| DETTE, subst. fém. A.− Obligation qu'un débiteur est tenu d'exécuter envers son créancier (personne ou organisme), en particulier somme d'argent qu'il est tenu de lui payer. Avoir, contracter, faire une dette, des dettes; être en dette avec qqn; être accablé, abîmé, criblé, perdu de dettes. Anton. créance, actif, avoir.Souvent elle avait des embarras d'argent et, pressée par une dette, le priait de lui venir en aide (Proust, Swann,1913, p. 267): 1. Je déteste qu'on me roule; mais ce que je dois, je le paie. Vous dénoncez mon avarice; il n'empêche que je ne puis souffrir d'avoir des dettes : je règle tout comptant; mes fournisseurs le savent et me bénissent. L'idée m'est insupportable de devoir la moindre somme.
Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 99. 1. Loc. proverbiales. Qui paie ses dettes s'enrichit; cent ans de chagrin ne paient pas un sou de dettes; qui épouse la veuve épouse les dettes. 2. Syntagmes usuels. Dette d'argent, de jeu; dette sacrée, énorme, légère, lourde, minime, insignifiante, chirographaire; grosse, petite dette; acquitter, éteindre, liquider, payer, rembourser une dette, des dettes, ses dettes; avouer, nier une dette; se libérer de ses dettes; avoir des dettes par-dessus la tête; n'avoir pas un sou de dette; être hors d'état de payer ses dettes; amortissement, annuité, capital, échéance, exigibilité, extinction, garantie, intérêts d'une dette. 3. Syntagmes spéc. a) Dette criarde (cf. criard A 3). b) Dette d'honneur. Celle pour laquelle la loi refuse action judiciaire, et que l'on s'engage à rembourser sur l'honneur (en particulier une dette de jeu). M. Chanor se chargeait alors de payer quatre mille francs dus à MM. Léon de Lora et Brideau, une dette d'honneur (Balzac, Cous. Bette,1847, p. 203).Vous savez que j'ai mal géré cette propriété que mon fils tient de sa mère. Il va exiger les huit mille roubles que je lui dois. (...) Et, d'ailleurs, c'est pour moi une dette d'honneur (Camus, Possédés,1959, 1repart., 2etabl., p. 952). − Dette de jeu. Dettes sacrées du jeu, qu'on acquittait autrefois dans les vingt-quatre heures (Jouy, Hermite,t. 1, 1811, p. 293);cf. aussi Code civil, 1804, art. 1965, p. 353). c) Reconnaissance de dette. Acte écrit attestant que le débiteur a une dette envers le créancier. Signer une reconnaissance de dette : 2. Blanche lui a fait signer une reconnaissance de dettes... Ce n'était pas drôle. Il fallait du cran... Elle en a eu pour dix ans de procès; mais à la fin, elle a été payée intégralement, et avant tous les autres créanciers. C'est beau, ça.
Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, p. 216. d) Remise de dette. ,,Abandon par le créancier de ses droits à être payé`` (Lar. encyclop.). − Spéc. [Dans la prière du Notre Père] Pardon des offenses. Remets-nous nos dettes comme nous remettons celles de nos débiteurs, pardonne-nous comme nous pardonnons (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 164): 3. De même pour la remise des dettes (ce qui ne concerne pas seulement le mal que les autres nous ont fait, mais le bien qu'on leur a fait). Là encore on accepte un vide en soi-même. Accepter un vide en soi-même, cela est surnaturel.
Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 21. e) Prisonnier de/pour (la) dette (vx). Personne détenue pour dettes. Les prisonniers pour dette, à Sainte-Pélagie, s'échappèrent (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 600). ♦ Prison, détention pour dettes : 4. ... la détention pour dettes est un fait judiciaire si rare en province que, dans la plupart des villes de France, il n'existe pas de maison d'arrêt. Dans ce cas, le débiteur est écroué à la prison où l'on incarcère les inculpés, les prévenus, les accusés et les condamnés.
Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 730. f) Spéc., DR. ♦ Dette active, passive (cf. actif I C 7). ♦ Dette certaine (cf. Code civil, 1804, art. 2213, p. 406). ♦ Dette civile. Celle qui résulte d'une opération non commerciale. Et l'arrêté plus indigne encore qui ordonnait la contrainte par corps pour dettes civiles (Marat, Pamphlets, Appel à la Nation, 1790, p. 127). ♦ Dette communale. Pour faire face aux charges d'équipement, de construction des bâtiments administratifs, scolaires, etc., les communes sont obligées de solliciter des emprunts auprès de différentes caisses nationales ou privées. (...) la commune doit rembourser chaque année la part de capital et les intérêts. Ce sont ces dépenses que l'on appelle « dette communale » (Fonteneau, Conseil munic.,1965, p. 63). ♦ Dette commerciale. Celle qui résulte d'une opération de commerce. Article 1erde la loi de 1832, qui, nettement, établit la contrainte par corps pour dettes commerciales (Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 97). ♦ Dette exigible. Celle dont le créancier peut actuellement exiger le paiement. Il faudrait faire mettre le bail (avec antidate) au nom d'un de mes fils majeur (Victor, en ce cas, car Charles a des dettes exigibles). Le propriétaire, surtout en payant deux termes d'avance, ne s'y refuserait pas (Hugo, Corresp.,1851, p. 37). ♦ Dette hypothécaire. Celle qui est garantie par un droit spécial sur les immeubles du débiteur (cf. Code civil, 1804, art. 876, p. 159). ♦ Dette liquide. Celle dont l'existence est certaine et le montant déterminé (cf. ibid., art. 2213, p. 406). ♦ Dette personnelle. Celle qui donne au créancier contre le débiteur une action personnelle (p. oppos. à la dette de communauté entre deux époux) (cf. ibid., art. 1478, p. 271). Depuis cette époque jusqu'en 1831, je ne possédais pas une obole, je ne pris pas cent sous dans la bourse commune sans les demander à mon mari, et quand je le priai de payer mes dettes personnelles au bout de neuf ans de mariage, elles se montaient à cinq cents francs (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 63). ♦ Dette solidaire. Le codébiteur d'une dette solidaire (Code civil,1804, art. 1214, p. 218). B.− ÉCON. POL., FIN. 1. Dette publique, dette de l'État. Ensemble des dettes de toute nature, résultant généralement d'emprunts, contractés par un État et qu'il doit rembourser à ses concitoyens (dette intérieure) ou à un autre État (dette extérieure). Dette à court, moyen, long terme. À la mort de François Ier, la dette publique en France était de trente mille livres de rente (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 799): 5. La paix trouve notre économie privée d'une grande partie de ses moyens de production, nos finances écrasées d'une dette publique colossale, nos budgets condamnés pour longtemps à supporter les dépenses énormes de la reconstruction.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 234. − Synon. rare dette nationale.Le plan de liquidation de la dette nationale, par l'établissement d'un fonds d'amortissement, 1786 (Chateaubr., Essai Révol.,t. 1, 1797, p. 218): 6. ... malgré les conquêtes napoléoniennes et le blocus continental qui tripla la dette nationale, contraignit l'aristocratie à hypothéquer ses terres et réduisit le peuple à la misère, la capitale recueille un magnifique bénéfice de ses douze années de guerre; c'est que seule elle était outillée pour financer une coalition universelle.
Morand, Londres,1933, p. 42. − Synon. ell. la Dette.Contrôleur de la Dette (cf. Proust, Filles en fleurs, 1918, p. 434). L'obligation d'éteindre la dette provoque une contraction des réserves-or chez le pays emprunteur et, si la circulation obéit aux règles classiques, une pression déflationniste (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 382). − Dette extérieure : 7. En 1852, le gouvernement grec désespérait de payer jamais les intérêts de la dette extérieure. Il se promettait seulement de témoigner sa bonne volonté aux trois puissances en leur donnant 400.000 drachmes par an.
About, La Grèce contemporaine,1854, p. 322. − Dette intérieure : 8. J'ai compris dans la dette intérieure le traitement de disponibilité qu'on paye à trois cents officiers, sous-officiers et marins.
