lithogr.,1933, p. 114). − MAR. Décharger une voile, ,,pour indiquer un changement d'allure destiné à alléger le poids du vent sur la voile considérée`` (Le Clère1960; aussi ds Littré, DG, Guérin 1892, Rob., Quillet 1965). − TEINT., emploi intrans. Étoffe, couleur qui décharge. Qui devient terne; qui déteint : 5. Le savon, les cristaux de soude, l'alcali si souvent employés dans le nettoyage, attaquent les matières colorantes : celles-ci sont dissoutes, ou bien elles coulent ou déchargent...
L. Doresse, Les Tissus féminins,1949, p. 97. b) Loc. fig. − Décharger sa conscience. Avouer une faute; se libérer de ce qui inquiète sa conscience : 6. Le greffier encore une fois (...) le pressa [Ravaillac] de décharger sa conscience en dénonçant ceux qui l'avaient poussé...
Tharaud, La Tragédie de Ravaillac,1913, p. 254. ♦ Emploi pronom. : 7. Il me découvrait les pires indices... des dévergondages inouïs! Après tout, il se lavait les mains!... Comme Ponce Pilate!... qu'il disait... il se déchargeait la conscience...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 180. − Décharger son cœur. Confier ses soucis, ses inquiétudes. Je déchargeai mon cœur dans le sien, et lui dis que je ne voyais de vie possible pour moi que dans l'Église (Balzac, Curé vill.,1839, p. 112). − Fam. Décharger sa bile, sa rate, sa colère. Laisser libre cours à sa mauvaise humeur, à sa colère. ♦ Emploi pronom. Elle se déchargea la rate et sa diatribe concorda exactement avec le récit du marquis (Péladan, Vice supr.,1884, p. 161). 2. [Le compl. d'obj. désigne un liquide ou un contenant] Débarrasser du trop-plein. ,,Décharger un réservoir, un bassin`` (Rob.). − Emploi pronom. Se déverser, s'écouler : 8. Ils [les lacs] se dégorgent les uns dans les autres, en descendant la plupart vers la Baltique; quelques-uns se déchargent dans la mer glaciale...
Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 228. 3. P. anal., DR. Innocenter (un accusé). Décharger qqn de qqc.; décharger qqn d'une accusation. Le jugement l'a déchargé d'accusation, ordonné la radiation de l'écrou et l'impression de la sentence (Le Moniteur,t. 2, 1789, p. 445): 9. ... en dépit d'un réquisitoire étonnant qui me déchargeait en bonne logique, (...)
Verlaine,
Œuvres complètes,t. 4, Mes prisons, 1893, p. 393. 4. Au fig. [Le poids enlevé est une obligation] a) [L'obligation est un dû matériel; avec un compl. second. désignant l'objet de l'obligation] Soulager quelqu'un d'une condition ou d'une obligation onéreuse. De là il passa en Asie, et déchargea la province du tiers des impôts (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 266): 10. ... une contre-lettre qui déchargeait son oncle, Jérôme Grange, de plus de trois cent mille francs de dettes fictives.
Pourrat, Gaspard des Montagnes,La Tour du Levant, 1931, p. 12. ♦ Emploi pronom. L'effet du bénéfice d'inventaire est de donner à l'héritier l'avantage (...) de pouvoir se décharger du paiement des dettes (Code civil,1804, art. 802, p. 146). − Spéc., COMM., vx. Décharger un registre, un contrat, une minute, un compte. Y rayer les sommes payées par les créanciers. Rem. Attesté ds Guérin 1892, Littré, Lar. Lang. fr. b) [L'obligation est une responsabilité; avec un compl. second. désignant l'obj. de la responsabilité] Décharger qqn de (+ inf. ou subst.).Lui ôter la responsabilité, la mission ou le soin de. Décharger qqn d'un travail; décharger le préfet de faire régner l'ordre; décharger qqn de la tutelle d'un mineur. Je lui demande de me décharger des lourdes responsabilités que je ne serais plus en état d'assumer (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 399). − Emploi factitif : 11. Tout individu âgé de soixante-cinq ans accomplis, peut refuser d'être tuteur. Celui qui aura été nommé avant cet âge, pourra, à soixante-dix ans, se faire décharger de la tutelle.
