| DEVINER, verbe trans. A.− OCCULT. Découvrir ce qui est ignoré ou caché par le recours à des procédés occultes, à des pratiques magiques; en partic., prédire des événements futurs. Il prétendait deviner où était caché le trésor (Ac.) : 1. apollonius. − J'ai prédit l'empire à Vespasien. antoine. − Quoi! il devine l'avenir? serait-ce un enchanteur?
Flaubert, La Tentation de St Antoine,1849, p. 297. − Absol. Prédire. L'art de deviner est une chimère (Ac.). − Spéc., dans le domaine parapsychol. ♦ [Dans le cadre de la télépathie] Connaître par transmission de pensée : 2. Myers et Gurney essayèrent de transmettre des noms propres et obtinrent des succès très nets, les percipients devinant, à une ou deux lettres près, les noms auxquels songeaient les agents.
Amadou, La Parapsychologie,1954, p. 109. ♦ [Dans le cadre de la précognition] Préconnaître. Deviner à l'avance. Connaître d'avance : 3. ... Rhine s'attacha, dès le début de ses recherches, au problème de la précognition. Un sujet devait deviner à l'avance l'ordre des cartes d'un jeu.
Amadou, La Parapsychologie,1954p. 226. B.− Usuel 1. [P. oppos. à (re)connaître par la perception; ce qui fait l'obj. de l'acte de deviner se situe dans le prés.] a) Domaine de la vue.Deviner qqc. ou qqn.Le distinguer, le voir, le reconnaître avec plus ou moins de précision malgré ce qui le dérobe à la vue. Deviner qqc. ou qqn dans la nuit. Cacher et montrer, ou plutôt laisser deviner et laisser voir, ce sont les deux objets du corsage (Léoty, Corset,1893, p. 98).Par terre un linoléum délavé où l'on devine à peine le dessin à grosses fleurs (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 292): 4. Je gravis d'un pas lourd les degrés de mon escalier. (...) je devine, plutôt que je ne la vois, une robe qui descend avec un bruit de soie froissée.
France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 279. − Emploi pronom. à sens passif. Tout son corps se devinait, se voyait sous le tissu léger (Zola, Nana,1880, p. 1118).Sous les joues se devinait le relief des dents (Billy, Introïbo,1939, p. 16). b) Domaine des autres sens.[P. oppos. à (re)connaître par l'ouïe, entendre; (re)connaître par l'odorat, sentir] Deviner (un son); deviner (une odeur). Un léger murmure, qu'il fallait deviner, soupçonner, plutôt qu'on ne pouvait l'entendre (Péguy, V.-M., comte Hugo,1910, p. 819): 5. Et c'est samedi de paie ce soir! En quittant l'école, j'ai perçu, deviné, flairé un brouhaha, un éclairage, une odeur de grande liesse commençante...
Frapié, La Maternelle,1904, p. 217. − Par brachylogie. Deviner un fromage. Deviner la qualité d'un fromage. Tâter la croûte, mesurer l'élasticité de la pâte, deviner un fromage (Colette, Pays. et portr.,1954, p. 175). − Emploi pronom. à sens passif. Les mots se devinaient plutôt qu'autre chose dans cette bouche sans dents (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 251). c) Domaine de la perception en gén.Deviner le regard de qqn. Sentir plus ou moins confusément que quelqu'un nous regarde : 6. ... je sentais ses yeux sur moi. J'ai le don, paraît-il, de deviner les regards qui m'atteignent sans rencontrer les miens. Beaucoup de gens croient posséder aussi cette faculté mystérieuse; mais, en réalité, il n'y a point de mystère et nous sommes avertis par quelque indice si léger qu'il nous échappe.
France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 309. 2. [P. oppos. à connaître par l'esprit, savoir] a) [Le fait sur lequel porte l'acte de deviner se situe dans un avenir plus ou moins proche] Deviner (qqc. qui est à venir). Le prévoir avec plus ou moins de précision, le pressentir, l'imaginer. Ce bougre-là [Rimbaud] a deviné et créé la littérature qui reste toujours « au-dessus » du lecteur (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1906, p. 411).Elle fumait (...) en le regardant (...), d'un air hostile. Elle allait ouvrir la bouche et Henri devinait sa voix indignée (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 139): 7. ... il [Proust] donna en 1914 Du Côté de chez Swann (...). On en parla dans quelques cercles comme d'un livre curieux et original, mais sans deviner l'étonnant renouveau qui devait sortir de là.
Thibaudet, Réflexions sur la litt.,1936, p. 185. − CHASSE, par brachylogie. Deviner l'animal. Deviner le comportement de l'animal que l'on chasse : 8. Pour quitter la forêt Thibaud le sanglier devait traverser un petit bois (...), et de là, reprendre la plaine, ce fut dans cet endroit que les chasseurs qui avaient deviné l'animal allèrent se poster.
