| DOCTRINE, subst. fém. A.− Ensemble de principes, d'énoncés, érigés ou non en système, traduisant une certaine conception de l'univers, de l'existence humaine, de la société, etc., et s'accompagnant volontiers, pour le domaine envisagé, de la formulation de modèles de pensée, de règles de conduite. 1. En gén. Vous voulez dénoncer tous les dogmatismes, tous les systèmes, toutes les doctrines, rendre leurs éléments libres pour de nouvelles combinaisons doctrinales (Barrès, Cahiers,t. 10, 1913, p. 134).Il [le moderne] a vu, en quelques dizaines d'années, régner successivement, et même simultanément, des thèses contradictoires également fécondes, des doctrines et des méthodes dont les principes et les exigences théoriques s'opposaient et s'annulaient (Valéry, Variété III,1936, p. 164).Ce qui vagit et fourmille en nous toujours un peu sommaire, inexplicable, flou, ils le traduisent en statistiques, en dogmes stricts, en doctrines puissamment assises sur le vide (Arnoux, Roy. ombres,1954, p. 42): 1. Si une doctrine est vraie, il ne faut pas la craindre; si elle est fausse, encore moins, car elle tombera d'elle-même. Ceux qui parlent de doctrines dangereuses devraient toujours ajouter dangereuses pour moi.
Renan, L'Avenir de la sc.,1890, pp. 445-446. SYNT. Doctrine commune, générale, moderne, traditionnelle; bonne, nouvelle, pure, saine doctrine; point(s) de doctrine; au nom d'une doctrine; exposer, prêcher, professer une doctrine. 2. Domaine relig., moral.Doctrine catholique, évangélique, spirituelle, théologique; doctrine de l'Église. On était frappé de la contradiction de leurs dogmes [des prêtres], de leurs maximes, de leur conduite, avec ces mêmes évangiles, premier fondement de leur doctrine comme de leur morale (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 104).Toute doctrine religieuse est ferment et règle de vie religieuse (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 4, 1920, p. 414).Dans le Dieu fashionable qu'on m'enseigna, je ne reconnus pas celui qu'attendait mon âme (...) je servais sans chaleur l'idole pharisienne et la doctrine officielle me dégoûtait de chercher ma propre foi (Sartre, Mots,1964, p. 79): 2. Certaines théories qui se disent scientifiques (...) construisent, mais n'observent pas. Elles voient dans la morale, non un ensemble de faits acquis qu'il faut étudier, mais une sorte de législation toujours révocable que chaque penseur institue à nouveau. La morale réellement pratiquée par les hommes n'est alors considérée que comme une collection d'habitudes, de préjugés qui n'ont de valeur que s'ils sont conformes à la doctrine; et comme cette doctrine est dérivée d'un principe qui n'est pas induit de l'observation des faits moraux, mais emprunté à des sciences étrangères, il est inévitable qu'elle contredise sur plus d'un point l'ordre moral existant.
Durkheim, De la Division du travail soc.,1893, p. xli. 3. Des lectures comme l'Imitation, qu'il n'eut pas comprises autrefois, le transportaient. Jadis, une telle doctrine d'ascétisme et d'humilité lui eût fait hausser les épaules, lui qui, aveugle envers lui-même, envers sa femme et les siens, avait fait son idéal de la conquête de l'argent...
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 296. − P. méton., HIST. RELIG. Doctrine chrétienne. Congrégation religieuse vouée à l'enseignement. Revêtu de sa première culotte, il avait été traîné par la tante à l'école des sœurs de la Doctrine (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 144).Noviciat chez les frères de la Doctrine chrétienne. Pendant quarante ans, appris à lire et à écrire aux enfants de neuvième (Bloy, Journal,1905, p. 275).Les écoles primaires sont avant tout diocésaines, les maîtres, choisis par l'évêque sont, en grand nombre des laïcs, souvent des frères de la doctrine chrétienne (Encyclop. éduc.,1960, p. 86). 3. Domaine philos., idéol.Doctrine métaphysique. On dirait, à entendre certains professeurs de philosophie, que le système de l'harmonie des nomades fut un produit bizarre de l'esprit de Leibniz. (...) Le seul défaut de la doctrine de Leibniz consiste dans l'hypothèse du préétablissement de l'harmonie, d'où résulte une solution apparente du problème qu'on ne fait pourtant que reculer (Renouvier, Essais crit. gén.,3eessai, 1864, p. 18).Une doctrine philosophique peut évoluer; elle est composée de pensées humaines qui sont groupées dans un ordre arbitraire et, par nature, provisoire (Martin du G., J. Barois,1913, p. 443).La sagesse antique ne séparait point la pensée de la vie. Et leur doctrine la plus constante visait à gouverner le corps afin de régler les passions (Alain, Beaux-Arts,1920, p. 233).Cf. aussi cohérent ex. 1 : 4. ... toute doctrine philosophique suppose une suite d'émotions qui l'accompagne. On peut considérer, par exemple, que la foi spiritualiste dans le Dieu personnel, le mérite et l'immortalité, enveloppe en elle des trésors de joie lucide et de vaillance, tandis que la foi panthéiste dans la communion de l'âme et de la nature produit, elle aussi, une joie profonde, mais enivrée et comme extatique. Tout au contraire, la conception de l'irrévocable écoulement de toutes choses roule dans ses replis d'étranges germes de tristesse...
