| DESSIN, subst. masc. A.− Au sing. 1. Art de représenter des objets (ou des idées, des sensations) par des moyens graphiques; p. méton., ensemble des procédés relatifs à cet art. Apprendre le dessin; académie, atelier, école, maître de dessin. L'art de la fragmentation du ton est né dans les pays gris (Watteau, Chardin...), tandis que l'art du dessin, le goût naturel de la forme définie s'est maintenu dans les pays de la lumière vive (Mauclair, De Watteau à Wistler,1905, p. 198).Renoncer à une grammaire du dessin acceptée depuis la Renaissance (Hourticq, Hist. Art,Fr., 1914, p. 434). ♦ Arts du dessin. Des trois grands arts qui font l'objet de ce livre, l'architecture, la sculpture et la peinture, il n'y en a qu'un seul à qui la couleur soit nécessaire; mais le dessin est tellement essentiel à chacun de ces trois arts, qu'on les appelle proprement les « arts du dessin » (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p. 21). − Domaine scol.Cet art considéré comme matière enseignée dans les écoles. Classe, épreuve, professeur de dessin. Un excellent élève. Bonnes notes en philo (...), un peu faible pour les math et le dessin (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 297).Premier en toute matière : arithmétique, dessin, hygiène sociale (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 224). 2. Acte de représenter des objets (ou des idées, des sensations) à l'aide de traits exécutés sur un support, au moyen de matières appropriées. Faire du dessin : 1. Pauvre chère vieille femme, je devrais bien aujourd'hui savoir faire son portrait, tant je m'y suis exercé jadis, car j'avais alors la manie du dessin et elle était le plus complaisant des modèles, et je ne parviens pas seulement à revoir son visage.
Guéhenno, Journal d'un homme de 40 ans,1934, p. 26. a) Représentation artistique de l'apparence des objets (ou représentation non figurative) par des moyens appropriés. − [Le déterm. éventuel précise la nature du modèle ou le support, la matière, la techn., le style de la représentation] Dessin lithographié, à l'encre, au fusain, au pastel. Dessins à la main dus à des artistes qui emploient les moyens les plus divers (dessin au trait, à la plume, au crayon, lavis, gouache) (Civilis. écr.,1939, p. 1001).L'écriture et le dessin utilitaire ont des doubles : le signe mystérieux, le dessin figuratif, lui-même dédoublé en dessin abstrait (Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 161). ♦ Dessin aux deux crayons. Dessin au crayon noir sur du papier teinté avec rehaut de crayon blanc ou au crayon noir et à la sanguine sur papier blanc (d'apr. Adeline, Lex. termes art, 1884). ♦ Dessin au trait, dessin linéaire. Dessin qui représente le contour des objets sans indiquer leur modelé ou leur relief. Ces illustrations se caractérisent par leur simplicité. Peu ou pas d'ombres, le dessin au trait, parfois enluminé de teintes plates (Civilis. écr.,1939, p. 3010): 2. ... cette technique du dessin linéaire, par laquelle la sensation du relief, de la lumière, et même de la matière, s'obtient sans l'intervention des ombres (...), par la seule souplesse de la plume le long des contours.
Arts et litt. dans la société contemp.,1935, p. 2814. b) Représentation linéaire de la forme des objets, qui s'exécute à des fins scientifiques, techniques ou industrielles. Carton, papier, planche, table à dessin; échelle d'un dessin. Le dessin normalisé dit dessin industriel (Capelle, Éc. demain,1966, p. 61): 3. L'enseignement pratique est consacré essentiellement au dessin professionnel, à la technologie et à l'atelier. L'apprenti s'initie au dessin industriel, il apprend à lire et comprendre un dessin, à exécuter les dessins normalement utiles dans la profession.
Encyclop. pratique de l'éduc. en France,1960, p. 166. B.− P. méton., au sing. et au plur. 1. Composition artistique exécutée au crayon, à la plume ou au pinceau. L'autre, un dessin aux deux crayons, n'est qu'une contre-épreuve de Watteau (Goncourt, Journal,1894, p. 689).Tu me disais [Jean Giraudoux] que mes dessins étaient une écriture. Je trouve que ton écriture était du dessin (Cocteau, Foyer artistes,1947, p. 219): 4. Le beau d'un dessin japonais représentant un oiseau, c'est que ce dessin, avec ses abréviations et le rendu seulement de ce que l'oiseau offre de caractéristique, on pourrait dire que c'est la synthèse de l'oiseau.