La Hêtraie, La Chasse, vén., fauconn.,1945, p. 186. b) Deviner qqc.Découvrir quelque chose que l'on ne sait pas, et que l'on cherche à connaître le plus souvent, par des voies diverses non rationnelles (intuition, perspicacité, observation, comparaison, interprétation, supposition, conjecture, etc.) en ayant le sentiment d'être dans le vrai. MmeRostand devine d'instinct si une chose est bonne ou mauvaise. Elle ouvre un livre, lit deux pages, est fixée (Renard, Journal,1895, p. 278): 9. ... j'ai pris comme règle de pratique cette maxime (...) : « Ce que l'on suppose d'après un raisonnement n'est jamais vrai ». Vous devinez ce qui a été dit dans un entretien secret; vous raisonnez brillamment, et je n'ai rien à dire contre vous que ce petit mot (...) : « Il n'en est rien. »
Alain, Propos,1929, p. 868. SYNT. Deviner instinctivement, facilement, confusément qqc.; deviner qqc. par intuition, du premier coup d'œil, peu à peu; deviner la vérité; deviner la cause; deviner les sentiments, les intentions, le but de qqn; laisser deviner qqc. à qqn; ne rien laisser deviner de sa pensée; il est facile, impossible de deviner que; il est difficile de deviner pourquoi, comment; c'est bien simple à deviner. − Emploi pronom. réfl. Les passants dévisageaient Renée, et Gilbert se devinait envié (Arland, Ordre,1929, p. 231). ♦ Emploi pronom. à sens passif. La suite se devine; ça se devine. Où va-t-on? − On néglige de nous l'apprendre. Mais ça se devine (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 89). ♦ Emploi abs. Comment avait-elle su? Peut-être simplement qu'il y a ainsi une science du cœur qui devine, non de la tête, mais du cœur (Ramuz, A. Pache,1911, p. 264).L'esprit se forme à deviner; l'esprit lance des ponts sur des abîmes (Alain, Propos,1914, p. 176). − Loc. fam. ♦ (Vous) devinez le reste. Après ce que je vous ai dit, vous en savez assez pour conjecturer, découvrir sans peine ce qu'il vous reste à apprendre. (Attesté notamment ds Ac.). ♦ Je vous le laisse à deviner. La chose étant aisée, je vous laisse conjecturer, découvrir (ce dont il s'agit). (Attesté notamment ds Littré). ♦ [Pour exprimer combien ce à quoi on fait allusion est inimaginable] Je vous le donne à deviner en dix, en cent, en mille. Ce dont il s'agit est tellement inimaginable que vous n'avez pas une chance sur dix, sur cent, sur mille de le conjecturer, de le découvrir par vous-même. (Attesté notamment ds Ac.). ♦ Par dérision. Deviner les fêtes quand elles sont venues. Dire, annoncer une chose connue de tous avec la conviction de surprendre son interlocuteur. (Attesté notamment ds Littré). c) [Dans la conversation fam.] ♦ [Avec un sens affaibli, dans des expr. servant à présenter qqc. que l'on pose comme étant connu, certain] Vous devinez pourquoi, comment...; vous devinez bien que...; on devine bien... Le soir même, un journal raconta ce duel avec les plaisanteries que l'on devine (Arland, Ordre,1929, p. 170).Elle est venue ici, elle s'est sauvée de chez vous. Vous devinez pourquoi, je présume (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 99). ♦ À l'impér. : 10. « Qu'est-ce qui te prend? » m'a-t-elle demandé en riant, exactement comme je l'avais prévu...
− Qu'est-ce que tu lui faisais?
− Devine...
Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 90. ♦ [Gén. sous une forme plais.; p. allus. à deux vers de Corneille, dans Héraclius, IV, 5 : Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses. L'un des deux est ton fils, l'autre est ton empereur et à l'extrême perplexité où ils plongent le tyran Phocas qui se trouve ainsi confronté à deux enfants dont il ignore lequel est son fils Martian, l'autre étant Héraclius à qui doit revenir l'Empire et dont Phocas veut la mort; pour exprimer le grand embarras où l'on se trouve parfois lorsque l'on doit choisir entre deux partis également forts] Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses. − Spéc. [Dans le cadre d'un jeu d'esprit; le compl. d'obj. désigne une devinette, une charade, un rébus, une énigme] Deviner une charade, un rébus, etc. En trouver la solution. Sphinx d'un nouveau genre, c'était contre celui qui devinait ses énigmes que se tournait sa fureur (Staël, Consid. Révol. fr.,t. 2, 1817, p. 55). ♦ Absol. Deviner juste, bien deviner. (Attesté ds Rob. et Quillet 1965). ♦ Loc. fig., fam. [En parlant de qqc. d'obscur, de difficile à comprendre] C'est une énigme à deviner. (Attesté ds Littré). P. ext. [En parlant de qqn qui est obscur dans ses paroles, ses écrits] Il faut toujours le deviner. (Attesté ds Littré). 3. Au fig. a) Deviner qqc. (chez qqn).Distinguer, reconnaître plus ou moins confusément quelque chose (chez quelqu'un) bien que cela ne soit pas apparent, évident; le pressentir, l'entrevoir, en prendre plus ou moins conscience. Sous le désordre de vos vêtements, je devine un homme de la première qualité (Milosz, Amour. initiation,1910, p. 11).Elle nous regardait avec un sourire où je devinais de l'amusement et du défi (Maurois, Climats,1928, p. 61).Homme discret, qui laissait deviner ses sentiments plus qu'il ne les montrait (L. Febvre, Combats pour hist.,Dom Bernard Berthet, 1950, p. 416): 11. ... je me rappelle cette Odette si distinguée, si calme, si bien élevée... un peu farouche... mais dont j'avais deviné la noblesse...
