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DÉBORDER, verbe.
I.− Emploi intrans.
A.− [Le suj. désigne un contenant]
1. [Gén. un cours d'eau] Dépasser brusquement les bords de son lit et répandre ses eaux. La rivière a (est) débordé(e) (d'apr. Ac.1798-1932).Le fleuve, le ruisseau, le torrent déborde. Le fleuve enflé par eux, s'élève à gros bouillons, Et déborde dans les campagnes (Florian, Fables,1792, p. 37):
1. Ils [les nuages] crèvent en torrents d'eau, tout déborde, la crue monte de minute en minute, au milieu du mugissement du vent, des grondements du tonnerre et du fracas aussi des arbres prodigieux qui s'écroulent. Pesquidoux, Le Livre de raison,1932, p. 104.
P. métaph. et au fig. La révolte au contraire [du ressentiment] fracture l'être et l'aide à déborder. Elle libère des flots qui, de stagnants, deviennent furieux (Camus, Homme rév.,1951, p. 30):
2. ... de sa voix sirupeuse. Durosier fait une conférence. Il est en verve; il déborde; et les mots coulent sur sa barbe, coulent, coulent... Genevoix, La Boue,1921, p. 101.
Le cœur déborde, il s'épanche. Son cœur débordait, pareil à une coupe pleine, et il était heureux (Estaunié, Ascension M. Baslèvre,1919, p. 201).
2. P. ext. [Le suj. désigne un contenant quelconque] La baignoire, la casserole déborde. Comme on voit sur un brasier le vase d'airain fumer d'abord, frissonner, bouillonner et déborder ensuite (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 14).
Proverbial et fig. Une goutte d'eau suffit pour faire déborder un vase plein; c'est la goutte (d'eau) qui fait déborder le vase. Un dernier fait ajouté à une longue série finit par lasser la patience. Une goutte fait déborder le vase et un ennui de détail peut faire éclater la colère que mille autres choses ont préparée, et accumulée (Amiel, Journal,1866, p. 510).
3. Au fig.
a) [Le suj. désigne une chose] Avoir en surabondance quelque chose. Les journaux débordaient de détails (Zola, Bonh. dames,1883, p. 764).Jardins qui débordent de vernis du Japon, de tilleuls et d'yeuses (Giono, Voy. Italie,1953, p. 70):
3. Je n'en veux pour preuve que cet orgueil païen, dont ce poème [Booz endormi] est plein, dont ce poème déborde, dont ce poème regorge, cette aisance, cette plénitude charnelle, ce jeu, cette sorte d'amusement, ce défi constant dans l'expression même. Jamais un fleuve ne s'était autant amusé. Péguy, Victor-Marie, comte Hugo,1910, p. 754.
b) [Le suj. désigne une pers., l'obj. indir. un état, un sentiment qui se manifeste dans le comportement] Déborder de joie, d'enthousiasme. Elle débordait d'une telle félicité, que, cédant à son besoin d'expansion, elle se tourna vers Jacques, vers cet inconnu, pour lui sourire (Zola, Bête hum.,1890, p. 184):
4. ... il lui fallait [à Henry] à toute force un ami, un confident, son cœur débordait de larmes contenues. Oh! qu'un mot de pitié l'eût rendu heureux, qu'une caresse l'eût délecté! ... Flaubert, La 1reÉducation sentimentale,1845, p. 95.
SYNT. Déborder d'allégresse, d'amertume, d'amitié, d'amour, de fureur, de gratitude, de haine, de tendresse; déborder de jeunesse, de vie.
Vieilli. Déborder en.[Indiquant la manière dont s'exprime le sentiment, l'état] Déborder en injures, en imprécations (Ac.1932) :
5. ... je n'étais plus un homme, j'étais un hymne vivant, criant, chantant, priant, invoquant, remerciant, adorant, débordant en effusions sans paroles; ... Lamartine, Raphaël,1849, p. 162.
[P. ell. du compl. prép.] Se mettre en colère. Faire déborder qqn. Le voyant là debout, devant lui avec sa mine solennelle, insolemment impassible et froide, il [Napoléon devant Talleyrand] ne pouvait se contenir, il débordait. (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 12, 1863-69, p. 63).
B.− P. méton.