Goncourt, Journal,1891, p. 101. − Loc. fig. fam. Faire un dessin. Faire comprendre à force d'explications. Avoir besoin d'un dessin. Avoir besoin d'explications (cf. Camus, Peste, s.v. cellulaire I A 2). − CIN. Dessin(s) animé(s). Film réalisé au moyen de dessins qui décomposent les mouvements des personnages ou des sujets et qui, à la projection, donnent l'illusion d'un mouvement continu. Les gentils animaux des dessins animés (Prévert, Paroles,1946, p. 139): 5. On souffre de n'être jamais qu'une utilité du monde, et notre vie fait trop souvent penser à ces dessins animés du cinéma, à ces silhouettes qui se font et se défont sans raison apparente, et comme si une main invisible et toute-puissante s'amusait à les former pour les effacer aussitôt.
Guéhenno, Journal d'un homme de 40 ans,1934, p. 55. − Domaine de la peint., p. oppos. à la couleur.Manière, qualité propre qui caractérise le talent d'un artiste en tant que dessinateur. Synon. style.Quel dessin (...)! Et quel coup de pinceau! Un Courbet de la bonne époque (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 25).Un grand croquis de Forain, d'un dessin sec, amer, nerveux (Druon, Gdes fam.,t. 1, 1948, p. 89). SYNT. Dessin d'enfant, de maître; dessin humoristique, original, satirique; beau, petit dessin; album, collection, exposition, série de dessins; calquer, exécuter, graver, reproduire, tracer un dessin; dessin et couleur, gravure, peinture; tableaux et dessins. 2. Figure(s) ornementale(s) servant à décorer un objet et qui présuppose(nt) généralement un modèle exécuté à la main au moyen d'un dessin. Le dessin d'une indienne, d'un papier de tenture (Ac. 1835-1932). a) [Avec un déterm. qui explicite le style ou le motif de la figure] Un tapis bon marché, d'un dessin vaguement oriental (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 105).Les marqueteries à larges dessins géométriques (Viaux, Meuble Fr.,1962, p. 106). b) P. anal. Figures naturelles, d'apparence ornementale, qui semblent dessinées sur certains corps : 6. ... la libellule
Que, sans doute, à dessein,
On nomme demoiselle
Parce qu'elle circule
Prise d'amoureux zèle
Durant la canicule
En soulevant le tulle
De son aile à dessins.
Jammes, De tout temps à jamais,La Fontaine, 1935, p. 74. c) Au fig. Figures composées par d'autres moyens que l'action de la main et des moyens graphiques. − DANSE. Attitudes et figures créées par des gestes et le jeu des jambes. Le dessin dépouillé de la danse classique (Stravinsky, Chron. vie,1931, p. 105). − MUS. Motif, phrase d'un développement musical. C'est dès l'exposition, l'opposition des motifs : le thème du premier violon tout à la fois pressé, impérieux (...) la désinvolte réponse du second violon; le dessin fluide de l'alto (Marliave, Quat. Beethoven,1925, p. 288).Ce piano, là-bas, qui répétait le même dessin avec tant de patience (Arnoux, Chiffre,1926, p. 185). 3. Emplois techn. a) Modèle, projet exécuté de manière graphique, en vue de préparer la réalisation d'objets ou de figures ornementales par d'autres techniques que le dessin. − Représentation de l'objet, de la figure, sous l'apparence qu'ils auront une fois réalisés. Dessin de décor, de jardins, de parcs. Le dessin colorié qui doit guider le ton des ombres (...) doit rester là pour servir de modèle pendant tout le temps de l'opération (Nosban, Manuel menuisier,t. 2, 1857, p. 150).Cette carte embrouillée, ces lignes de points, ces hachures, tout cela ne représente, pour Bastienne, qu'un confus dessin de broderie (Colette, Music-hall,1913, p. 136). − Plan ou épure exécutés au trait d'après les procédés du dessin linéaire ou industriel, figurant la structure (coupe, élévation, profil) de l'objet à réaliser architecturalement ou industriellement. Le plan de l'abbaye de Saint-Gall (...) est un projet à l'état d'esquisse (...) car l'exécution exige des dessins autrement développés (Lenoir, Archit. monast.,1852, p. 24): 7. En architecture, le dessin, c'est la pensée même de l'architecte; c'est l'image présente d'un édifice futur (...). Le dessin est donc le principe générateur de l'architecture; il en est l'essence.
Ch. Blanc, Gramm. des arts du dessin,1876, p. 21. b) Au fig. Projet idéal conçu par l'esprit et sensible dans l'œuvre dont il constitue le point initial ou le centre. L'acte d'écrire ne peut se prolonger jusqu'à remplir l'étendue d'un livre sans exiger une rupture presque incessante du dessin initial (Valéry, Entret.[avec F. Lefèvre], 1926, p. 108).Il semble qu'il [Chateaubriand] rétablisse dans les « Mémoires d'Outre-Tombe » un dessin tracé par Dieu (Thibaudet, Réflex. crit.,1936, p. 27): 8. ... il nous suffit d'apercevoir un corps ou un être quelconque pour conclure de ses formes à ses qualités physiques (...). Il y a donc dans le dessin des contours et des surfaces quelque chose qui semble couvrir une intention, un dessein de la nature, j'allais dire une pensée.