Chardonne, L'Épithalame,1921, p. 322. b) Deviner qqn
α) [Sans compl. second.] Pénétrer la personnalité profonde de quelqu'un, déceler ses pensées, percer ses intentions, etc. S'il [le Grand-Serin] feint, rusé comme une bête, d'oublier qu'il me convoite, il ne montre pas non plus l'appétit de me découvrir, de me questionner, de me deviner (Colette, Vagab.,1910, p. 104): 12. ... pour pouvoir cacher sa pensée, il faut n'en avoir qu'une seule. Tout homme complexe se laisse facilement deviner. Aussi tous les grands hommes sont-ils joués par un être qui leur est inférieur.
Balzac, Théorie de la démarche,1833, p. 629. − En partic. ♦ Déceler la valeur, les qualités cachées de quelqu'un : 13. chameroy. − J'avais mieux que la fortune (...) j'avais des aptitudes commerciales (...) Ton père me devina... c'était un homme sans grande éducation, sans littérature (...) mais qui avait le coup d'œil juste ...
Labiche, La Cigale chez les fourmis,1876, 1, p. 194. ♦ Reconnaître, identifier quelqu'un. Être communiste ou fasciste, (...) c'est deux attitudes en face de la vie, deux manières d'être; (...) je devine un communiste dans la rue, à sa démarche (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 15): 14. richon. − Êtes-vous sûre de n'avoir pas été reconnue par lui?
la kiourlette. − On reconnaît mal ceux qu'on n'a jamais vus.
richon. − Aussi est-ce deviné que j'aurais dû dire.
Dumas père, La Guerre des femmes,1849, I, 2, p. 37. À la forme passive. Être deviné; se savoir, se sentir deviné. Comprenant sans doute qu'elle allait être devinée, soudain elle laissa échapper son secret (Ramuz, A. Pache,1911, p. 151).
β) Emploi pronom. réciproque. Se deviner (l'un l'autre/ réciproquement/mutuellement, etc.). − Se découvrir, se pénétrer, se comprendre mutuellement : 15. ... il y a entre Gide et moi (...) quelque chose de l'ordre (...) de la faculté de se suivre, de s'adapter instantanément, de se deviner avec bonheur...
Valéry, Lettres à quelques-uns,1945, p. 67. − Se reconnaître, s'identifier réciproquement : 16. Le Libéral et le Royaliste s'étaient mutuellement devinés malgré la savante dissimulation avec laquelle ils cachaient leur commune espérance à toute la ville.
Balzac, La Vieille fille,1836, p. 279.
γ) [Avec un compl. second.] Deviner qqn + attribut de l'obj.Pressentir que quelqu'un est [+ compl. déterminatif]. Je la devinais, à son silence, saisie comme moi par ce cimetière d'eaux mortes (Gracq, Syrtes,1951, p. 90). Rem. On rencontre ds la docum. devinable, adj., rare. Qu'il est possible de deviner. Les maladies bizarres sont bizarres parce que leurs symptômes n'ont aucun lien visible et anatomique (...). Mais comme on suit tout de même le vacillement de l'énergie générale! la vie par unité de temps a des théorèmes encore inconnus mais quasiment devinables (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1901, p. 388). Prononc. et Orth. : [d(ə)vine], (je) devine [d(ə)vin]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1155 « découvrir par conjecture, intuition » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 12413); 2. ca 1160 « découvrir par des moyens surnaturels, prédire » (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 2204); 3. 1657-62 deviner qqn (Pascal, Pensées, section 1, no56). Du lat. class. divinare « deviner, présager », devenu par dissimilation en b. lat. *devinare. Fréq. abs. littér. : 5 740. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 971, b) 8 866; xxes. : a) 8 064, b) 8 861. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 244, 287, 453. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 402. |