Bourget, Nouv. Essais de psychol. contemp.,1885, p. 120. 5. Le jeu favori, pour les philosophes du Parc, était non point de mettre axiomes et doctrines à l'épreuve des événements, de vivifier les dogmes par l'observation et l'expérience, mais, au contraire, d'inscrire à toute force les matériaux de la vie dans les gabarits d'une idéologie vétilleuse et d'écarter avec dédain ce qui ne semblait pas se prêter à cette pratique.
Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 58. 4. Domaine pol., social.Doctrine économique, libérale, politique. Les paris sur structures nouvelles qui caractérisent la politique économique de tout état traduisent un mercantilisme inéliminable sans doctrine et sans rationalité (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 325).Doctrines marxistes qui continuent d'inspirer le raisonnement et la tactique des partis communistes (Lesourd, Gérard, Hist. écon.,1968, p. 168): 6. ... la masse de l'armée, longtemps maintenue dans un monde défensif, n'avait ni doctrine ni instruction. Incertaine de la voie à suivre, elle ne formait point un outil capable d'appliquer la rude doctrine de l'offensive; (...) c'est dans ce cadre qu'une jeune opinion ardente, croyant s'être bâti un corps de doctrine conforme aux traditions de la guerre, se laissait entraîner par son enthousiasme et sa foi jusqu'à des exagérations dangereuses.
Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, pp. 33-34. 7. Nous trouvons déjà la contradiction du régime stalinien aux prises avec sa philosophie officielle. Ou bien ce régime a réalisé la société socialiste sans classes et le maintien d'un formidable appareil de répression ne se justifie pas en termes marxistes. Ou il ne l'a pas réalisée, la preuve est faite alors que la doctrine marxiste est erronée et qu'en particulier la socialisation des moyens de production ne signifie pas la disparition des classes. En face de sa doctrine officielle, le régime est contraint de choisir : elle est fausse ou il l'a trahie.
Camus, L'Homme révolté,1951, p. 284. 5. Domaine sc.Méthode naturelle d'éducation physique, virile et morale, de G. Hébert, (...) cette doctrine est extrêmement simple et peut se résumer ainsi : « Retour systématique et raisonné aux conditions naturelles de vie (...) » (R. Vuillemin, Éduc. phys.,1941, p. 24).Il n'est pas question, dans la conception classique des mathématiques, de s'écarter de l'étude des nombres et des figures; mais cette doctrine officielle (...) ne laisse pas de constituer peu à peu une gêne intolérable, à mesure que s'accumulent les idées nouvelles (Bourbaki, Hist. math.,1960, p. 30): 8. Le système ou la doctrine ne sont rien autre chose qu'une idée théorique dont on ne vérifie plus les déductions logiques. Alors cette idée théorique n'est plus une vérité relative, mais une vérité absolue. (...) Le système ne diffère de la doctrine qu'en ce que le système est un ensemble clos de connaissances déduites de la théorie, tandis que la doctrine est plutôt déduite de la pratique. La doctrine représente plutôt un ensemble d'opinions qu'un ensemble d'idées. Cependant, on dit presque indistinctement : des systèmes de médecine ou des doctrines médicales.