Ch. Blanc, Gramm. des arts du dessin,1876p. 80. 9. Et la forme, pour se détacher de la confusion, ne peut exister que par une définition, c'est-à-dire par une fin, par l'exclusion de tout ce qui est étranger à son dessin ou dessein, par une limitation autour de ses possibilités.
Claudel, Un poète regarde la Croix,1938, p. 220. Rem. Au sens B 3, le mot dessin fonctionne comme un synon. de dessein. De même qu'à la fin du xviiies. la forme dessein se rencontre encore avec le sens de « représentation d'une figure par un moyen graphique », les ex. supra attestent que dessin chez les meilleurs écrivains demeure propre à traduire le sens de « projet ». La confusion originelle des deux sens est encore sentie et rappelée à l'époque mod. ,,Le dessin est un projet de l'esprit comme l'indique si bien l'orthographe de nos pères qui écrivaient dessein`` (Ch. Blanc, op. cit., p. 513). C.− P. ext. Configuration d'ensemble (forme, structure, proportions) d'un objet. 1. [La configuration serait représentable au moyen d'un dessin] Le dessin d'un bras, d'un fleuve. Ce coche de gala était d'un dessin altier et surprenant (Hugo, Homme qui rit,t. 3, 1869, p. 109).Le galbe d'une tête bien faite, le dessin d'une nuque (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 133): 10. Imaginez dans ce parc, en place de Mmed'Aoury, une grosse Prussienne! Quand même sous ce ciel bleu pâle, les mêmes bâtiments, les mêmes dessins de prairies et de bois demeureraient, ce dont je doute, où seraient cette délicatesse et cette fierté qui se répandent sur tout le domaine?
Barrès, Au service de l'Allemagne,1905, p. 52. 2. Au fig. [La configuration, idéale, abstr., n'est pas représentable au moyen d'un dessin] a) Domaine de la compos. littér.Agencement, disposition des parties qui configurent un ensemble (ouvrage, personnage, style). Dessin d'une pièce, d'un poème. M. de Balzac n'a pas le dessin de la phrase pur, simple, net et définitif (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t. 2, 1844-64, p. 345).Quand on parle du « Demi-Monde », le chef-d'œuvre de M. Dumas, on cite encore la baronne d'Ange, non qu'elle soit d'un dessin bien accentué, mais parce qu'elle a été personnifiée par des actrices dont chacun revoit le jeu (Zola, Doc. littér.,Dumas fils, 1881, p. 207). b) Autres domaines.Disposition des parties d'un ensemble. Je préfère à la certitude toujours bornée et linéaire, le champ et la profondeur, le dessin flottant illimité des suppositions (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 225): 11. ... les sociétés dont le dessin était préformé dans la structure originelle de l'âme humaine, et dont on peut apercevoir encore le plan dans les tendances innées et fondamentales de l'homme actuel...
Bergson, Les Deux sources de la mor. et de la relig.,1932, p. 55. Prononc. et Orth. : [desε
̃]. Homon. dessein*. Var. [dεs-] ds Littré et comme var. à côté de [des-] ds Dub. (1revar.) et ds Warn. 1968 (cf. des-). Ds Ac. 1694-1762, s.v. dessein. Ds Ac. 1798-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1529 desseing « représentation graphique » (G. Tory, Champfleury, fo12 rod'apr. A. Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 10, p. 320 : desseings et pourtraictz); 1548 dessein (Comptes des bâtiments du Roi, éd. L. de Laborde, t. I, p. 165 ds IGLF) − 1798 (Ac.); 1549 desing « id. » ici spéc. « ichnographie » (Est.); 1680 dessin (Rich. : Quelques modernes écrivent le mot de dessein [t. de peint.] sans e après les deux s, mais on ne les doit pas imiter en cela). Déverbal de desseigner, dessigner, dessiner*, avec infl. de l'ital. disegno « représentation graphique » attesté dep. av. 1444 (Morelli ds Batt.), lui-même déverbal de disegnare (dessiner*). Fréq. abs. littér. : 3 350. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 084, b) 5 850; xxes. : a) 5 979, b) 4 883. Bbg. Hagnauer (R.). L'Expr. écrite et orale. Paris, 1972, p. 262. − Kohlm. 1901, p. 18. |