| DURER, verbe intrans. I.− [En parlant de choses] A.− [Le verbe exprime la durée effective du déroulement d'un procès] 1. [Le suj. désigne une action, un état, un phénomène, un sentiment] Continuer d'avoir lieu, de se produire, d'exister avec stabilité et constance pendant un temps déterminé. Anton. commencer, finir. a) [Le compl. qui détermine la durée donne une indication précise, chiffrée, exprimée en unités de temps ou en fraction] Avoir une durée de (x temps) : 1. − Oh! (...) il est impossible que la signature d'un contrat dure aussi longtemps, à moins d'événements imprévus; j'ai pesé toutes les chances, calculé le temps que durent toutes les formalités, il s'est passé quelque chose.
Dumas père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 188. − [Le suj. désigne une action] Des repas qui durent trois heures (Gide, Corresp.[avec Valéry], 1891, p. 142).Oui, j'ai tué l'araignée. (...) L'opération dure un vingtième de seconde (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 175). ♦ [En parlant d'une durée légale] L'indemnité des députés est mensuelle, et les sessions [des Chambres] ne doivent durer que huit mois (About, Grèce,1854, p. 332). Rem. On rencontre ds la docum. une constr. pop. Trois semaines que ça avait duré son agonie (Céline, Voyage, 1932, p. 433). − [Le suj. désigne une situation] Même dans le cas peu probable où votre ministère finirait... − Les ministères durent bien au moins trois ans (Stendhal, L. Leuwen,t. 3, 1835, p. 343): 2. ... il y a, (...) la maison des Sablonnières, où mon ami Meaulnes est rentré avec Yvonne de Galais, qui est sa femme depuis midi. Les fiançailles ont duré cinq mois. Elles ont été paisibles, aussi paisibles que la première entrevue avait été mouvementée.
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes,1913, p. 277. 3. Mais toutes ces pensées ne durèrent que l'espace d'une seconde, le temps qu'il portât la main à son cœur, reprît sa respiration et parvînt à sourire pour dissimuler sa torture.
Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 364. − [Le suj. désigne un phénomène naturel, une manifestation] J'ai eu un rhume de cerveau qui m'a duré trois jours et un tremblement de terre qui a duré cinq secondes (Flaub., Corresp.,1850, p. 108).La tempête avait duré près de vingt heures (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 365). Rem. Quand la personne est affectée par un état physique ou psychologique, on rencontre la constr. durer x temps à qqn. J'ai eu un vomissement qui m'a duré douze heures. Le courrier de ce matin m'a remise (Staël, Lettres div., 1794, p. 608). Une maladie de nerfs qui m'a duré deux ans, et dont je ne suis pas encore peut-être tout à fait quitte! (Flaub., Corresp., 1846, p. 309). b) [Une indication non chiffrée] − [exprimée en division du temps] Durer un instant, quelques secondes, plusieurs jours, des heures, des mois et des mois, etc. La récréation ne dure que quelques minutes (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1220).La scène avait duré quelques secondes et il ne resta plus aux malheureux encaisseurs qu'à prévenir la police (Figaro,19-20 janv. 1952, p. 2, col. 8): 4. Le 3 a été affreux, la pluie a été constante; impossible de sortir. Le mauvais temps a duré plusieurs jours de la sorte; jamais je n'aurais soupçonné que nous puissions être aussi longtemps sans la possibilité de nous hasarder dehors.
Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 367. ♦ [durée très courte] Ne durer qu'un instant, qu'une seconde, que l'espace d'une seconde. − [Exprimée par le vocab. du temps] Durer quelque temps, un certain temps, espace, laps de temps, un temps infini. Votre lune de miel a duré un temps assez honnête (Balzac, Physiol. mar.,1826, p. 119).La réunion dure le temps qu'il faut, elle prend fin par exemple après une heure (Baudhuin, Crédit et banque,1945, p. 143). ♦ Loc. verbale. Ne durer qu'un moment. Avoir une durée d'existence ou de réalisation éphémère. Plaisir d'amour ne dure qu'un moment (Florian).Synon. passer vite.Avec l'aspect éternel de la nature, la précieuse image de ce qui ne dure qu'un moment (Colette, Pays. et portr.,1954, p. 113): 5. L'histoire géologique nous montre que la vie n'est qu'un court épisode entre deux éternités de mort, et que, dans cet épisode même, la pensée consciente n'a duré et ne durera qu'un moment. La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une longue nuit. Mais c'est cet éclair qui est tout.