1. [Le suj. désigne le contenu liquide] Dépasser les bords de son contenant et se répandre. L'eau, le lait déborde. Oubliez le champagne au milieu des glaçons : laissez bouillonner sa mousse; laissez-la déborder et couler à longs flots sur le cou brun des bouteilles (Sue, Atar Gull,1831, p. 18).
P. métaph. et au fig. La joie, la gaîté, la vie déborde. Ma passion déborda par des mots flamboyants (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 167).Ma jeunesse, longtemps contenue, déborda; mes sens déchaînés se prodiguèrent (Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 176).
MÉD. S'écouler brusquement avec intensité. Les larmes débordent; la bile déborde.
2. P. anal. [Le suj. désigne des pers. qui font irruption ou se répandent à la manière d'un fleuve en crue] Les ennemis recevaient des renforts, débordaient de partout (Zola, Débâcle,1892, p. 297):
6. Le 9 mai, lendemain de la victoire, je me rendis à Notre-Dame pour le Te Deum solennel. Le cardinal Suhard m'accueillit sous le portail. Tout ce qu'il y avait d'officiel était là. Une multitude emplissait l'édifice et débordait aux alentours. De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 252.
II.− Emploi trans.
A.− Franchir, dépasser le bord de quelque chose.
1. Vieilli. [En parlant d'un cours d'eau] Que la Seine s'acharne Et déborde ses quais (Ponchon, Muse cabaret,1920, p. 39).
Emploi pronom. Le fleuve s'était débordé la nuit précédente (Staël, Corinne,t. 3, 1807, p. 372).
2. Dépasser le(s) bord(s) d'une autre chose, des objets environnants. Cette pierre déborde l'autre de trois centimètres (Ac.1932).Sa lèvre inférieure débordait un peu l'autre, à peu près comme dans son sommeil (Michelet, Mémor.,1820-22, p. 216):
7. Tous les jeudis soir on me menait chez ma tante. C'était là, dans cette petite rue, une vieille maison obèse qui débordait l'alignement de tout son ventre soutaché de balcons de fer. Giono, L'Eau vive,1943, p. 42.
Absol. Cette frange déborde; la doublure de cet habit déborde (Ac.1835, 1878).La dentelle qui déborde (Mallarmé, Dern. mode,1874, p. 813).
Au fig. Dépasser ce qui avait été prévu, délimité. Déborder les frontières, les limites, le plan, le sujet. Ce livre débordera (...) deux volumes (Hugo, Corresp.,1859, p. 288).Déborder les cadres du contrat (cf. Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 192).Les attributs du Dieu chrétien déborderont en tous sens ceux du dieu d'Aristote (Gilson, Esprit philos. médiév.,t. 1, 1931, p. 54).Intransitivement. Déborder du sujet, de son rôle :
8. ... ils [les Français] comprennent que vous ne voulez pas laisser la civilisation germanique déborder ses limites, briser d'anciennes digues et couvrir les territoires gallo-romains où elle ruinerait les plus précieuses cultures. Barrès, Mes cahiers,t. 9, 1911-12, p. 168.
3. ART MILIT. Étendre son front de manière à dépasser les bords, c'est-à-dire les ailes, de l'armée ennemie pour l'attaquer sur les flancs et l'arrière, l'encercler. Être débordé par la droite, par la gauche. L'avant-garde de notre flotte débordait celle des ennemis (Ac.1798-1932).Ils se développèrent sur une grande ligne droite, qui débordait les ailes de l'armée punique, afin de l'envelopper complètement (Flaub., Salammbô,t. 1, 1863, p. 166).
P. anal., SP. Obtenir l'avantage par une manœuvre de contournement, faire un débordement*. Déborder un adversaire. Absol. Bossis, monté à l'attaque, transmet la balle à Émon qui déborde et centre sur Pintenat (Onze, Compte rendu du match France-Tchécoslovaquie, no4, 27 mars 1976).
4. Au fig. [Le suj. désigne tout ce qui, à l'image du fleuve ou de l'ennemi, submerge, dépasse] La politique (...) nous déborde, elle nous ennuie, on la trouve partout (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 286).
