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DURCIR, verbe.
I.− Emploi trans.
A.− Sens concr.
1. Rendre dur, consistant, solide, difficile à pénétrer, à entamer. Durcir du ciment; durcir du bois au feu. Synon. affermir, endurcir, solidifier.Un froid très vif durcit la terre, sous un ciel pétillant d'étoiles (Mirbeau, Journal femme,1900, p. 359).Quand j'ai pétri un visage de terre, je le passe au four pour le durcir (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 812).
En partic.
a) [L'obj. désigne un métal] Durcir l'acier (par la trempe). Synon. tremper.Un homme de Chio invente l'art d'amollir, de durcir et souder le fer (Taine, Philos. art, t. 2, 1865, p. 168).Les Romains forgeaient le cuivre et ses alliages, et savaient les durcir à la suite de recuits successifs (M.-A. Muller, Roger, Évol. fond. cuivre,1903, p. 4).
b) [L'obj. désigne un tissu organique] L'âge durcit les artères. Synon. indurer.Sa tempe où battait une veine sinueuse durcie par l'artériosclérose (Vialar, Brisées hautes,1952, p. 93).Tumeur durcie (cf. dureté). Synon. indurée.
c) [L'obj. désigne une partie du corps, de l'épiderme] Rendre dur comme de la corne, épaissir, racornir. Le fouet et l'aiguillon, la serpe et la charrue, tour à tour, ont durci ses mains pauvres et nues (Regnier, Jeux rust.,1897, p. 168).[L'obj. désigne des muscles] Rendre ferme. Synon. affermir.Le dur travail des champs (...) a durci ses jeunes muscles (Colette, Dialog. bêtes,1905, p. 24).
d) [L'obj. désigne une surface liquide] Solidifier, geler. L'hiver a (...) durci la surface de nos lacs (Crèvecœur, Voyage,t. 2, 1801, p. 169).
e) [L'obj. désigne un linge, une étoffe] Rendre raide, rigide. Synon. amidonner, empeser.Il n'y a plus aujourd'hui que les Zoulous et les Bassoutos (...) pour durcir le linge avec de l'amidon (France, Pierre bl.,1905, p. 262).
2. Rendre plus rude ou plus âpre aux sens; rendre plus fort, plus vif (en parlant de tout ce qui affecte les sens, produit une sensation). Synon. intensifier, accentuer, accuser; anton. atténuer, adoucir.
a) [L'obj. désigne des choses vues] Rendre plus accentué, plus vif, plus marqué, plus contrasté; rendre (des lignes) moins harmonieuses, plus accusées, augmenter l'éclat de la lumière, l'intensité des couleurs. Les mains enfoncées dans les poches de son veston, ce qui durcissait encore la ligne de ses épaules (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 434).Oh! tu peux durcir ton vert de prunelle, ton vert-de-gris de poison de regard. Moi, je ne baisserai pas les yeux (H. Bazin, Vipère,1948, p. 80).
En partic. [Traits du visage, physionomie, expression] Faire paraître plus dur. Durcir le visage. Anton. adoucir, flatter :
1. − C'est merveilleux comme la vive lumière du jour flatte votre beauté, vous aime et caresse la nacre fine de vos joues. − Oui, dit-elle. La lumière des bougies me durcit les traits. France, Le Lys rouge,1894, p. 226.
b) [L'obj. désigne des choses entendues] Rendre plus aigu, plus intense, plus dissonnant ou plus rauque (une voix, un ton, un son, une prononciation). Un bruit de cristaux brutalisés lui parvint puis la voix d'Edmée, claire, durcie pour la réprimande (Colette, Fin Chéri,1926, p. 5).
c) [L'obj. désigne des choses touchées] Rendre rugueux, rêche au contact de la peau. En se lavant plusieurs fois les mains dans de l'eau pure qui lui durcissait et rougissait la peau, elle regarda ses beaux bras ronds (Balzac, E. Grandet,1834, p. 78).