Poincaré, La Valeur de la sc.,1905, p. 276. − [Exprimée par une périphrase expr., p. métaph. ou p. compar.] Durer le temps d'un éclair, d'un clin d'œil, d'une respiration; durer une éternité. ♦ P. compar. (Ne) durer (pas) plus que... L'impression d'un mot vrai ne dure pas plus que le temps de le dire : c'est l'affaire d'un moment (Vigny, Chatterton,1835, I, 2, p. 253).Et les belles illusions ont duré ce que dure un songe (Aragon, Rom. inach.,1956, p. 198): 6. On a dans la tête toutes sortes de floraisons printanières qui ne durent pas plus que les lilas, qu'une nuit flétrit, mais qui sentent si bon! As-tu senti quelquefois comme un grand soleil qui venait du fond de toi-même et t'éblouissait?
Flaubert, Correspondance,1853, p. 205. − [Exprimée par un adv. appréciatif de temps] Durer assez, encore, longtemps, peu, éternellement, toujours, trop; ne ... guère. Quand la sécheresse a duré longtemps, il y a des orages terribles et la pluie tombe par torrents (Delécluze, Journal,1825, p. 157).Le beau temps ne peut pas toujours durer. Il arrive un jour où il se brouille (Freud, Introd. psychanal.,1959, p. 471): 7. Je peux comprendre l'abstraction Dieu et contempler un instant l'idée de la perfection à travers une espèce de voile, mais cela ne dure pas assez pour me charmer. Je sens le besoin d'aimer, et que le diable m'emporte si je peux aimer une abstraction!
Sand, Hist. de ma vie,t. 4, 1855, p. 223. ♦ Loc. d'usage (souvent sur un ton d'impatience ou de colère, pour faire cesser quelque chose qui exaspère). Ça va durer longtemps? Le Président. − Ça va durer longtemps ce défilé de cochons? Je vous ai déjà dit de vous taire (Courteline, Client sér.,1897, 3, p. 44).Cela a assez duré (la plaisanterie, le petit jeu); cela n'a que trop duré. Il est temps que cela cesse. M. Thibault reprend sur un ton sans réplique : − (...) Emmène-le dans sa chambre. Ce scandale n'a que trop duré (Martin du G., Thib.,Cah. gr., 1922, p. 669): 8. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. (...) ce « non » (...) signifie, (...) « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ».
Camus, L'Homme révolté,1951, p. 25. c) [La durée est envisagée dans sa totalité (et sa continuité)] Synon. ne pas cesser (de).Durer de ... à, depuis ... jusqu'à. Après une bouderie qui avait duré du dimanche au mardi (Zola, Assommoir,1877, p. 418).Les doutes instinctifs ont bien duré quatre ans entiers, de 1905 à 1910 (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. XIX): 9. 31 juillet. − La pluie, qui a commencé de tomber pendant la nuit, a duré toute la journée sans interruption. Orage le soir.
Maine de Biran, Journal,1816, p. 187. − [Par la prép. pendant] Pendant tout le temps que dure, qu'a duré... Pendant tout le temps qu'avait duré la lecture, Daigremont (...) avait souri à des pensées vagues (Zola, Argent,1891, p. 178).L'apprenti reste chez le même maître pendant tout le temps que dure son apprentissage (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 70): 10. Habitué du Café de Paris, du boulevard de Gand et du bois de Boulogne, le faux Cavalcanti, pendant qu'il était resté à Paris, et pendant les deux ou trois mois qu'avait duré sa splendeur, avait fait une foule de connaissances.
Dumas père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 662. d) [La durée est envisagée sous l'aspect de la fréquence, de la réitération, de la répétition (aspect itératif)] :
11. Pour bâtir sa montagne il m'oblige à venir tous les jours, moi vieillard, remplir cette outre de sable au bord de la mer. (...) Quand j'ai fait un voyage, je recommence; et cela dure depuis l'aube jusqu'au coucher du soleil. Si je veux me reposer, (...) il me fait fouetter.
