| DISSIPATION, subst. fém. A.− Action de disparaître en se dispersant, en s'anéantissant. 1. [En parlant de phénomènes naturels] Dissipation de la brume, du brouillard. Pour le [l'onguent de linaire] préparer on fait chauffer de la linaire fraîche en fleurs dans de la graisse de porc, sur un feu doux, jusqu'à dissipation complète de toute humidité (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog.,t. 2, 1821, p. 561). − P. ext., ÉLECTRON. Puissance totale (utile et perdue) que consomme un dispositif (d'apr. Électron. 1963-64). Dissipation d'énergie. L'accélération des corps célestes a comme conséquence un rayonnement électromagnétique, donc une dissipation de l'énergie se faisant ressentir en retour par un amortissement de leur vitesse (Poincaré, Mécan. nouv.,1909, p. 15). − P. métaph. ♦ [Concernant un état de conscience ou un objet immatériel] Un homme imaginait des féeries, et quantité de merveilles qui s'offraient à leur propre dissipation successive, car la création de l'esprit est, en vérité, une destruction indéfinie du beau par le plus beau, du laid par le hideux (Valéry, Mauv. pensées,1942, p. 168). ♦ [En parlant d'idées erronées] Aurait-il par hasard plus à redouter qu'à espérer de la dissipation des malentendus? (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 164). 2. P. anal. Action de dépenser follement ou avec prodigalité. Synon. dilapidation, gaspillage.La scandaleuse dissipation de sa fortune en des sottises (Rolland, J.-Chr.,Nouv. journée, 1912, p. 1535): 1. Petit à petit, les desseins prenaient de l'ampleur et de la fantaisie. Nous glissions à la dissipation, au gaspillage. De dépense imaginaire en dépense imaginaire, aux places de théâtre, aux folies.
Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 106. − Au plur. Il tenait (...) la plupart d'entre eux [les vices] pour de folles, de stupides dissipations : il avait un mépris d'avare pour ces prodigalités (Bernanos, Imposture,1928, p. 370). − P. métaph. D'immenses obstacles environnent les grands plaisirs de l'homme (...) en nécessitant une exorbitante, une prompte dissipation de ses forces (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 178). B.− Au fig. 1. Vieilli a) [Sans idée péj.] Action de se distraire, de se changer les idées. Vous avez encore plus besoin d'exercice et de dissipation que de consolation (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1563). b) État, comportement d'une personne qui mène une vie insouciante, livrée aux plaisirs et aux amusements. Mener une vie de dissipation. La dissipation du monde contemporain, de la vie mondaine. Synon. divertissement.Mademoiselle de Châteaubriant, dès ses premiers pas dans le monde de Chantilly, y sentit se développer des instincts de dissipation, de bel-esprit et de coquetterie (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 9, 1851-62, p. 187).Épicurisme et dissipation (Amiel, Journal,1866, p. 479): 2. Bernard s'en voulait un peu d'accepter ces sorties qui étaient à ses yeux les actes d'une dissipation mondaine du genre que ses amis et lui appelaient la complaisance : elles lui semblaient vraiment indignes de lui, il eût rougi de devoir les décrire à ses camarades dont il imaginait les railleries sans délicatesse.
Nizan, La Conspiration,1938, p. 126. − Au plur. Paris, surexcitant la vie, Centre des dissipations, Enivre l'homme et le convie À déchaîner ses passions (A. Pommier, Paris, poème humoristique,1866, p. 345).Les dissipations du cœur et des sens (Beauvoir, Mém., j. fille,1958, p. 244). Rem. On rencontre ds la docum. l'adj. dissipationnel, elle. Qui est relatif à la vie de dissipation qu'apporte le jeu. − (...) Tu veux te lancer dans ce que je nomme le système dissipationnel, et tu as peur d'un tapis vert! − Écoute, lui répondis-je, j'ai promis à mon père de ne jamais mettre le pied dans une maison de jeu (Balzac, Peau chagr., 1831, p. 173). 2. Dispersion inopportune (des facultés intellectuelles ou d'attention). Dissipation de l'esprit, dissipation d'esprit : 3. ... le seul bien ou la seule force à désirer dans la vie est la concentration, et presque le seul mal, la dissipation (...) je ressens douloureusement cette sorte de dispersion, d'émiettement que m'infligent les conditions de l'existence à Paris...
Valéry, Entretiens avec F. Lefèvre,1926, p. 143. − Au plur. Je dois consigner ici mes « concentrations », non mes dissipations (Gide, Journal,1907, p. 237). − Spéc., usuel, dans le lang. scol. Comportement, état d'un élève agité, turbulent, inattentif. Puis il [Grand-père] reprend : Conduite : « Pourrait être mieux. Fréquentes dissipations ». Application : « Aucune ». Maintien : « Bon » (Gyp, Souv. pte fille,1928, p. 150): 4. ... à la classe de M. Brard, j'informai, par gestes, Fontanet. (...) M. Brard observa mes gestes, les qualifia de dissipation et me donna une mauvaise note de conduite.
France, La Vie en fleur,1922, p. 290. Prononc. et Orth. : [disipasjɔ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1419 « destruction, anéantissement » (Ord., XI, 6 ds Gdf. Compl.); 2. av. 1654 « action de dépenser sans compter, gaspillage » (Guez de Balzac, 7ediscours sur la cour ds Littré); 3. 1675 « relâchement de l'application, de la contrainte » (Maintenon, Lett. abbé Gobelin, ibid.). Empr. au lat. class.dissipatio « dispersion; gaspillage ». Fréq. abs. littér. : 207. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 553, b) 166; xxes. : a) 134, b) 238. |