| CUIRE, verbe. I.− Emploi trans. A.− Soumettre une matière à l'action du feu ou d'une source de chaleur correspondante qui modifie cette matière dans sa substance, généralement pour la rendre propre à un certain usage. 1. [Le compl. d'obj. désigne des aliments] Soumettre à l'action d'une source de chaleur qui modifie l'aliment dans sa substance, pour le rendre propre à la consommation. a) [Le suj. désigne une pers.] Cuire du pain, cuire qqc. à la broche, à petit feu. Le dîner était acheté : la concierge le cuirait (A. France, Bonnard,1881, p. 450).Elle sait (...) cuire les confitures de cassis (Duhamel, Suzanne,1941, p. 51): 1. ... il n'est pas un prisonnier qui n'ait profondément méprisé la barbarie teutonne en matière de cuisine. Un pays où la grillade est inconnue, où l'on ne conçoit pas de cuire une viande autrement qu'à l'eau, ...
Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 191. SYNT. Cuire une brioche, un potage; cuire qqc. en cocotte, au four, à four doux, sur le fourneau; cuire qqc. sur un feu vif. ♦ À cuire [En parlant d'un aliment] Qui n'est à consommer que cuit. Loche [en normand : « secoue l'arbre pour faire tomber... »] des pommes à cuire (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Vieux, 1884, p. 133). ♦ Au fig. Dur à cuire [En parlant d'une pers.] Qui résiste. Notre colonel, qui était ce qu'on nomme un dur à cuire (Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 196).Des gaillards durs à cuire (Romains, Knock,1923, I, p. 3).Cf. dur*-à-cuire. − Emploi pronom. à sens passif. Tout cela se cuisait en cachette sur des feux de fortune (Ambrière, Les Grandes vacances,1946p. 40). − En partic., emploi abs. Cuire du pain. Ce boulanger cuit deux fois par jour (Ac.1835-1932).Ceux qui avaient cuit la veille lui offrirent du pain frais (Tharaud, Ville et champs,1907, p. 140). ♦ Proverbe, vieilli. Vous viendrez cuire à mon four, ,,Vous aurez quelque jour besoin de moi, et je trouverai l'occasion de me venger`` (Ac. 1835, 1878). b) [Le suj. désigne l'agent physique de la cuisson] Un trop grand feu brûle les viandes, au lieu de les cuire (Ac.1798-1932). − P. anal., vieilli. [Le compl. d'obj. désigne des fruits] Faire mûrir. Le soleil n'est pas assez chaud dans ce pays-là pour bien cuire les melons (Ac.1798-1932).Le jour est brûlant comme un fruit Que le soleil fendille et cuit (Noailles, Ombre jours,1902, p. 12). 2. [Le compl. d'obj. désigne certains matériaux] Soumettre à l'action d'une source de chaleur qui modifie le matériau dans sa substance pour le rendre propre à un usage spécifique. a) [Le suj. désigne une pers.] Cuire des briques, la chaux, des couleurs; fourneau à cuire les émaux. Ils (...) pétrissaient et cuisaient des vases d'argile (A. France, Pierre bl.,1905, p. 19): 2. [Les habitants des Pays-Bas] ont eu l'idée de cuire [la terre] et de cette façon la brique, la tuile, qui sont les meilleures défenses contre l'humidité, se trouvent sous leur main.
Taine, Philos. de l'art,t. 1, 1865, p. 258. − Emploi pronom. à sens passif. Le plâtre se cuit entre murs (Ser, Phys. industr.,1890, p. 2). b) [Le suj. désigne l'agent physique de la cuisson] La vapeur destinée à cuire les couleurs est introduite entre l'enveloppe intérieure et l'enveloppe intermédiaire (Manuel fabric. coul.,t. 2, 1884, p. 303). − Emploi abs. Les fours très vieux cuisent moins vite et moins bien que les fours neufs (Al. Brongniart, Arts céram.,1844, p. 229). 3. P. plaisant. [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Brûler, soumettre au supplice du feu. Démons, damnés, maudits, sont dans la cuve atroce (...) et le bain Qui les cuit, rafraîchit là-haut le chérubin (Hugo, Religions et religion,1880, p. 194). B.− P. anal. 1. Soumettre à l'action de la chaleur qui peut en modifier l'apparence. a) Rare. [Le suj. désigne une pers.] Vinca (...) cuisait paisiblement au soleil ses hautes jambes (Colette, Blé en herbe,1923, p. 125). b) [Le suj. désigne l'agent physique (source de chaleur)] Peau cuite par le soleil. Nous ne sentons même pas les rayons qui nous cuisent (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p. 82): 3. En semaine, Philippe ne va pas à l'auberge, et le soleil seul cuit ses joues; mais chaque dimanche, après vêpres, le vin achève de les cuire.
