| DROGUE1, subst. fém. I. A.− Vx. Ingrédient naturel (organique ou inorganique) employé en chimie, en pharmacie, en teinturerie, en épicerie, dans l'économie domestique. Drogues aromatiques, pharmaceutiques; drogue falsifiée; acheter, vendre des drogues; piler des drogues dans un mortier. Les drogues pour la teinture cessent d'être de l'indigo, du bois d'Inde, du rocou, et font partie des étoffes qu'elles colorent (Say, Écon. pol.,1832, p. 108).Des drogues en sucre (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 165).La drogue orientale, le médicament miellé, l'or potable qui prolonge la vie (Flaub., Champs et grèves,1848, p. 276): 1. À Gênes
Odoriférantes
Sentes où l'on sent
Tant d'herbes et cent
Drogues différentes,
Où, narine errante,
Tu fends les encens
Que cède aux passants
L'ombre incohérente...
Valéry, Correspondance[avec Gide], 1917, p. 456. − P. compar. Les phrases dans lesquelles − ainsi d'une drogue dans une pilule et du sucre − le noble vieillard enveloppait son expérience de la vie (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 118): 2. La vie est quelque chose de si abominable qu'il faut la déguiser pour l'avaler. Si on ne la sucre pas avec une drogue extraordinaire, le cœur vous manque!
Flaubert, Correspondance,1878, p. 105. B.− Spéc. Matière première des médicaments officinaux et magistraux. Drogues simples (Lar. Méd.t. 11971). II.− P. méton. Substance naturelle ou fabriquée dont l'absorption produit un effet sur les organismes vivants. A.− Gén. péj. 1. a) Remède confectionné selon une recette d'amateur. Drogues habilement dosées et mélangées; drogues de sorcières; fabriquer, inventer, préparer une drogue. Synon. décoction, onguent, orviétan, remède (de bonne femme).Si vous croyez que j'ai envie de m'empoisonner avec vos vieilles drogues! (Huysmans, Oblat,t. 1, 1903, p. 97).Linaire exploitait cette drogue dont il avait hérité la recette de son père lequel de même et ainsi de suite (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 103).Elle broyait, faisait broyer des herbes, composait des drogues et des élixirs (Guéhenno, Jean-Jacques,1948, p. 55). b) En partic. Substance douée de propriétés physiologiques actives (sédatives, soporifiques, aphrodisiaques, mortelles, etc.) administrée à quelqu'un à son insu (généralement dans une boisson, un plat). Drogues et maléfices. On versait des drogues dans sa carafe d'eau (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Hérit., 1884, p. 468).Entraînée par une absorption massive de cette drogue, Folcoche était littéralement mithridatisée (H. Bazin, Vipère,1948, p. 187): 3. N'importe, murmurait-il; moi, je ne voudrais pas boire de toutes leurs saletés; j'aurais trop peur qu'ils n'eussent mis dedans quelque drogue pour me faire aller à confesse.
Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 1034. c) P. anal. [En parlant d'une boisson mauvaise au goût, difficile à avaler] . Péj., fam. Affreuse, mauvaise drogue. Synon. médecine, mixture, potion, purge.Emportez cette drogue-là (Augier, Contagion,1866, V, pp. 410-411). 2. Au fig. [En parlant d'une chose ou d'une personne dont on fait peu de cas] . Péj., vx, fam. a) Chose de mauvaise qualité. Cette étoffe n'est que de la drogue (Ac.1932).Synon. camelote.Je ne sais quelle manie j'ai de me fournir ici; on n'y vend que de la drogue (Leclercq, Proverbes dram.,Mar. manqué, 1835, p. 80).Les drogues qu'on leur a données pour des antiques (Mérimée, Lettres à une inconnue,1870, p. 194): 4.− Ah! pour du cassis, je ne dis pas non; madame le fait ben mieux que les apothicaires. Celui qu'ils vendent est de la drogue.