En partic. [Choses produisant une sensation de chaud ou de froid, et plus gén. une sensation désagréable] Rendre plus rude, plus rigoureux. Durcir l'air, l'atmosphère, le temps, la température (surtout à la forme passive et au participe passé-adj.). Pour durci que soit l'hiver, la sœur de mon père arrivait et construisait sa maison (Giono, Eau vive,1943, p. 318).
B.− Au fig.
1. [L'obj. désigne une pers.] Rendre résistant (à la fatigue, à la douleur, etc.). Synon. endurcir.Pâtres durcis au vent et au soleil (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 570).Dans ce visage épais d'homme durci aux travaux des mines, il y eut un gonflement de désespoir (Zola, Germinal,1885, p. 1291).
2. [L'obj. désigne une pers. ou des traits révélateurs de la personnalité] Rendre plus rude, plus dur, plus sévère.
[L'obj. désigne les traits du visage] Durcir son regard. Une ombre passa sur le visage de Condé, éteignit le sourire paterne et durcit les traits (Chardonne, Varais,1929, p. 185).
Rem. Cet emploi est proche de l'emploi I A 2 a.
[L'obj. désigne des traits révélateurs de la pensée, du sentiment, en partic. le lang. ou le style] Rendre plus prononcé le caractère, l'originalité, le relief, le réalisme de qqc. Durcir une critique. Quant l'ouvert et le fermé vont jouer métaphoriquement, devons-nous durcir ou adoucir la métaphore? (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 199).
Péj. Paralyser, engourdir, scléroser. Synon. figer.Seules les pensées sont mortelles, et les longues préméditations inconscientes, durcies, sclérosées par le temps (Arnoux, Chiffre,1926, p. 157).
[L'obj. désigne le tempérament ou le caractère, ou la pers. envisagée du point de vue de son tempérament ou de son caractère] Rendre plus dur, plus sec, plus agressif ou moins sensible. Synon. dessécher.Durci par l'indifférence, je me sens tout glacé de morne (Barrès, Amori,1902, p. 108).Les soins donnés à notre enfance nous font meilleurs. Une éducation trop dure nous durcit (France, Mir. Gd St Nic.,1909, p. 86):
2. Soyez sûrs qu'une longue patience, que des chagrins jalousement cachés ont formé, affiné, durci cette femme dont on s'écrie : Elle est en acier! Colette, La Vagabonde,1910, p. 39.
3. [L'obj. désigne un nom abstr.] Rendre plus ferme, plus intransigeant. Durcir une action; durcir sa position, un point de vue, une attitude. La rage amoureuse, la peur, et cet entêtement que durcissent en nous les obstacles lui donnèrent des forces (Morand, P. de Saligny,1947, p. 178):
3. Or ces conflits [de devoirs] ne comportent pas d'autre solution que le choix; une longue rationalisation les a durcis en alternatives rigides; la méditation personnelle les consacre en impasses; ... Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 164.
Rem. Pour le syntagme durcir sa position, cf. Déf. Lang. fr., no59, p. 30.
P. méton. Durcir quelqu'un. Durcir son opinion, sa doctrine. Pas assez pour ameuter l'opinion et suffisamment pour durcir les communistes à votre égard (Aymé, Uranus,1948, p. 158).Si Saint Augustin, durci par Jansénius et par Saint Cyran, avait triomphé dans l'Église, elle eût succombé à cette terreur spirituelle : la théologie eût enfanté le désespoir (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 153).
II.− Emploi intrans. et emploi pronom. de sens passif. Devenir dur.
A.− [Le suj. désigne une réalité phys.]