Hugo, Le Rhin,1842, p. 197. − [ou de l'habitude, en parlant d'une situation qui se prolonge (aspect fréquentatif)] J'allais aux champs avec Denise et Gratien, pendant qu'elle berçait notre petite sœur ou qu'elle faisait les gaufres de sarrasin pour le souper du dimanche. Ça dura comme ça trois ou quatre ans (Lamart., Tailleur pierre,1851, p. 453). e) [Pour exprimer une durée passée qui se prolonge dans le présent (expr. de la durée dans un processus verbal); cf. depuis] − Durer depuis + compl. circ. de durée. Elle [la constitution de l'Empire de Chine] dure depuis plus de quatre mille ans (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 285).Puis voir et revoir toutes choses, reprendre comme une possession du chez-soi avec un charme inexprimable, voilà qui dure depuis quinze jours (E. de Guérin, Lettres,1841, p. 442). − Depuis (x temps) que cela dure. Depuis trente ans que dure ma carrière philosophique et sociale, j'ai senti toujours un profond mépris pour (...) « l'opposition » (Comte, Catéch. posit.,1852, p. 2).Depuis deux heures que dure l'audience, leur garde-à-vous n'a pas fléchi! (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 137). − Depuis le temps que cela dure. La durée de la grande misère qui est, comme tu dis, incalculable, depuis l'temps qu'elle dure (Barbusse, Feu,1916, p. 361). − Voilà, il y a, cela fait (x temps) que cela dure. Il y a des mois que cela dure. Hors lui, personne ne s'y est accoutumé (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 109).Ça fait bientôt deux ans que ça dure (...) Enfin, ça finira bien par finir un jour, faut l'espérer (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 126).Et voilà sept ans que cela dure. Sept ans que je ne me rends compte de rien (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1939, p. 97). f) [En litt., temps ou espace-temps d'une énonciation parlée ou écrite] Une représentation théâtrale qui ne dure que deux heures (Delécluze, Journal,1828, p. 461).Quand elle a découvert dans le « Constitutionnel » un roman qui ne dure pas vingt-quatre volumes, elle le traduit (Goncourt, Ch. Demailly,1876, p. 81). 2. P. ext. Se prolonger dans le temps, occuper un espace de temps plus long que la norme. Synon. se poursuivre, traîner en longueur, s'éterniser, n'en pas (plus) finir.Entre les tropiques, où l'été dure toute l'année (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 80).Non, ce n'est pas un pensionnat! C'est pis, c'est une récréation qui dure éternellement (Goncourt, Journal,1888, p. 778): 12. « Oui, c'est un peu long, ces dames prennent des poses, il n'a pas l'air d'avoir envie de rien faire ». Enfin, (...) MlleNoémie s'en alla d'un air contrarié, en les assurant qu'ils n'attendraient pas plus de cinq minutes. Ces cinq minutes durèrent une heure,...
Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 1080. a) Emploi abs. [L'idée dominante est la stabilité, p. oppos. au changement] Durer longtemps sans changer, être stable et constant pendant un assez long espace de temps. Synon. tenir, persister, se maintenir, continuer.Il s'était repenti dans une grave maladie qui l'avait mis en présence de la mort, et ce repentir avait duré (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 17): 13. D'ailleurs, la Suisse est ainsi faite que, dans ses vingt-cinq États, tout en définitive est constamment transitoire; tout s'essaye jusqu'à un certain point; rien ne dure et depuis le quatorzième siècle, la révolution est en permanence, ...
Gobineau, Corresp.[avec Tocqueville], 1851, p. 166. 14. Lorsque j'ai fondé un visage il faut qu'il dure. Quand j'ai pétri un visage de terre, je le passe au four pour le durcir et qu'il soit permanent pendant une durée suffisante. Car ma vérité, pour être fertile, doit être stable, et qui aimeras-tu si tu changes d'amour tous les jours, et où seront tes grandes actions? Et la continuité seule permettra la fertilité de ton effort.
Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 812. − En partic. [En parlant du temps météorologique, de la température] Rester stable, se maintenir, persister. Anton. changer, varier, se brouiller, se gâter, s'améliorer : 15. Cependant les journées restent belles encore dans nos quartiers si bien abrités de la bise, au pied des collines. Rien n'y semble changé. Le temps y dure, et les bonnes saisons surtout, qui entretiennent au bas des falaises, tant de petits jardins...
Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 341. − [En parlant du monde, de l'univers] Continuer de recevoir l'être et la croissance. Alouette avec sa robe de bure Portant celui par qui l'univers dure (Jammes, De tout temps,1935, p. 243).Dans une heure, une minute, une seconde, maintenant peut-être, tout pouvait crouler. Et pourtant le miracle se poursuivait. Le monde durait (Camus, Env. et endr.,1937, p. 112). b) Constructions − Durer à qqn.[En parlant d'un sentiment, d'une idée] Persister en quelqu'un. Si cette dévotion [le pèlerinage d'Athènes] me dure, je pourrais bien partir au printemps (Courier, Lettres Fr. et It.,1811, p. 842). − Ne pas durer.N'avoir qu'un temps, être de courte durée, disparaître rapidement (idée d'état éphémère, précaire, instable). Ce moment d'exaltation ne dure pas : Faust est un caractère inconstant, les passions du monde le reprennent (Staël, Allemagne,t. 3, 1810, p. 81).La nouveauté ne dure guère (Chardonne, Épithal.,1921, p. 440): 16. ... il me dit qu'au début il y a eu un réel effort de rapprochement, mais pour toutes sortes de raisons, cela n'a pas duré, une des principales étant la difficulté de se faire comprendre.
Green, Journal,1945, p. 273. − Ne pas pouvoir durer.Ne pas présenter de conditions suffisantes pour durer (cf. durable). Cela ne saurait durer. L'anneau est stable au début. Mais cet état de choses ne peut pas durer (Poincaré, Hyp. cosmogon.,1911, p. 49). c) Loc. usuelles − Faire durer (qqc.). Prolonger le temps d'existence ou de réalisation de quelque chose, en augmenter la durée. Faire durer une situation, un sentiment. Cette ordure prétendait faire durer le chantage? Une nuit ne suffirait pas? (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 447).Wazemmes fit durer sa convalescence (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 181): 17. ... quand Anne-Marie lui demandait, pour faire durer la conversation, s'il aimait Bach, s'il se plaisait à la mer, à la montagne, s'il gardait bon souvenir de sa ville natale, il prenait le temps de la réflexion...
Sartre, Les Mots,1964, p. 72. ♦ [En parlant d'un souvenir] Recréer par la mémoire, raviver. Synon. entretenir, perpétuer.Pendant qu'elle se retournait dans son lit, Marie-Anne retrouvait tous ces instants et les faisait durer dans sa mémoire (Aymé, Uranus,1948, p. 143). ♦ [En parlant du temps lui-même] Faire, laisser durer le temps. Suspendre l'écoulement (du temps), en ralentissant un mouvement, etc. Je sors un morceau de bœuf pour faire durer le temps, car je savais bien qu'il ne l'aimait pas (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Dimanches Paris, 1880, p. 215).Mes tout petits eux-mêmes amenuisaient leurs becs, leurs nez travaillaient, (...) mais comment faire durer cette minute sentimentale, tout de suite envolée? (Frapié, Maternelle,1904, p. 146).Quelque chose venait de les rapprocher au milieu des affaires, de la sécheresse de l'argent. Ils laissaient durer cette minute de confiance. Le silence s'engrossait d'une sentimentalité confuse (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 271). ♦ [Avec une intention plus ou moins iron.] Faire durer le plaisir. Le prolonger, en ralentissant un mouvement, pour mieux en jouir. Coupant le fromage par petits morceaux, pour faire durer le régal (Zola, Bête hum.,1890, p. 13).La phrase est dite (...) « ritard. », pour faire durer le plaisir, avant d'exploser dans les accords finaux (Rolland, Beethoven,t. 1, 1937, p. 141): 18. ... nous sommes revenus au Caire par une autre route, marchant tout le temps sous les palmiers ou au bord du Nil et allant au petit pas pour faire durer le plaisir; aussi avons-nous mis sept heures pour une route qui en demande quatre.
