| DOCTRINAIRE, subst. masc. et adj. A.− HISTOIRE 1. RELIG. CATH., vx. Membre de la Congrégation de la Doctrine* chrétienne. Par une sorte de prédestination qui s'accusait même dans les noms, il [Royer-Collard] avait fait ses premières études chez les Pères de la doctrine chrétienne, autrement dits Doctrinaires (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 4, 1846-69, p. 263). 2. HIST. POL. a) Subst. (gén. au plur.). Membre d'un parti politique fondé sous la Restauration par Royer-Collard et Guizot, caractérisé par ses opinions semi-libérales, semi-conservatrices, s'opposant à la fois à la souveraineté populaire et à la monarchie absolue, et soutenant la monarchie constitutionnelle. Les doctrinaires, les ambitieux, les intrigans de l'Empire et de la Restauration, habitués à vivre de nos servitudes devenues leur exécrable patrimoine (Lamennais, L'Avenir,1831, p. 352).Il effrayait par sa virulence le parti conservateur, tous les jeunes doctrinaires issus de M. Guizot (Flaub., Éduc. sent.,t. 1, 1869, p. 141).Ce qui a perdu Guizot, c'est l'orgueil, la confiance, cette certitude d'avoir raison (fût-on seul contre tous) qui est le cachet du doctrinaire; c'est ainsi qu'il a pratiqué la « politique à outrance » (Sainte-Beuve, Poisons,1869, p. 67): 1. La manière de ceux-là était d'être royalistes et de s'en excuser. Là où les ultras étaient très fiers, les doctrinaires étaient un peu honteux. (...) Leur dogme politique était convenablement empesé de morgue; ils devaient réussir. Ils faisaient, utilement d'ailleurs, des excès de cravate blanche et d'habit boutonné. Le tort, ou le malheur, du parti doctrinaire a été de créer la jeunesse vieille. Ils prenaient des poses de sages. Ils rêvaient de greffer sur le principe absolu et excessif un pouvoir tempéré. Ils opposaient, et parfois avec une rare intelligence, au libéralisme démolisseur un libéralisme conservateur.
Hugo, Les Misérables,t. 1, 1826, p. 744. Rem. Pour l'orig. de cette appellation, v. 1 supra. b) Adj. [En parlant d'une pers. ou d'une chose] Qui se rattache à ce parti politique ou qui le caractérise. Influences qui perdaient les jeunes gens, celle de l'école doctrinaire, majestueuse et stérile (Michelet, Peuple,1846, p. 32).Les débris de la grande armée ne songeaient pas à l'imputer [la chute de l'Empereur] au libéralisme doctrinaire, qui en avait pourtant bien pris sa bonne part (Sand, Hist. vie,1855, p. 415).La vanité de Guizot, sa raideur doctrinaire et son pédantisme (Vigny, Mém. inéd.,1863, p. 139).Cf. aussi ex. 1. Rem. On rencontre ds la docum. le verbe (se) doctrinariser. (Se) transformer en doctrinaire. Bien jeune, il [M. de Rémusat] apportait des idées et même des convictions déjà faites, un fond de pure gauche en politique, le culte philosophique de la raison et de la vérité; il se doctrinarisa pour la forme et pour l'agrément (Sainte-Beuve, Portr. littér., t. 3, 1844-64, p. 328). B.− Domaine pol. (en gén.), souvent péj. 1. Subst. Homme qui est strictement attaché à ses opinions politiques, figées en un système étroit, et qui cherche à les imposer comme doctrine, comme principe à suivre. Il est plus facile de s'annoncer comme réformateur, comme doctrinaire du bonheur humain, que de mettre en pratique la plus simple, la plus vulgaire de ses propres idées (...) d'être l'homme d'une théorie que d'un acte (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 421).Ceux qui représentent l'ouvrier sont tous des doctrinaires aux mains blanches. Quand (...) verrons-nous à l'œuvre des idées courtes peut-être, mais réelles, des idées sortant toutes neuves du travail et de l'outil? (Alain, Propos,1931, p. 987): 2. Je viens précisément de lire, avec une amère tristesse, l'écrit récent d'un célèbre doctrinaire de l'anarchie. Après une âpre satire − toujours facile et cent fois faite − de la société des hommes, ce théoricien révolutionnaire nous prophétise − pour quel lointain avenir et au prix de quelles sanglantes convulsions! − l'avènement d'un état social où tous recevront équitablement la nourriture du corps et de l'esprit...