1. Devenir dur, résistant (cf. dur A 1).L'argile (se) durcit au feu; la pierre (se) durcit à l'air; la boue (se) durcit au soleil. Des paquets de neige durcissaient à l'ombre des sapins (Cendrars, Or,1925, p. 20).Le crâne du Noir s'ossifie, paraît-il, définitivement vers la puberté, et atteint bientôt une extraordinaire épaisseur. Les sutures durcissent vite (Morand, Paris-Tombouctou,1929, p. 20).
P. métaph. :
4. Que soient les humains faits statues, Les cœurs figés, les âmes tues, Et par les glaces de mon œil, Puisse un peuple de leurs paroles Durcir en un peuple d'idoles Muet de sottise et d'orgueil! Valéry, Charmes,1922, p. 132.
2. P. métaph. Prendre un éclat dur, un aspect minéral. Le grand ciel froid scintillait au-dessus des maisons et, près des collines, les étoiles durcissaient comme des silex (Camus, Peste,1947, p. 1471).
3. En partic. Devenir épais, ferme, consistant. P. métaph. Il sentait se concréter, se durcir, en soi, une volonté précise (Arnoux, Roi,1956, p. 91).
4. [Le suj. désigne un œuf] Devenir dur par la cuisson. Faire durcir un œuf. Les œufs, plongés dans l'eau bouillante, durcissent en 5 minutes (Lar. 19e-20e) :
5. Paganel, qui connaissait cinquante et une manières de préparer les œufs, dut se borner cette fois à les faire durcir sous les cendres chaudes. Néanmoins, le repas fut aussi varié que délicat. La viande sèche, les œufs durs... Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 1, 1868, p. 231.
5. [Le suj. désigne du pain] Devenir dur par dessiccation. Synon. rassir, sécher, se dessécher.
6. [Le suj. désigne du sang] Épaissir, coaguler. P. métaph. Durcissez, durcissez, Vous, caillots de souvenir! (Laforgue, Poés.,1887, p. 113).
7. P. ext., au fig. Se figer, s'immobiliser. C'est merveille d'y voir [dans Elsa, d'Aragon] le libre verset claudélien s'épandre et puis tout à coup se durcir sous nos yeux en strophes le plus souvent octosyllabiques, d'un incorruptible métal (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 175).
8. [Le suj. désigne une partie de l'épiderme] Devenir dur, épais, racorni.
9. Durcir par refroidissement.
a) [Le suj. désigne une crème] Synon. prendre.
b) [Le suj. désigne le corps qui se paralyse, s'engourdit par la mort] :
6. Le nez, qui était un peu empâté, prend des lignes plus nettes. Les oreilles durcissent comme des coquillages. (...). Il est déjà de pierre. La face jaunit et les traits se pincent. Je l'embrasse pour la dernière fois. Les lèvres collent au front dur et froid. Renard, Journal,1900, p. 567.
10.PATHOL. [Le suj. désigne les artères] Mes artères gonflent et durcissent (Audiberti, Quoat,1946, 2etabl., p. 78):
7. Chacun est seul, enfermé dans son corps, avec ses artères qui durcissent sous la peau qui se dessèche, (...) avec sa mort qui mûrit sourdement en lui et qui le sépare de tous les autres. Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 576.
B.− [En parlant d'une sensation] Devenir ou paraître rude, plus rude, plus désagréable aux sens.
En partic.
1. [Par rapport à la vue] Traits qui (se) durcissent. Synon. s'accentuer.Son visage avait durci et vieilli (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 127).Tons, couleurs qui durcissent. Qui deviennent durs à l'œil. Tous ces tons vont durcir, tourner au métal pour les robes, au cuir pour les chairs [toile de C. Duran] (Huysmans, art mod.,1883, p. 159).
P. ext., au fig. [Par rapport à la physionomie, de l'expr., du comportement] Devenir plus rude, moins agréable, moins aimable. Yeux, traits qui (se) durcissent; regard, front, visage qui (se) durcit. Synon. se fermer, s'assombrir, se rembrunir; anton. s'adoucir.Il [Marcel] a dû entendre hier soir des paroles pénibles, car en y songeant, sa figure a durci et sa bouche devient mince (Colette, Cl. Paris,1901, p. 256).