About, La Grèce contemporaine,1854p. 317. 2. Dette commerciale (DR. FISCAL). Partie de la dette extérieure consistant dans des emprunts souscrits sur des marchés étrangers ou contractés envers des banques étrangères (cf. Cap. 1936). Anton. dette politique. 3. Dette politique. Partie de la dette extérieure consistant dans des avances consenties par un gouvernement étranger (cf. Cap. 1936). Anton. dette commerciale. 4. Dette perpétuelle. Dette au remboursement de laquelle aucun terme n'a été fixé, et dont seuls les intérêts sont exigibles : 9. Enfin, la bourgeoisie détenait la plus grande partie des titres de la dette publique : elle fit donc principalement les frais du réaménagement des dettes perpétuelle et viagère par Cambon, de la liquidation Ramel, du discrédit continu de la rente sous le Directoire, du paiement des coupons en bons sans valeur.
Lefebvre, La Révolution fr.,1963, p. 563. 5. Dette à long terme. Dette publique dont l'échéance est éloignée (cf. Lemeunier 1969). 6. Dette remboursable. Celle dont l'échéance est déterminée, et qui se compose de la dette flottante, de la dette à long terme et de la dette viagère. ,,La dette (publique) est soit remboursable en principe à une date fixée, soit perpétuelle`` (Barr. 1974). 7. Dette flottante. Partie de la dette publique, à court terme, constituée par l'ensemble des emprunts à moyen et à court terme. ,,Dette du Trésor envers les particuliers sous forme de Bons du Trésor, montant des fonds versés en compte courant au Trésor`` (Barr. 1974). 10. ... une dette flottante n'est pas dangereuse si elle peut être remboursée le cas échéant par un recours à l'institut d'émission, recours ne dépassant pas ce qu'autorise le niveau de l'encaisse-or.
Baudhuin, Crédit et banque,1945, p. 152. ♦ P. métaph. : 11. ... il entretenait toujours sur la place un certain crédit qu'il appelait sa dette flottante; et comme on savait qu'il avait l'habitude de rendre dès que ses ressources personnelles le lui permettaient, on l'obligeait volontiers quand on le pouvait.
Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 29. − Synon. dette à court terme.D'autre part, la circulation fiduciaire et la dette à court terme atteignent respectivement 630 et 602 milliards, soit trois fois plus qu'avant la guerre (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 36). 8. Dette viagère. Partie de la dette publique représentée par les pensions (retraite, invalidité) versées par l'État aux particuliers (cf. ex. 9). 9. Dette consolidée. Partie de la dette publique, à long terme, constituée par l'ensemble des emprunts à long terme, à savoir la dette perpétuelle et la dette à long terme, inscrite sur le Grand Livre de la Dette (publique) et dont les intérêts et amortissements font partie du budget de l'État (cf. Admin. 1972, Barr. 1974); cf. aussi consolidé II B. 10. Dette inscrite. Celle qui, constituée de la dette consolidée et de la dette viagère. est portée sur le Grand Livre de la Dette publique (cf. Cap. 1936). 11. Dette d'État. ,,Emprunts émis par le gouvernement précédent, à la charge du gouvernement suivant`` (Cap. 1936, Rob.). Anton. dette de régime. 12. Dette de régime (DR. FISCAL). ,,Celle qui ne concerne que le gouvernement qui l'a contractée et n'engage pas les gouvernements futurs`` (Cap. 1936). Anton. dette d'État. C.− Au fig. Obligation morale contractée envers une autre personne pour un bienfait reçu ou un service rendu, et devoir que cela entraîne. Dette sacrée, d'amitié, de reconnaissance; acquitter une dette de reconnaissance envers qqn. Synon. devoir, engagement, obligation.Nous venons de contracter une dette de reconnaissance envers vous. Pour sauver notre enfant, vous avez risqué votre vie! (Verne, Île myst.,1874, p. 375): 12. En outre − et ce n'est pas la moindre des dettes que j'ai contractées envers l'École [des Chartes] − j'y ai été soumis à une certaine méthode de travail, à une certaine discipline intellectuelle et morale, qui me sont devenues une seconde nature.