Coppée, La Bonne souffrance,1898, p. 102. 2. Adj. [En parlant d'une chose] Qui se caractérise par un dogmatisme borné, une phraséologie péremptoire, etc. Tout ce qu'on dit là ces jeunes gens du « Globe » (...) ce jargon savantasse, cette cantilène doctrinaire (Delécluze, Journal,1825, p. 118).Le second facteur positif du communisme, c'est qu'il propose, lui aussi, une mystique. (...) C'est cette mystique qui permet à une dictature doctrinaire, intolérante, et parfois cruelle, de durer (Maurois, Mes songes,1933, p. 56). C.− Domaine idéol., souvent péj. 1. Subst. Homme qui soutient avec opiniâtreté et intransigeance ses idées, et qui cherche à les ériger en vérités absolues, à les imposer comme doctrine, modèles de valeur, règles d'action. Ses inconvénients [du rationalisme], c'est de produire les systématiques et les doctrinaires, qui ne sont que des rationalistes qui ne suivent pas assez sévèrement la méthode expérimentale (C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 78).Laissons les doctrinaires à leurs doctrines, les prêtres à leurs commandements (Maupass., Contes et nouv.,Caresses, 1883, p. 624).M. Brunetière est un doctrinaire. (...) Il aime juger. Il croit que les œuvres de l'esprit ont une valeur absolue (...) et cette valeur, il prétend la fixer avec précision (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 219). 2. Adjectif a) [En parlant d'une pers., d'un aspect de son comportement, de son caractère] Qui caractérise un individu imbu de théories et généralement étroit d'esprit, sectaire. L'esprit pédant, l'esprit professant et doctrinaire, les théories, les formules règnent là plus tyranniquement que partout ailleurs (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 140).Son accent [de Brunetière] professoral, doctrinaire, aux appuis périodiques et mordants (L. Daudet, Entre-deux guerres,1915, p. 206).Il n'y avait pas moins doctrinaire que ce libre groupement d'amis, très spécieusement qualifié de « chapelle » (Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. LXIII): 3. Si la psychorigidité croise la composante schizoïde, elle développe l'intolérance fanatique, notamment sous sa forme doctrinaire et logicienne; elle engendre alors le formalisme dogmatique et rituel et le pharisaïsme.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 745. b) [En parlant d'une chose abstr.] Qui fixe une doctrine ou se réfère à une doctrine; qui verse dans l'abus de théories, dans l'excès dogmatique. Ceux qui, trop fins pour croire au vrai, trouvent le scepticisme lui-même beaucoup trop doctrinaire (Renan, Avenir sc.,1890, p. 434).M'arrêter sur un raisonnement de pure logique, clore ou du moins suspendre le débat de la conscience par une affirmation doctrinaire, celle du déterminisme mental (Bourget, Actes suivent,1926, p. 30).La christologie d'un saint Paul, père de la dogmatique chrétienne, la philosophie religieuse d'un Origène, ou d'un saint Augustin, (...) tout l'immense et imposant effort du christianisme doctrinaire depuis dix-neuf siècles n'ont construit que systèmes éphémères (Weill, Judaïsme,1931, p. 219). Rem. 1. Dans cette catégorie, doctrinaire est parfois utilisé comme synon. de abstrait, conceptuel. La passion de Louis XVIII pour une correspondance galante (...) dernière expression de son amour qui devenait doctrinaire : il passait, y disait-on, du fait à l'idée (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 519). Il avait été habitué à un rationalisme doctrinaire et à des visions géométriques de la vie (Estaunié, Empreinte, 1896, p. 250). 2. On rencontre ds la docum. doctrinairement, adv. D'une manière doctrinaire, catégorique. Une conférence d'art, où il venait d'être doctrinairement proclamé que « l'art commence où la vie finit » (Goncourt, Journal, 1896, p. 956). Prononc. et Orth. : [dɔktʀinε:ʀ]. Ds Ac. 1835-1932. Étymol. et Hist. 1. xve-xvies. (?) adj. « qui constitue un enseignement, doctrinal » (Petit traicté d'alchymie, 562 ds Rose, éd. Méon, t. 4, p. 226), très rare; 2. 1652 subst. relig. (Balz. Socr. chrét. Disc., 10eds Littré), qualifié de ,,vieilli`` par DG; 3. av. 1787 subst. « celui qui élabore un système » (Necker ds Fér. Crit.); 4. pol. [Restauration] subst. 1816 d'apr. Duvergier de Hauranne, Hist. du gouvern. parlement., t. III, p. 534 ds Littré; 1831 (Balzac, Peau chagr., p. 44); 1825 adj. (Delécluze, loc. cit.); 5. 1836 adj. « qui a un caractère abstrait et étroit » (Chateaubr., Litt. angl., t. 1, p. 174). Dér. de doctrine*; suff. -aire*. Fréq. abs. littér. : 184. Bbg. Gohin 1903, p. 274. |