| CULBUTER, verbe. I.− Emploi trans. A.− Mouvement. 1. [Le compl. d'obj. désigne une pers.] a) Faire tomber en renversant ou en poussant brutalement. Culbuter un piéton; culbuter qqn du haut en bas des marches, dans un fossé; être culbuté par une auto, un chien, un cycliste. Synon. renverser.Un choc qui vous assomme, un souffle qui vous culbute (Dorgelès, Croix bois,1919, p. 202).Le cheval prit peur, glissa, culbuta son charretier (Billy, Introïbo,1939, p. 195).Une carabine bien ajustée le culbuta (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 834): 1. ... sans me déranger de mon chemin, en passant, j'allongeai par la figure du citoyen Poulet un revers de main qui le culbuta, les jambes par-dessus la tête, sous la balustrade de l'octroi, et sa tartine de fromage blanc par-dessus le nez.
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 2, 1870, p. 141. ♦ Emploi pronom. réciproque. Des ouvriers siciliens se battent et se culbutent dans le ruisseau (Gide, Journal,1925, p. 804). Rem. On rencontre ds la docum. un emploi trans. au sens de « précipiter d'un mouvement brusque » qui semble dérivé de l'emploi pronom. réciproque. Une rage culbuta les Prussiens vers lui (D'Esparbès, Lég. aigle, 1893, p. 117). − P. ext. (sens affaibli). Bousculer, pousser (des personnes) afin de se frayer un passage (sans qu'il y ait forcément chute). Des chiens aboyaient après lui [Manquet]; il culbutait sur son chemin des vieilles, des soldats, des gens en blouse (Arène, J. des Figues,1870, p. 68).Il aperçut les officiers, et, culbutant les buveurs, il s'élança (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Tombouctou, 1883, p. 219). ♦ Emploi pronom. réciproque. Les élèves (...) se culbutaient devant les fenêtres pour voir M. le sous-préfet (A. Daudet, Pt Chose,1868, p. 120).P. métaph. Une grosse écriture paysanne, avec des jambages qui se culbutaient (Zola, Page amour,1878, p. 857). b) Spéc., fam. [Le compl. d'obj. désigne une femme] Renverser pour la posséder charnellement. Synon. sauter.Tandis qu'il s'en irait forniquer derrière les haies, culbuter des filles, en se moquant de ceux qui les avaient culbutées avant lui (Zola, Germinal,1885, p. 1440).On peut encore, à la rigueur, culbuter une femme, mais où voulez-vous qu'on prenne le temps, la liberté d'esprit nécessaires pour parler d'amour à une charmante enfant comme vous? (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 43). ♦ Emploi pronom. réciproque. Il ne voulut jamais à cette place, dans son lit, crainte d'une surprise. L'échelle du fenil était près de là, ils grimpèrent, laissèrent la trappe ouverte, se culbutèrent au milieu du foin (Zola, Terre,1887, p. 96). c) P. anal., dans un contexte milit. Mettre en déroute (de manière que les fuyards semblent comme tomber les uns sur les autres). Culbuter une armée, l'ennemi. Synon. battre, défaire, enfoncer, repousser.Les Vendéens étaient repoussés de Nantes (...) culbutés hors de Cholet (...) ils lâchaient pied à Châtillon (Hugo, Quatre-vingt-treize,1874, p. 83).Culbutant sur leur route les éléments ennemis qui, déjà, envahissent le terrain (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 31): 2. Il [Damour] s'enflammait, il croyait fermement que, si Paris entier, les hommes, les femmes, les enfants, avaient marché sur Versailles en chantant la Marseillaise, on aurait culbuté les Prussiens...
Zola, Jacques Damour,1884, p. 319. SYNT. Culbuter l'adversaire, un escadron, un poste, la première ligne ennemie, l'arrière, l'avant-garde, le centre d'une armée; culbuter une colonne ennemie dans les marais; être culbuté par l'ennemi, par une charge ennemie, par l'infanterie. 2. [Le compl. d'obj. désigne un obj.] a) Faire tomber brusquement de manière à renverser. Culbuter une charrette, une brouette, un meuble. La patache n'avait pas été culbutée. Nonchalamment penchée dans le marécage, elle était encore fort habitable (Sand, Meunier d'Angib.,1845, p. 36).Ces gens fouillèrent tous les meubles (...) n'y trouvant rien, ils défoncèrent les placards, culbutèrent les commodes (A. France, Livre ami,1885, p. 91).Ils cubutent les deux arcades... Des pierres de taille comme des fétus! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 536). b) P. ext. Mettre en désordre, mettre sens dessus dessous comme si les objets tombaient les uns sur les autres. Une rafale de malheur s'était ruée sur cette maison et l'avait culbutée de fond en comble (Huysmans, En mén.,1881, p. 93). B.− Au fig. 1. Domaine pol.[Le compl. d'obj. désigne une institution, un gouvernement, une loi, un ministère...] Renverser d'un mouvement précipité. Culbuter l'État, la république, la société. Lorsque la loi sera à peu près sur pied, nous la culbuterons à un tournant (Vogüé, Morts,1899, p. 126).Les académies disjointes et les empires culbutés (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 37): 3. ... et ils [les candidats radicaux] entrent à la Chambre avec le parti pris et la résolution inébranlable de culbuter, sans se soucier du pays et du repos public, tous les cabinets...
