| DONJON, subst. masc. A.− FORTIFICATION 1. Tour maîtresse d'un château fort, généralement isolée de la construction, ayant ses fortifications particulières, et servant de dernier refuge aux défenseurs. Donjon carré, crénelé, gothique; antique donjon; donjon en pierre; monter au donjon; se retrancher dans son donjon. Chevaliers passant au pied des donjons tout hérissés de poivrières et de tours (Faure, Hist. art,1914, p. 510): 1. L'étendue et les dimensions du donjon sont toujours proportionnées à celles de l'enceinte dont il doit compléter la défense. Quelquefois c'est une citadelle avec cour et courtine (...). Quelquefois aussi, et c'est le cas le plus ordinaire, le donjon consiste en une haute tour, séparée de la basse-cour par un fossé avec un pont-levis (...). Ailleurs, enfin, on donne le nom de donjon à une tour plus forte que les autres et sans communication avec le rempart.
Mérimée, Ét. sur les arts au Moyen Âge,1870, p. 263. − HÉRALD. Représentation d'un donjon. Inscrire allégoriquement leur donjon de sinople ou leur château d'argent dans son champ d'azur (Proust, Guermantes,1920, p. 14). − P. compar. Chaudrons, casseroles de toutes grandeurs, poissonnières à faire cuire le Léviathan au court-bouillon, moules de pâtisserie façonnés en donjons, dômes, petits temples (Gautier, Fracasse,1863, p. 279).Un chignon en donjon (Colette, Jumelle,1938, p. 150). − P. métaph. ou p. anal., littér. ♦ [En parlant d'un bâtiment] Là-dessus, au bout de la rue, noir donjon sur le fond clair du ciel d'un beau vert pâle, une cheminée d'usine fumait (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 453): 2. Enfin j'ai évité d'appeler Wall Street La Mecque de l'argent et les gratte-ciel les donjons d'une féodalité nouvelle.
Morand, New-York,1930, p. 261. ♦ P. ext. Lieu où l'on est en sûreté, où l'on peut s'isoler; ce qui protège. C'est bien un homme-donjon sur lequel la femme doit s'appuyer, de bon ou mauvais gré, pour résister aux autres (Jouve, Scène capit.,1935, p. 208).L'extrême branche de mon taxaudier, qui devient véritablement mon isoloir, mon donjon (H. Bazin, Vipère,1948, p. 228). ♦ Loc. Se retirer dans son donjon. Se replier sur soi-même, s'isoler volontairement : 3. Ses dernières misères, les basses querelles qu'on lui avait faites, ses maux, ses souffrances avaient achevé de le délivrer. (...) Retiré dans son donjon, « depuis qu'il ne voyait plus les hommes », il avait « presque cessé de haïr les méchants ».
Guéhenno, Jean-Jacques,Roman et vérité, 1950, p. 268. 2. Tour fortifiée faisant fonction de prison. Les cachots du donjon. Dans ce donjon témoin de sa fureur jalouse, Fit jadis enfermer sa malheureuse épouse (L. de Fontanes,
Œuvres,Vieux château, 1821, p. 56): 4. M. de Saint-Cyran ne laissa pas d'être humain, dans le premier moment qu'il se vit sous les verrous au donjon de Vincennes. Du moins avait-il ce volume de saint Augustin que mon père lui passa, ...
Montherlant, Port-Royal,1954, p. 1006. − P. métaph. L'empirisme est un donjon étroit et abject d'où l'esprit emprisonné ne peut s'échapper que sur les ailes d'une hypothèse (Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 77). B.− P. anal. 1. FORTIF. Tourelle placée sur la plate-forme d'une tour et servant de guérite. Synon. échauguette.Murs très peu hauts, coupés de sortes de petits donjons ou tourelles (Gide, Retour Tchad,1928, p. 951). 2. ARCHIT. Petit belvédère élevé sur le comble d'une maison, d'où l'on peut jouir d'une vue étendue (d'apr. Bouillet 1859). 3. [À propos de certains animaux : renard, taupe] Chambre principale du terrier. Son habitation [à la taupe] proprement dite ou donjon est établie avec tout l'art possible (Coupin, Animaux de nos pays,1909, p. 11). Rem. 1. Ac. 1932 mentionne l'adj. donjonné, ée, terme de blason. Qui est représenté en forme de tourelles. 2. À signaler également le subst. masc. donjonnier. Gardien du donjon (cf. Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 315). Prononc. et Orth. : [dɔ
̃
ʒ
ɔ
̃]. Ds Ac. dep. 1718. Étymol. et Hist. Ca 1160 « tour maîtresse d'un château fort » (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 5); 1540-50 donjon (Comptes bâtiments du Roi, I, 189 ds IGLF : L'une estant au dessus du donjon de la chapelle du chasteau); 1676 (Félibien, Dict., pp. 561-562 : On nomme aussi Donjons tous les lieux eslevez au haut des maisons qui sont comme de petits cabinets). Issu du lat. vulg. *dominio, -onis subst. masc. attesté au xies. au sens de « tour maîtresse » sous différentes formes (domnionus, donjo, dangio, etc. ds Du Cange, s.v. dunjo; Nierm., s.v. dominionus et Hollyman, p. 97), dér. de dominus « seigneur » v. dom (FEW t. 3, p. 130) plutôt que du frq. *dungjo « lieu où travaillent des femmes » (EWFS2); v. G. Rohlfs ds Mél. Wartburg (W. von) t. 2, 1968, pp. 207-208 et M. Pfister ds Z. rom. Philol. t. 88, 1972, p. 186. Fréq. abs. littér. : 400. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 812, b) 492; xxes. : a) 812, b) 255. Bbg. Archit. 1972, p. 205. − Gamillscheg (F.). Frz. donjon « Schlossturm ». Z. fr. Spr. Lit. 1930, t. 54, pp. 190-193. − Pfister (M.). Die Sprachlichen Berührungen zwischen Franken und Galloromanen... Z. rom. Philol. 1972, t. 88, p. 186. − Rohlfs (G.). Traditionalismus und Irrationalismus in der Etymologie. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, pp. 207-208. |