Flaubert, Corresp.,1849, p. 134. − Fam. Ça durera ce que ça durera. Cette situation est précaire, mais peu importe, on verra bien. Tu viendras me reprendre pour dîner et nous nous mettrons ensemble; ça durera ce que ça durera (Courteline, Linottes,Canaille, 1888, 4, p. 239): 19. Mais on ne peut pas m'en vouloir (...) de me réjouir en ce moment à propos de toi pour tous ceux qui ne sont pas morts, qui ont retrouvé leur femme et leur maison. Cela durera ce que cela durera, comme disent les bonnes gens. Je ne veux rien laisser perdre.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 16. − Cour. Pourvu que cela dure! Tout va bien, pourvu que cela dure, comme disait Arlequin en tombant d'un cinquième étage (Mérimée, Lettres Ctessede Montijo,1870, p. 264). − [En parlant d'une situation difficile à supporter, pour s'y opposer, sur un ton d'impatience ou de colère] Cela ne peut pas (plus) durer. Il faut mettre un terme à tout cela, il faut que cela change : 20. colladan (...) éclatant tout à coup. − C'est une infamie! c'est une horreur! Ça ne peut pas durer comme ça! Je proteste.
champbourcy. − Qu'avez-vous?
colladan. − Je suis las de dormir dans les démolitions, de dîner avec des brioches et de ne pas déjeuner du tout!
Labiche, La Cagnotte,1864, V, 2, p. 150. 3. Spéc. [En parlant d'un être vivant, ou de tout ce qui dans la nature est doté de vie, vie biologique, cellulaire, végétale, cosmique, etc.] Vivre. Anton. naître, mourir.Astres qui durent des myriades de siècles, étoiles d'un jour (Flaub., Tentation st Antoine,1856, p. 603).Au-dessous, de mémoire de nous tous, jamais le cep n'a duré. Il s'y étiole autant qu'il se fortifie au-dessus (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 159).Là où la forme spécifique ne peut subsister par elle-même dans sa plénitude, comme c'est le cas de l'homme, elle dure et se perpétue par la génération (Gilson, Espr. philos. médiév.,1931, p. 204). 4. Échapper aux causes de destruction a) [En parlant de choses concr. qui se consomment par le service, l'usage] Résister à l'usage. − Durer (x temps) [En parlant du temps de service, d'utilisation, de consommation ou d'usure] Vêtements, provisions, sommes d'argent qui durent (x temps). Synon. faire.Le monde est soigneux de ses coiffures par ici, une casquette dure dix ans (...) et un melon toute une vie (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 12).Autrefois, une paire de souliers durait plusieurs années, actuellement la mode ne cesse de changer (Bérard, Gobilliard, Cuirs et peaux,1947, p. 121): 21. ... la femme de ménage avait jeté le morceau de savon de sa table de toilette. Elle prétendait qu'il n'y en avait presque plus, qu'on voyait au travers; lui, il soutenait que le savon aurait duré une semaine encore, ...
Montherlant, Les Célibataires,1934, p. 858. − Durer (x temps) à qqn. Ses trois cent mille francs lui avaient duré dix-huit mois (Zola, Nana,1880, p. 1266).Une demi-pièce de vin lui durait huit jours (Hamp, Champagne,1909, p. 93). − Durer longtemps, et, absol. durer. S'user, se consommer lentement. Synon. faire du profit, de l'usage; anton. s'user vite, ne pas faire long feu, se détériorer rapidement.Tant que mon petit pécule avait duré, nos relations s'étaient maintenues sur un pied tolérable (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 9).Et voici que, près de toi, avec leurs lampes, Les unes faibles et vacillantes, Les autres où l'huile patiente a duré (Régnier, Poèmes anc.,1890, p. 224). − Faire durer (une chose). Utiliser avec ménagement, ne pas user trop vite. Synon. conserver, épargner, ménager.Elle ferait durer la provision jusqu'à mardi (Staël, Lettres div.,1793, p. 444).Il fait durer trois ans ses vêtements, grâce à la brosse et aux extenseurs et en évitant de sortir quand il pleut (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 196). − Proverbe. Il faut faire feu (vie) qui dure. Il faut ménager ses économies ou ses forces pour vivre longtemps. Mon cher enfant, « il faut faire vie ou feu qui dure ». (...) cela veut dire qu'il faut vous conserver longtemps (Chateaubr., Corresp.,t. 1, 1789-1824, p. 90). b) [En parlant de choses concr. ou abstr.] Échapper à la destruction du temps; à l'oubli : 22. Lavoix disait à un breton, qui était en train de se faire bâtir une maison en grès (...) : « Pourquoi ne faites-vous pas construire en briques? C'est plus joli. − La brique ne dure que huit cents ans! » répondit le propriétaire.