Code civil, 1804, art. 433, p. 80. − Se décharger de (+ inf. ou subst.)Se libérer de la responsabilité ou du soin de quelque chose ou de faire quelque chose. Les domestiques se déchargeaient sur elle de mille petites besognes (Radiguet, Bal,1923, p. 22). C.− [L'accent est mis sur la masse enlevée] Enlever quelque chose d'un dispositif; lui ôter ce qui est nécessaire. Décharger une batterie d'accumulateurs, un condensateur; décharger un fusil, un pistolet, un canon. Il se le rappelait (...) lui laissant décharger son fusil quand il revenait de la chasse (Mérimée, Colomba,1840, p. 72).Le tout pourrait presque se comparer à un court-circuit déchargeant brutalement une batterie d'accus (Vuillemin, Éduc. phys.,1941, p. 143). − P. ext. Décharger son révolver, son fusil contre (sur, dans) qqn ou qqc. En vider complètement le chargeur. Il sortit un révolver et le déchargea entièrement sur le général (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 17).Bock, ivre de colère (...) déchargeait son révolver dans les meules de paille (Ambrière, G. vac.,1946, p. 347). − P. anal., fam. Assener. Décharger un (des) coup(s) de couteau, de bâton sur qqn. Le paladin lui déchargeait sur la tête un bon coup de sabre qui le fendait de haut en bas (Sartre, Mots,1964, p. 59). Prononc. et Orth. : [deʃaʀ
ʒe], (je) décharge [deʃaʀ
ʒ]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Fin xies. « ôter le chargement » (Raschi Darm. p. 26 Ex. 32, 3); début xiiies. « décharger (une marchandise) » (Dolopathos, 188 ds T.-L.); 2. 1130-60 « débarrasser (une bête de somme) de sa charge » (Couronnement Louis, éd. E. Langlois, 2149); 3. début xiiies. « abaisser (une arme pour assener un coup) » (Gaidon, 214 ds T.-L.). B. Fig. 1. Ca 1220 « libérer quelqu'un d'une tâche, d'une obligation, d'une responsabilité » (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 9947); 2. a) ca 1283 « déclarer innocent » (Ph. de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 240); b) 1491 « témoigner en faveur de quelqu'un » (Ph. de Commynes, Mémoires, 1. 1, chap. 1, éd. J. Calmette, t. 1, p. 7); 3. a) 1287 « libérer d'une dette » (Cartulaire de Cambron, 477 ds Gdf. Compl.); b) 1680 comm. « établir une quittance » (Rich.); 4. a) dernier quart du xives. décharger sa conscience (Froissart, Chroniques, 11, 302 ds IGLF); b) 1508 décharger son cœur (E. d'Amerval, Diablerie, p. 886, ibid.); c) 1538 décharger sa rate, sa bile, sa colère (Est.). C. 1611 « ôter une charge superflue » (Cotgr.). D. Technol. 1. a) 1477 décharger une arme « tirer » (J. de Roye, Chron. scandaleuse, II, 38 ds IGLF); b) 1680 « ôter la charge d'une arme à feu » (Rich.); 2. 1559 pronom. « se déverser (d'un liquide ou d'un cours d'eau) » (Amyot, Vies Solon, 54 ds Littré); 3. a) 1611 couleur deschargée en bleu « bleu clair » (Cotgr.); b) 1680 étoffe qui se décharge « qui déteint » (Rich.); c) 1794 typogr. décharger une forme, un tympan; encre qui décharge (Momoro, Traité impr., p. 138); 4. 1694 mar. décharger les voiles (Corneille); 5. 1808 électr. (Cabanis, Rapp. phys. mor., t. 2, p. 355). Dér. de charger*, préf. dé-*; b. lat. discaregare (discarricare) au vies., Loi salique 27, 11 ds TLL s.v. 1275, 12. Fréq. abs. littér. : 550. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 572, b) 705; xxes. : a) 988, b) 871. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 159, 218. |