Surtout au passif. Être dépassé (par les événements) au point d'être incapable de redresser la situation. Les chefs de l'émeute auraient voulu s'arrêter, mais ils furent débordés (Ac.1932) :
9. Nous avons tous l'impression d'être débordés, d'être dépossédés, d'être désarmés, d'être joués... sans savoir comment ni par qui... Chacun fait ce qu'il a dit qu'il ne ferait pas; ... Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 476.
B.− Éloigner, retirer du bord.
1. Déborder les draps, la couverture. En retirer les bords qui sont glissés sous le matelas. Déborder les draps et rejeter les couvertures (cf. Gide, Caves Vatican,1914, p. 702).
P. ext. Déborder un lit, un malade (cf. Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1281).
Emploi pronom. Cet enfant se déborde toujours (Littré). Chaque élève s'est glissé dans ses draps, comme dans un étui en se faisant tout petit, afin de ne pas se déborder (Renard, Poil Carotte,1894, p. 129).
2. MARINE
a) Déborder les avirons. Les retirer du bord et les rentrer à l'intérieur.
b) Déborder une embarcation, une chaloupe. La détacher du bord ou l'éloigner du bord du quai ou du navire et la pousser au large.
Absol. [Le suj. désigne l'embarcation, les pers. qui s'y trouvent] :
10. Au nom de l'équipage, il présenta à son honneur ses vœux pour le succès de l'expédition. Le canot déborda, et un tonnerre de hurrahs éclata dans les airs. En dix minutes, l'embarcation atteignit le rivage. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 2, 1868, p. 90.
À l'impér. Déborde, débordez. Ordre à la chaloupe de quitter le navire et d'aller au large (cf. amener ex. 19). Dès que l'embarcation touchera l'eau, aux avirons, débordez (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 235).
c) Emploi pronom. Se détacher du bord d'un vaisseau qu'on avait abordé. Anton. aborder.Nous fîmes tous nos efforts pour nous déborder (Ac.1835-1932).Absol. Après l'abordage, il ne peut déborder (Ac.1798-1932).
Rem. S'emploie dans le même sens pour les bois de flottage. Déborder les bois. Les écarter du bord. Les bois débordent, s'écartent du bord (cf. Nouv. Lar. ill.-Lar. Lang. fr.).
C.− Dégarnir quelque chose d'un bord, d'une bordure. Déborder une robe, un tapis.
1. MAR. Déborder un navire. Le dégarnir de ses bordages. Déborder une voile. En larguer les écoutes (qui tendent le bord inférieur de la voile). Anton. border une voile.
2. PEAUSS. Déborder des peaux. Étendre les bords d'une peau destinée à faire des gants. Racler les bords d'une peau en enlevant de l'épaisseur.
Rem. Qq. dict. mentionnent encore débordoir, subst. masc. (Peauss.). Outil tranchant servant à cet usage (cf. Ac. Compl. 1842, Lar. 19e-Lar. encyclop., Littré, DG).
3. TECHNOL. Déborder des tables de plomb. Rogner les bavures des bords d'une table de plomb.
Prononc. et Orth. : [debɔ ʀde], (je) déborde [debɔ ʀd]. Ds Ac. 1694 et 1718, s.v. desborder; ds Ac. 1740-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. A. xiiies. escur desborder « dont le bord a été arraché » (Benoit de Ste-Maure, Le Roman de Troie, éd. L. Constans, 17165, var. mas. K pour desbocler); 1680 « ôter la bordure » (Rich.); 1863 déborder un lit (Littré). B. 1. xiiies. « se répandre par dessus les bords » [en parlant d'une rivière] (Arch. Nord B 1714, fol. 9 vods IGLF); 2. 1636 trans. déborder un mur « dépasser par les bords » (Monet); 1763 au fig. « dépasser » le sujet débordait l'ouvrage (Le Mierre, La Peinture, Avent I ds Gohin, p. 343); 3. 1491 desbordé « dissolu » (Ph. de Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, t. I, p. 209); 1541 se déborder en intempérance « se livrer sans frein à ses passions » (Calvin, Instit., II, p. 42 ds Hug.). A dér. de border*; préf. dé-*. B dér. de bord*; préf. dé-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 1 394. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 285, b) 1 825; xxes. : a) 2 495, b) 2 352. Bbg. Gohin 1903, p. 343. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 235.