Martin du Gard, Souvenirs autobiographiques,1955, p. LI. − P. ext. 1. Payer sa dette à (loc. où dette signifie tribut, chose pénible à supporter) ♦ Payer sa dette à la justice, à la société. Purger sa peine, et spéc., purger la peine de mort, être exécuté. Everard payait sa dette à la pairie. Il était en prison (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 381): 13. Même lorsque le meurtrier est seul en face de sa victime, il serait aisé de lui trouver des complices chez les morts et chez les vivants. Pourtant, lui seul est jugé, lui seul paye sa dette.
Mauriac, Journal 3,1940, p. 285. ♦ Payer sa dette à la patrie. Faire son service militaire. Le temps serait venu où une fille n'eût pas voulu d'un garçon qui n'aurait pas acquitté sa dette envers la patrie. Et c'est dans cet état seulement, ajoutait-il, que la conscription aurait acquis la dernière mesure de ses avantages (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 310): 14. Laissez la petite vanité de l'épaulette aux demi-sots; l'essentiel, pour une âme comme la vôtre, est de payer noblement votre dette à la patrie; l'essentiel est de diriger avec esprit vingt-cinq paysans qui n'ont que du courage; ...
Stendhal, Lucien Leuwen,t. 1, 1836, p. 165. ♦ Payer sa dette à la nature. Mourir. Synon. payer tribut à la nature : 15. ... après avoir justifié son choix par des travaux qui lui assignent sa place entre les Newton, les Leibnitz et les Euler, il [Lagrange] a payé sa dette à la nature, en léguant ses ouvrages et sa mémoire à des hommes dignes d'apprécier un pareil héritage.
Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 4, 1813, p. 354. P. anal. Payer un tribut à... : 16. Je suis perclus de rhumatismes, et par eux cloué à mon fauteuil. Je paie une dette à l'affreuse bise qui désole éternellement Tournon. Il fait un vent à décorner les maris de quatre lieues à la ronde. Je souffre des pieds et ne puis marcher; ...
Mallarmé, Correspondance,1863, p. 97. 2. Vx, fam. Avouer la dette, confesser la dette. ,,Reconnaître qu'on a tort, convenir d'un fait qu'on voulait cacher. On dit dans le sens contraire Nier la dette`` (Ac. 1835-1932) : 17. Les flots de sensations nouvelles produites par un succès si étonnant faisaient un peu perdre terre au bon sens de M. Leuwen, et c'est ce qu'il avait honte d'avouer, même à sa femme. Après des discours infinis, M. Leuwen ne put plus nier la dette. − Eh! bien, oui, dit-il enfin, j'ai un accès d'ambition, ...
Stendhal, op, cit.,t. 3, 1836, p. 312. Prononc. et Orth. : [dεt]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1174-76 dete « ce que l'on doit à quelqu'un » (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 2536). Du lat. debita, fém. tiré du plur. de debitum « dette », part. neutre substantivé de debere (devoir*). Fréq. abs. littér. : 2 045. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 604, b) 3 429; xxes. : a) 2 254, b) 1 574. DÉR. Dettier, subst. masc.,,Individu soumis à la contrainte par corps`` (Cap. 1936). La communication n'était pas tout à fait interdite entre ces prisonniers si divers [de Sainte-Pélagie] (...) les dettiers envoyaient des journaux; on leur rendait la politesse en provisions de bouche (Nerval, Bohême galante,1853, pp. 118-119).On a ces belles, on les dompte, (...) Vivons! Et l'on sort d'Amathonte Par le corridor des dettiers (Hugo, Chans. rues et bois,1865, p. 64).− 1reattest. 1841 (Joigneaux, Prisons Paris, p. 67); de dette, suff. -ier*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Gottsch. Redens. 1930, p. 150, 237. − Kohlm. 1901, p. 40. − Quem. 2es. t. 1 1970. |