Renard, Nos frères farouches,1910, p. 153. 2. [La cause du processus peut ne pas être une source de chaleur] Donner l'aspect de quelque chose qui a été soumis à l'action de la chaleur qui en modifie l'état. Je devine (...) Quelles larmes cuisaient comme l'eau de la mer, Au long des nuits, tes yeux (A. France, Poés., Noces corinth.,1876, p. 246).Fougères cuites par la gelée (Morand, Lewis et Irène,1924, p. 24).Le soleil cuisait les pivoines (Pourrat, Gaspard,1931, p. 137). C.− Au fig. [Le suj. désigne un sentiment] Provoquer une sensation d'irritation ou de douleur psychologique. Alors j'avais envie de l'interroger, une envie qui me cuisait le cœur (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Masque, 1889, p. 1165). II.− Emploi intrans. A.− Être soumis à l'action du feu ou d'une source de chaleur correspondante qui modifie la matière traitée dans sa substance, généralement pour qu'elle devienne propre à un certain usage. 1. [Le suj. désigne des aliments] Être soumis à l'action d'une source de chaleur pour devenir propre à la consommation. Faire cuire à petit feu, dans du vin, au four; mettre à cuire cinq minutes. Le bouc en morceaux cuisait dans le beurre rance (Flaub., Tentation St Antoine,1856, p. 642).Des légumes cuisaient à la vapeur dans des percolateurs (Morand, New York,1930, p. 94): 4. Tante Agathe, (...) a fait cuire le souper. Mais vous pensez bien qu'il faut néanmoins surveiller à la cuisine. Même les plats qui paraissent cuire tout seuls, comme le jambonneau, le salé aux pommes de terre, (...) on dirait qu'ils ont besoin de sentir qu'on a l'œil sur eux.
Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 45. ♦ ,,Ces légumes, ces fèves, ces pois, etc., cuisent bien, ne cuisent pas bien.`` (Ac. 1798-1932). ,,Ils sont faciles ou difficiles à cuire`` (Ac. 1798-1932). − Au fig., fam. [Le suj. désigne une pers.] Rester sans aide, sans secours. Je cuisais dans cette affreuse situation, quand Monseigneur vous envoya chez nous (Fabre, Courbezon,1862, p. 127).Il faut le laisser s'énerver dans l'attente! Le laisser cuire! (Colette, Képi,1943, p. 46).Il me met surtout en garde contre le mauvais esprit de la population qui, gavée depuis la guerre, dit-il, a besoin de cuire dans son jus (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1063). Rem. Dans la conversation fam., on emploie l'expr. Va te faire cuire un œuf au sens de « va-t-en, tu m'importunes ». 2. [Le suj. désigne des matériaux] Être soumis à l'action d'une source de chaleur qui modifie le matériau dans sa substance, pour devenir propre à un usage spécifique. [Il y a] cuisson simple (...) [quand] la pâte et l'enduit vitreux [peuvent] cuire à la même température (Al. Brongniart, Arts céram.,1844p. 181): 5. Il trouva de l'argile sur des terres qu'il possédait à Leers, fit cuire de la brique « à l'air », sans four, à la mode d'autrefois comme l'a fait Vauban pour ses fortifications.
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 477. 3. P. plaisant. [Le suj. désigne une pers.] Être soumis au supplice du feu. [Théodore d'Héraclée] que l'on fit cuire jadis, dans la ville d'Amasée, à petit feu (Huysmans, Cathédr.,1898, p. 462). B.− P. anal. [La cause du processus peut ne pas être une source de chaleur] Prendre l'aspect de quelque chose qui a été soumis à l'action de la chaleur qui en modifie l'état. Ses yeux bleus avaient cuit dans les larmes (A. France, Vie fleur,1922, p. 305).Il a fait cet été une chaleur extraordinaire, il semblait vraiment que le soleil était une arme du mal. Qui pouvait regarder sans colère les beaux feuillages en train de cuire? (Giono, Chron.,Noé, 1947, p. 321). C.− P. ext. 1. [Le suj. désigne un animé ou un inanimé] Être soumis à une grande chaleur. Pendant que tu avais froid à Terre-Neuve, on cuisait ici, et, pendant que tu grillais en Afrique, nous grelottions dans nos habits d'été (Sand, Corresp.,t. 4, 1812-76, p. 278).D'amples parkings sans ombrage où cuisent les tôles des voitures (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p. 36). ♦ [Avec un suj. impers.] :
6. Dans la ville, (...) une torpeur morne régnait. (...) Seul le vieux malade de Rieux triomphait de son asthme pour se réjouir de ce temps. − Ça cuit, disait-il, c'est bon pour les bronches. Ça cuisait en effet, mais ni plus ni moins qu'une fièvre. Toute la ville avait la fièvre, c'était du moins l'impression qui poursuivait le docteur Rieux,...