2. [Par rapport à l'ouïe] Devenir plus rude, plus sec, plus désagréable. J'ai eu l'impression que sa voix durcissait dans l'appareil (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 157).
C.− Au fig.
1. [Le suj. désigne une pers. envisagée du point de vue de son caractère, de sa sensibilité, de son comportement, surtout à la forme pronom.] Devenir moins sensible, moins humain ou insensible; prendre une expression dure, agressive ou fermée. Synon. se fermer, se dessécher, s'endurcir.C'est encore un brave homme, me dit mon charretier de droite (...). Plus tard il durcira comme les autres et sera joyeux de voir souffrir (L. Daudet, Morticoles,1894, p. 40):
8. Rejetée par son fils, Annette se durcit comme lui. Le cœur volontairement fermé à l'amour, l'esprit d'autant plus libre, en l'absence d'objet qui nourrît sa tendresse, il lui fallait occuper sa faim intellectuelle et son besoin d'agir. Rolland, L'Âme enchantée,t. 2, 1925, p. 232.
Spéc. S'affermir. Il se redresse et se durcit, lui faible, afin de porter cette armure (Alain, Propos,1929, p. 837).
2. P. méton. [Le suj. désigne ce qui traduit les sentiments, le caractère, la personnalité; ce qui affecte la pers. hum., individuelle ou coll.] Le cœur se durcit. Marcou pâlit d'un seul coup, son visage de chanteur de charme se durcit et, l'espace d'une seconde, devint méchant (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1602).
SYNT. L'air, le caractère, l'expression, le front, les traits, le visage, la voix, les yeux se durcissent.
3. Devenir intransigeant (à la forme pronominale seulement).
a) [Le suj. désigne un nom abstr.] La force se durcit en brutalité (Mounier, Traité caract.,1946, p. 260).Les positions se durcissaient malgré moi (Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 114).
b) [Le suj. désigne une pers.] On ne peut pas toujours se raidir et se durcir comme tu le fais, Martha (Camus, Malentendu,1944, p. 116).
Rem. On rencontre ds la docum. a) l'adj. durcissable. Qui peut durcir, se durcir. Composés durcissables, hydrates durcissables (Cléret de Langavant, Ciments et bétons, 1953, p. 34 et 82. b) l'adj. verbal durcissant, ante. Qui durcit, se durcit. MmeDesgrès des Sablons savait jeter au travers de ses longs et durcissants succès quelque chose qui (...) ressemblait à de la timidité (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 88). Additions durcissantes et désoxydantes (Barnerias, Aciéries, 1934, p. 218).
Prononc. et Orth. : [dyʀsi:ʀ]. (je me) durcis [dyʀsi]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1remoitié xiiies. intrans. « devenir dur » (Aimeri, Passion Ste Catherine, éd. Talbert, 109 ds T.-L.); 1580 se durcir « s'endurcir » (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, II, VI, p. 406); 1690 « rendre dur » (Fur.). Dér. régressif d'endurcir* d'apr. le lat. duresco. Fréq. abs. littér. : 298. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 219, b) 206; xxes. : a) 261, b) 812.
DÉR.
Durcisseur, subst. masc. et adj.,chim. [Dans la techn. des mat. plast.] Corps ayant la propriété de provoquer le durcissement des plastiques thermo-durcissables (colles, résines, polyesters, etc.). Synon. vulcanisant.Colles urée-formol utilisées avec durcisseur à froid (Campredon, Bois,1948, p. 124). [dyʀsisœ:ʀ]. 1reattest. 1863 adj. chim. (M. De Chancourtois ds Comptes rendus des séances de l'Ac. des Sciences, 1ersemestre, t. 56, p. 254); du rad. du part. présent de durcir, suff. eur2*.