Goncourt, Journal,1869, p. 540. 23. Cette prépondérance du problème de la vertu et du vice en morale s'est maintenue aussi longtemps qu'a duré l'influence grecque; elle est, de nos jours, à peu près complètement annihilée.
Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,1932, p. 139. ♦ Emploi abs. Durer. Être immortel. Des grâces vaines qui font durer les ouvrages des écoles primitives (Delacroix, Journal,1860, p. 270).L'œuvre dure en tant qu'elle est capable de paraître tout autre que son auteur l'avait faite (Valéry, Litt.,1930, p. 85).Ce qui dure, les choses qui durent (p. oppos. au provisoire). Car j'étais infinie et j'aimais ce qui dure, Et j'avais tout choisi pour un temps éternel (Noailles, Forces étern.,1920, p. 294).Puisque rien ne dure ... Ce qu'il faut, c'est pouvoir s'en aller avec la certitude qu'on a fait tout ce qu'on pouvait faire (Green, Journal,1933, p. 151): 24. ... bientôt, ce à quoi il [Barrès] dénia de l'importance, sinon de l'intérêt et du charme, ce fut à l'individuel et à l'éphémère; il se détacha de ce qui ne dure pas, pour adhérer passionnément à ce qui dure, à ce qui est éternel ... à la France.
Mauriac, Mes grands hommes,1949, p. 218. ♦ P. méton. du sujet. [En parlant de la réputation de personnes célèbres] Ce sont des monarques dans la république des Lettres, que des personnages qui durent comme Voltaire ou comme M. de Chateaubriand (Sainte-Beuve, Chateaubr.,t. 1, 1860, p. 45). SYNT. a) Subst. suj. absence, agonie, amitié, attente, bataille, bonheur, choses, combat, convalescence, débat, dialogue, dîner, état, conversation, entretien, fête, fièvre, guerre, humeur, illusion, impression, liaison, lutte, maladie, manège, mission, opération, repas, scène, séance, séparation, session, silence, situation, tempête, temps, travaux, traversée, visite, voyage. b) Adv. environ, ordinairement, indéfiniment. B.− P. ext. et spéc., au fig. 1. [En parlant de la vie intérieure] . Les trois derniers mois [en prison] lui durèrent [à Fontaine] plus que tout (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1842, p. 352).La vie intérieure se présente comme une multiplicité d'interpénétration, elle dure (Sartre, Imagination,1936, p. 42). 2. (Plus ou moins) péj. Donner le sentiment d'être interminablement long et ennuyeux, de se prolonger. Sembler, paraître durer (x temps). Il leur semblait que cette promenade avait duré des mois entiers (Zola, Th. Raquin,1827, p. 129): 25. Les deux hommes se saluèrent froidement, et Mariette alla reconduire M. de Labouglise jusqu'à l'escalier; elle ne resta peut-être que cinq minutes, mais Gérard trouva que les cinq minutes duraient une heure.
Champfleury, Les Aventures de MlleMariette,1853, p. 205. − Loc. usuelles ♦ Le temps lui dure. Il trouve le temps interminablement long et ennuyeux. Synon. en avoir assez, s'ennuyer.Allons, tu as bien assez de moi pour aujourd'hui; peut-être bien que tu en as trop et que le temps te dure de me voir ici (Sand, Pte Fad.,1849, p. 53).Ah! (...) le temps m'a bien duré hier... Je m'étais figuré que c'était jeudi... et je m'ennuyais après vous (Goncourt, G. Lacerteux,1864, p. 256): 26. − (...) Alors, Anaïs, je vois que ta Marguerite t'est revenue?