C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 115. 6. Domaine littér., artistique.Doctrine littéraire. Poe montrait une voie, il enseignait une doctrine très séduisante et très rigoureuse, dans laquelle une sorte de mathématique et une sorte de mystique s'unissaient (Valéry, Variété II,1929, p. 149).Au moment où Pierre Corneille achève d'organiser en doctrine l'absolutisme de son art, l'absolutisme royal est prêt (Brasillach, Corneille,1938, p. 379).C'est toute la doctrine du surréalisme : l'esprit sans la raison, la raison étant caractérisée par une identité, du moins temporaire, de la pensée avec elle-même (Benda, Fr. byz.,1945, p. 187). B.− En partic. Prise de position ponctuelle, nettement et publiquement définie, d'une école de pensée ou d'un individu sur un problème spécial, généralement délicat et sujet à controverses; opinion bien arrêtée sur un point précis, interprétation, thèse. Doctrines contraires, opposées; se faire une doctrine, faire sienne la doctrine de. La véritable doctrine de l'immortalité : c'est le dogme même de l'humanité, considérée comme formant un seul être collectif, dogme qui se trouve expressément dans la bible (P. Leroux, Humanité,t. 2, 1840, p. 504).Pascal avec la doctrine du moi haïssable (Du Bos, Journal,1924, p. 145).Les doctrines de saint Thomas et de Duns Scot sur l'efficace des causes secondes et le redressement qu'ils ont fait subir à la doctrine augustinienne sur les problèmes des raisons séminales et de l'illumination sont exactement dans l'axe de la tradition chrétienne (Gilson, Esprit philos. médiév.,1931, p. 151).Ceux-là, comme Vialleton, acceptent la doctrine de l'évolution en ce sens qu'ils admettent une succession de changements dans le monde organique, mais ils rejettent le transformisme en tant qu'explication de ces changements par le seul jeu des forces matérielles (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 176): 9. Par sa doctrine de la nature et de la grâce, et de la subordination des fins, il [saint Thomas] nous fait comprendre la primauté des fins spirituelles sur les fins politiques, et du domaine universel de la grâce sur toutes les partialités de la nature. Par sa doctrine de la vie humaine et des vertus, il met en lumière le primat de la contemplation infuse, propre aux esprits élevés par la grâce au partage de la vie divine, sur l'action au dehors...
Maritain, Primauté du spirituel,1927, pp. 121-122. − Spéc., DR. Interprétation(s), opinion(s) propre(s) à tel(s) jurisconsulte(s) sur un point de droit. La substance de la chose est, pour ainsi dire, convertie en la personne du propriétaire, toujours présent sous les espèces ou apparences de ladite chose. Ceci est la pure doctrine des jurisconsultes. « La propriété, dit Toullier, est une qualité morale inhérente à la chose » (Proudhon, Propriété,1840, p. 245): 10. Après qu'un jurisconsulte a analysé avec le plus grand soin une question controversée, après qu'il a mis les principes de solution dans l'évidence la plus satisfaisante pour la raison, il ne peut pas, comme le géomètre, fournir au besoin la preuve expérimentale de la justesse de ses raisonnements et de l'exactitude de ses déductions. Il y a, entre la doctrine du jurisconsulte et celle du géomètre, une autre différence, bien importante aussi, provenant de ce que celle-ci a pour objet des idées et des rapports très simples, celle-là des idées et des rapports très complexes...
Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 397. Rem. Littré signale un sens partic. dans le domaine pol. : ,,Sous la Restauration, la doctrine, système politique qui, voulant concilier la monarchie avec la liberté, cherchait à y parvenir par un ensemble de dogmes politiques. L'ensemble des personnages politiques qui adhéraient à ce système.`` Chez Barbey d'Aurevilly, on rencontre un subst. fém. doctrinaille qui semble empl. dans cette dernière accept., avec la valeur supplémentaire du suff. péj. -aille. Lu la « Revue de Paris », un article sur la doctrinaille, ces pédants empesés qui ont la raideur des principes, sans les principes eux-mêmes. L'article vrai, au fond, mais écrit par un valet ministériel (Mémor. 2, 1838, p. 278). Prononc. et Orth. : [dɔktʀin]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1165 « enseignement, avertissement » (G. d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2699); 2. ca 1175 « ensemble de connaissances que l'on possède » (B. de Ste-Maure, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 2132); 1190 « ensemble de notions proposées comme fondement d'une religion, d'un système philosophique » (Herman, Bible ds Bartsch, Lang. et litt. fr., 108, 8); 1680 spéc. doctrine Crétienne (Rich.); 1690 (Fur. : Les Peres de la Doctrine Chrétienne); 1840 'dr. (Proudhon, loc. cit.). Empr. au lat. class.doctrina « enseignement » et « théorie, méthode », lat. chrét. « enseignement religieux; enseignement de Dieu ». Fréq. abs. littér. : 4 830. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 219, b) 5 215; xxes. : a) 5 152, b) 6 781. Bbg. Quem. 2es. t. 2 1971 (s.v. doctrinaille). − Ricken (U.). Zur Entwicklung des französischen Intellektualwortschatzes. Halle, 1963, t. 12, pp. 993-999. − Ritter E.. Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 403. |