Barrès, L'Appel au soldat,1897, p. 194. − Domaine des affaires.Mettre brutalement dans une situation opposée. Les ordres de vente et d'achat qui culbutent parfois les cours de Bourse dans le monde entier (Cendrars, Du Monde entier,Docum., 1924, p. 129). 2. P. anal. Mettre fin à quelque chose par une action brusquée. Du premier coup, M. Degas a culbuté les traditions de la sculpture comme il a depuis longtemps secoué les conventions de la peinture (Huysmans, Art mod.,1883, p. 248).Dire qu'avec un mensonge il [Marc] aurait pu arrêter ce supplice! (...) Mais (...) une révolte culbute ces regrets (Estaunié, Vie secrète,1908, p. 306). − En partic. Venir à bout d'une situation par une action brusquée. Dès qu'elle [Henriette] fut seule avec moi, je la saisis de nouveau dans mes bras, tâchant d'affoler sa raison et de culbuter sa résistance (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Morin, 1882, p. 852). II.− Emploi intrans. A.− [Le suj. désigne une pers. ou un animal] 1. Effectuer un mouvement de renversement vers l'avant ou l'arrière ou faire un tour complet sur soi-même en faisant une culbute. Synon. basculer.Voir les petits lapins foudroyés culbuter comme des clowns, (Maupass., Fort comme la mort,1889, p. 258).Les mouches (...) volent, se posent, culbutent et roulent (Genevoix, Boue,1921, p. 28). − P. métaph. [P. anal. avec le tour fait pendant la culbute] Les heures culbutent et je trouve encore le temps trop long (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1891, p. 72). Rem. La docum. atteste un emploi substantivé du part prés. culbutant. Variété de pigeon domestique au vol rapide et qui fait des culbutes en volant. Dans ce groupe [les Culbutants allemands] on classe les Culbutants à long bec, les Culbutants à bec moyen et les Culbutants à bec court (G. Lissot, Pigeons domestiques et voyageurs, Paris, Flammarion, 1950, p. 94). 2. P. ext. Tomber, faire une chute en arrière ou en avant, la tête la première. Culbuter dans le fossé, dans le ravin. Synon. basculer, dégringoler, s'écrouler, tomber.Culbuter du haut en bas de l'escalier (Ac. 1835). ... la jambe droite fracassée par un éclat d'obus. Il culbuta sur le dos, en jetant un cri aigu de femme surprise (Zola, Débâcle,1892, p. 306).Ils soulevèrent le banc, et le vieux culbuta (Rolland, J.-Chr.,Révolte, 1907, p. 615). ♦ P. métaph. Mais quand elle parlait, sa phrase culbutait dans une grammaire fantaisiste (Estaunié, Bonne-Dame,1891, p. 8). ♦ Au fig. Se trouver brusquement dans une situation (critique). Il culbutait dans des catastrophes, chaque fois qu'il s'appliquait à réfléchir (Zola, Argent,1891, p. 9). − Spéc. Se précipiter dans un lieu en contrebas : 4. Je me souviens que lorsque nous emportâmes d'assaut la crête de Vimy, une alouette s'égosillait. Moi, je me suis arrêté dans ma course alors que mes camarades culbutaient déjà dans les tranchées allemandes (...) je me suis arrêté pour écouter chanter cette alouette.
Cendrars, Les Confessions de Dan Yack,1929, p. 277. B.− [Le suj. désigne un véhicule, une embarcation] Se retourner brusquement. Une embarcation qui culbute. Synon. capoter, chavirer, verser.L'avion, sans culbuter, a fait son chemin sur le ventre (Saint-Exup., Terre hommes,1939, p. 218).Son épaule nue (...) vient de jaillir hors du peignoir, enflée, livide. Elle explique qu'elle a dû porter sur une roue, lorsque la voiture a culbuté (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1421). Rem. La docum. atteste les dér. suiv. a) Culbutage, subst. masc. Action de culbuter (cf. culbuteur B 1). Il est nécessaire, après le culbutage, de retirer le chariot en rétrogradant (Haton de La Goupillière, Exploitation mines, 1905, p. 262). b) Culbutée, subst. fém. Situation défavorable. Synon. culbute (en emploi fig.). Ce n'est pas à un tournant de l'histoire que (...) nous arrivons, mais nous avons l'impression très nette que nous arrivons à une culbutée (Péguy, Argent, 1913, p. 1305). c) Culbutement, subst. masc. Action de culbuter. Le culbutement à pas pressés du troupeau (A. Daudet, Sapho, 1884, p. 128). Astronaut. ,,Rotation aberrante [du satellite] sur lui-même autour d'un axe quelconque`` (Galiana Astronaut. 1963). Prononc. et Orth. : [kylbyte]. Ds Ac. 1694-1932. Pour la forme culebuter, cf. les mêmes dict. avec les mêmes rem. que pour culbute. Étymol. et Hist. 1534 intrans. cullebuter (Rabelais, Gargantua, éd. Calder-Screech, I, XII, p. 250); 1546 trans. cullebuter (Rabelais, Tiers Livre, éd. Screech, prol., p. 11); 1601 culbuter au fig. « renverser » (Charron, Sagesse, I, 14 ds Littré). Composé tautologique des verbes culer* et buter*. Fréq. abs. littér. : 451. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 252, b) 649; xxes. : a) 1 554, b) 416. Bbg. Orr (J.). Qq. mises au point étymol. Mél. Dauzat (A.). Paris, 1951, pp. 245-256. |