Camus, La Peste,1947, p. 1240. − [La cause n'est pas une source de chaleur] Le beau froid! un cent d'aiguilles me picotent les joues. (...) Je cuis. Loué soit Dieu! mon teint reprend son lustre (Rolland, C. Breugnon,1919, p. 26). 2. [Le suj. désigne une partie du corps humain; le verbe est suivi d'un compl. second. désignant une pers.] Être le siège ou la cause d'une sensation de brûlure. La peau lui cuit. Il cacha dans ses mains ses joues chaudes, ses yeux dont les paupières lui cuisaient (Green, Moïra,1950, p. 101): 7. La rouette de madame Lepic se lève, prête à cingler. Poil de Carotte, pâle, croise ses bras, (...) les reins chauds déjà, les mollets lui cuisant d'avance, ...
Renard, Poil de carotte,1894, p. 210. ♦ Rare. [Sans compl. second] Tu ne connais pas le désert, quand il y monte une tempête de sable... Les yeux cuisent, le sang vous aveugle, on n'y voit plus clair (Gracq, Syrtes,1951, p. 296). ♦ Loc. proverbiale, vieilli. Trop gratter cuit, trop parler nuit (Ac. 1798-1932). Si l'on dépasse la mesure, il en résulte un mal au lieu d'un bien. 3. Au fig. Causer une douleur morale, un sentiment pénible. Mon remords, qui me cuisait cruellement parfois, a disparu sans raison (L. Daudet, Cœur et abs.,1917, p. 159).Me précipitant tout-à-fait dans la franchise, au risque de recevoir quelque demi-mot ou quelque regard humiliant qui me cuise pendant six mois (Stendhal, Corresp.,t. 2, 1800-42, p. 310). − Emploi impers. En cuire à qqn. S'il vous en cuit, je m'en lave les mains, vous l'aurez cherché! (Sand, Beaux MM. Bois-Doré,t. 1, 1858, p. 164).Tâche à présent de voir l'avenir plus en rose, ou cette fois il t'en cuira (Gracq, Syrtes,1951, p. 171): 8. ... je ne te conseille pas de dresser contre Egisthe ta petite tête venimeuse : il sait, d'un coup de bâton, briser les reins des vipères. Crois-moi, fais ce qu'il t'ordonne, sinon il t'en cuira.
Sartre, Les Mouches,1943, I, 5, p. 38. ♦ [Le verbe est suivi d'un compl. à valeur causale (subst. ou inf.) introduit par de] Il vous en cuira de votre trop de confiance (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 124).On n'est sage qu'après qu'il en a cuit de ne pas l'être (Rolland, Âme ench.,1925, p. 25). Prononc. et Orth. : [kɥi:ʀ], (je) cuis [kɥi]. Ds Ac. 1694-1932. Homon. cuir. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 881 « brûler (d'un corps humain) » coist parfait 3epers. pronom. (Eulalie, 20 ds Henry); Littré note ,,dans le style familier, faire périr par le supplice du feu``; 2. 1269-78 « griller, flétrir [les plantes] (en parlant des intempéries) » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 17884); 3. 1606 fig. cuit « ivre » (Merlin Coccaie ds Esn.); 4. 1675 il est cuit « il est perdu » (Widerhold). B. 1. 1155 char quite (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 11486); 2. ca 1165 « soumettre à l'action du feu » or cuit (B. de Ste-Maure, Troie, 25138 ds T.-L.); 3. a) 1611 fig. il sera bien dur à cuyre (en parlant d'un homme comparé à un oiseau) (P. de Larivey, Tromperies, V, 5 ds Anc. théâtre fr., t. 7, p. 94); 1829 subst. un dur à cuire (d'apr. Esn.); b) 1866 arg. cuire dans son jus (Delvau, p. 103). C. 1. ca 1170 au fig. (B. de Ste-Maure, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 18724 : de cuizans moz); début xives. impers. je me doubte qu'il ne me cuise (Pamphile et Galatée, éd. J. de Morawski, 936); 1660 il lui en cuira (Oudin); 2. 1180-90 « brûler, faire mal (d'une plaie) » (Renart, éd. E. Martin, X, 1112). Du b. lat. *cocere, lat. class. coquere « cuire », « brûler, fondre (chaux, métal) »; « faire mûrir, dessécher »; « digérer », « méditer »; « tourmenter ». Fréq. abs. littér. : 602. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 468, b) 1 111; xxes. : a) 1 081, b) 914. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, passim. − Lyer (S.). Part. prés. actif avec le sens passif. Archivum Romanicum. 1932, t. 16, p. 302. |