Balzac, Eugénie Grandet,1834, p. 167. ♦ P. iron. Voilà de bonne drogue. ,,Ce qu'on veut nous donner pour bon ne vaut rien`` (Ac. 1798-1878). ♦ Il débite bien, fait bien valoir sa drogue. Il sait bien faire valoir ce qu'il dit, ce qu'il fait, ce qu'il vend (d'apr. Ac. 1798-1878). b) Personne. Cette petite personne est une drogue (Ac.1932).Mais vous êtes des veules et des drogues! (Balzac, Paysans,1844-50, p. 238). ♦ Vieille drogue (pop.). [Renchérit sur drogue] Vieille drogue, tu as changé de litre! (Zola, Assommoir,1877, p. 622). − En partic., fam. Petite drogue. Coureuse, femme légère. Maintenant, allons dîner chez les petites drogues (Champfleury) (Larch.1872, p. 120). B.− P. ext. Médicament. 1. Souvent au plur., péj., vieilli. Médicament, généralement simple (dont on abuse, dont on condamne l'usage). Drogues de l'apothicaire, des pharmacies; mauvaises drogues; prendre des drogues; recourir aux drogues; se bourrer de drogues; être abruti par les drogues. Et de quelles drogues amères il aurait fallu nous gorger! (Maurras, Chemin Paradis,1894, p. 163).Il a essayé de toutes les drogues : poudres, cachets, ovules, sels, élixirs (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 44). − Au fig. ou p. métaph. Il est à craindre que la religion ne fût pour le roi très-chrétien qu'un élixir propre à l'amalgame des drogues de quoi se compose la royauté (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 17). 2. Spéc. Composé chimique naturel ou de synthèse, utilisable en thérapeutique; produit pharmaceutique. Drogue pour dormir; prescription d'une drogue; administrer une drogue. Synon. médicament, remède spécifique.La digne sœur (...) dans le laboratoire de l'infirmerie, penchée sur ses drogues et sur ses fioles (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 341).Son arsenal de drogues (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 773).Une drogue pour te donner faim pendant que les autres dans la rue, se seraient vendus pour un bifteck (Sartre, Mains sales,1948, 3etabl., 3, p. 98). SYNT. Drogues éprouvées, nécessaires; pour assoupir la douleur, soulager (un mal); drogue calmante, stimulante; drogue anorexigène, anticancéreuse, antidépressive, antifatigue, anti-infectieuse; l'action bénéfique, l'innocuité d'une drogue. − Au fig. ou p. métaph. La drogue qu'ils [les journaux de la collaboration] nous proposaient était de celles qui réveillent les morts (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 411): 5. Créer n'est point découvrir une ruse d'aujourd'hui que le hasard t'aurait cachée pour ta victoire. Elle serait sans lendemain. Ni une drogue qui te masquera la maladie, car la cause en subsisterait.
Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 857. Rem. On trouve ds la docum. une occurrence de droguailles, subst. fém. plur., péj. Et, tout bas, les malins! se disent : « Qu'ils sont sots! » Pour mitonner des lois, coller de petits pots Pleins de jolis décrets roses et de droguailles, S'amuser à couper proprement quelques tailles, Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux, − Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux! − Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes..., C'est très bien (Rimbaud, Poés., 1871, p. 54). III.− En partic., cour. A.− 1. Produit stupéfiant ou hallucinogène (comme la marijuana, la mescaline, le L.S.D., le haschisch, l'héroïne, l'opium, la cocaïne) dont l'usage peut conduire à l'intoxication, l'accoutumance et la toxicomanie. Trafic de (la) drogue; le problème de la drogue; les effets de la drogue; intoxication par la drogue; se ravitailler en drogue. Synon. hallucinogène, narcotique, psychodysleptique (méd.), stupéfiant.Elle plante l'aiguille, puis c'est la lente coulée de la drogue dans le sang (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 24).Les abus de la drogue et ses attirances toujours décevantes, son accoutumance (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 193): 6. L'image de la châtelaine devint peu à peu l'un de ces points fixes que recouvre et découvre tour à tour le songe flottant de la drogue, ainsi que la pointe d'un roc dans les remous de l'écume.
Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 985. SYNT. Drogue dangereuse, fatale, infernale, nocive, puissante, redoutable; drogues interdites, prohibées; drogues enivrantes, euphorisantes, hallucinogènes, stimulantes, stupéfiantes; diffuseurs, passeurs, pourvoyeurs, receleurs, trafiquants de drogue; absorption, dose massive, quotidienne de drogue; être sous l'effet, l'influence de la drogue; user de drogue. − P. méton. La drogue. L'habitude acquise de la drogue. Adonné à, habitué de la drogue; être sous l'emprise de, s'adonner à, recourir à, user de, se jeter dans la drogue; être délivré de la drogue. Synon. toxicomanie.Le moyen qu'ils choisissent pour échapper au réel : terrorisme, amour, érotisme, drogue, aventures (Mauriac, Journal 2,1937, p. 147).Bien avant la drogue, le mensonge avait été pour elle une autre merveilleuse évasion, la détente toujours efficace, le repos, l'oubli (Bernanos, Mauv. rêve,1948, p. 988). 2. P. ext. [En parlant d'une substance qui est toxique par son usage excessif (comme le tabac, l'alcool, les somnifères, les stimulants et excitants, les tranquillisants, calmants et euphorisants)] Effet dynamique, euphorisant, sédatif des drogues. Quelles drogues? Alcool, café, puis toutes les autres, naturellement (Abellio, Pacifiques,1946, p. 320). B.− P. compar. ou p. anal. [En parlant d'une chose abs.] Gén. péj. Chose qui grise, intoxique l'esprit. La politique épouvantait, comme une drogue dangereuse (Zola, Curée,1872, p. 367).Tout nous était une drogue, l'action, les discussions, les idées (Abellio, Pacifiques,1946p. 137): 7. Et pourquoi encore ces images « excessives » que nous ne savons pas former nous-mêmes, mais que nous pouvons, nous lecteurs, recevoir sincèrement du poète, ne seraient-elles pas (...) des « drogues » virtuelles qui nous procurent des germes de rêverie? Cette drogue virtuelle est d'une efficacité très pure. Nous sommes sûrs, avec une image « exagérée », d'être dans l'axe d'une imagination autonome.
Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 149. Prononc. et Orth. : [dʀ
ɔg]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. [Attesté indirectement au xives. par son dér. droguerie*]. 1. Ca 1462 drocques (var. drogues) « ingrédient qui sert à la teinture, aux préparations chimiques et pharmaceutiques » (Villon, Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, 1429); 2. a) 1568 « remède, produit pharmaceutique (souvent péj.) » (Calepin, Dict.); b) 1913 « stupéfiant » (Colette, Entrave, p. 31, 83); 3. 1668 « personne, chose dont on fait peu de cas » (Molière, L'Avare, II, 5). Mot d'orig. discutée; parmi de nombreuses hyp., les plus vraisemblables le font remonter soit au m. néerl. droge vate « tonneaux secs » d'où, par substantivation, droge étant pris pour la désignation du contenu, « produits séchés; drogues » (Z. fr. Spr. Lit. t. 32, 1, pp. 298-301; Valkh., pp. 115-117; REW3, 2776a, EWFS2); soit à l'ar. durawa « balle de blé » (FEW t. 3, pp. 189-190), cette dernière proposition faisant problème du point de vue phonétique et sémantique. Bbg. Chaurand (J.). Le Lex. région. des fourrages et des plantes fourragères ds la Thiérache... Fr. mod. 1970, t. 38, p. 141. − Fabre-Luce (A.). Les Mots qui bougent. Paris, 1970, p. 65. − Mat. Louis-Philippe. 1951, p. 230. − Rog. 1965, p. 110. − Straka (G.). En relisant Menaud, maître-draveur. In : [Mél. Imbs (P.)]. Trav. Ling. Litt. Strasbourg 1973, t. 11, no1, p. 294. |