− Nous la voilà pour trois semaines, oui, et ce n'est pas assez, vois-tu. Trois semaines vont vite quand on a sa fille, et le temps nous dure, après.
Aymé, La Jument verte,1933, p. 190. II.− [En parlant de pers.] A.− Usuel. Continuer à vivre. a) Durer + adv. ou compl. de temps.Il [Chateaubriand] ne mourait pas assez vite (...) il convint qu'il avait tort de tant durer (MmeV. Hugo, Hugo,1863, p. 240).Un domaine mental où tout est (...) à la mesure d'un enfant qui dure victorieusement depuis soixante années (Colette, Sido,1929, p. 143): 27. Probablement que les êtres frêles adoptent de bonne heure une hygiène sage et que les grandes maladies dédaignent de les attaquer. C'est ainsi que Fontenelle est devenu centenaire et que ce petit Anglais déclaré non viable a duré jusqu'à l'âge de cent cinquante-quatre ans...
Amiel, Journal intime,1866, p. 526. − Emploi abs. L'être veut de la vie comme l'insecte veut la flamme; et si cruelle ou insipide lui soit-elle, il ne peut que tendre à durer (Valéry, Mauv. pens.,1942, p. 102). − Spéc. PHILOS. [Chez Bergson] Vivre la durée, le temps psychologique : 28. ... la conscience nous avertirait (...) bien vite d'une diminution de la journée, si, entre le lever et le coucher du soleil, nous avions moins duré.
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience,1889, p. 151. b) Péj. Se maintenir tout juste en vie. Anton. se laisser mourir.Et lui [le sous-Préfet], bon philosophe sceptique, demandait seulement à durer jusque-là, heureux de finir sans trop d'embarras (Zola, Travail,t. 1, 1901, p. 260). B.− Rare ou fam. 1. Rare. Tenir bon, résister. Faire de chaque soldat le corps le plus résistant, le plus fort et le plus agile, bref le gladiateur de la meilleure troupe, et capable de durer le plus longtemps (Taine, Philos. art,t. 1, 1865, p. 68).Je ne lui demandais que de durer assez longtemps pour assurer notre victoire (Arnoux, Roy. ombres,1954, p. 189). 2. Fam. Rester, demeurer dans un certain lieu, supporter une certaine situation. Synon. rester, tenir (avec idée de calme, de patience).Apollonia (...) parut, essoufflée, vibrante, tremblante, elle ne pouvait plus durer (La Varende, Sorcière,1954, p. 271). a) Durer dans + compl. − [Dans un certain lieu] « Crois-tu que c'est sciant! (...) dit Fanny (...) Il faut que je t'aime, va, pour durer dans cette baraque... » (A. Daudet, Sapho,1884, p. 156): 29. Il a fallu me remettre en liberté, et je n'ai pu « durer » que dans cette invraisemblable école de Montigny, parce que là, au moins, je ne me sentais pas « prise », et que je couchais dans mon lit chez nous.
Colette, Claudine à l'école,1900, p. 184. − [Dans une certaine situation ou dans un domaine] Quant à mon pauvre gendre, Il était étameur de glaces; et les gens, Dans le vilain métier, ne durent pas dix ans S'ils n'ont pas les poumons comme un soufflet de forge, À cause du mercure (Coppée, Poés.,t. 3, 1865-1908, p. 10). − [Dans une situation, le compl. est un subst. abstr. au fig.] Il [Morange] durait indéfiniment dans sa médiocrité, comme une chose oubliée, perdue, que la douleur conservait (Zola, Fécondité,1899, p. 668). Prononc. et Orth. : [dyʀe], (je) dure [dy:ʀ]. Homon. dur (avec dure), duret (avec durais, durai(en)t). Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1050 [li mens quars tant] duret (Vie de St Alexis, éd. C. Storey, 445); ca 1100 Icest hunte dureit al leur vivant (Rol., éd. J. Bédier, 1707). Du lat. class. durare « durer ». Fréq. abs. littér. : 5 821. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 822, b) 9 129; xxes. : a) 8 630, b) 8 857. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 10, 131, 150, 222, 441. − Milhailescu-Urechia (V.), Urechia (A.). Phénomènes inconnus de la lang. Orbis. 1971, t. 20, pp. 11-15. |