| CUIRASSE, subst. fém. A.− [Élément matériel] 1. Partie d'armure protégeant le corps, des épaules jusqu'à la ceinture. Porter une cuirasse; une cuirasse et un bouclier. Cf. armure ex. 1.À l'origine, on se bornait à recouvrir les casques et les cuirasses de cuir avec des lames et des bagues de fer (Berthelot, Synth. chim.,1876, p. 228).Ceins la cuirasse, Almagro! boucle l'épée sur ta cuisse! (Claudel, Soulier,1944, 3ejournée, 3, p. 789). SYNT. Cuirasse lourde, pesante, rigide; cuirasse du chevalier; cuirasse d'acier, d'airain, de bronze, de fer; lacets de la cuirasse, poids de la cuirasse; (une) cuirasse (qui) brille, (qui) étincelle; endosser, déboucler, défaire, délacer sa cuirasse. − MÉD. Une douleur en cuirasse. Des douleurs constrictives, qui donnent une impression d'étau; selon leur siège on les désigne sous les termes de douleurs en cuirasse, en bracelet, en jarretière, etc. (Quillet Méd.1965, p. 353). Rem. Cuirasse est fréquemment associé à des termes tels que casque, cotte de mailles, heaume, etc. désignant d'autres parties d'armure. − Loc. Le défaut de la cuirasse. Synon. usuel de défaut de l'armure (cf. armure A).Attaquer l'adversaire au défaut de la cuirasse; être blessé au défaut de la cuirasse. Il s'élance sur le prince, et lui enfonce son épée au défaut de sa cuirasse (Cottin, Mathilde,t. 2, 1805, p. 324). ♦ Au fig. (cf. armure B et infra B). Le point sensible, le point vulnérable. J'étais presque tranquille, oui, j'étais dans un grand repos, et voilà que vous avez senti le défaut de la cuirasse (Duhamel, Cécile,1938, p. 166): 1. Nous voici tout d'un coup entrés avec M. de Saint-Cyran, au cœur ou, si l'on aime mieux, au creux du talent de Balzac, et par le défaut de la cuirasse; il n'y a plus qu'à profiter de cette ouverture.
Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 51. − P. métaph. Le maître d'hôtel, (...) bombant la cuirasse de sa chemise d'habit (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 87).Ses mains dévêtues, (...) de leur cuirasse en peau de porc (Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 202).Le rocher jaillissait à pic de la mer, presque irréel dans l'étincellement de sa cuirasse blanche (Gracq, Syrtes,1951, p. 157). 2. [P. anal.] a) [de forme] HABILL., vx. Corsage de femme, moulant et descendant jusqu'aux hanches. Une cuirasse en satin blanc. C'est charmant, cette cuirasse Jeanne d'Arc de serge blanche qui coupe à mi-cuisses la jupe à plis (Colette, Pays. et portr.,1954, p. 35). Rem. La docum. atteste l'expr. plus complète corsage cuirasse (Mallarmé, Dern. mode, 1874, p. 845). b) [de fonction] − ARMÉE, MAR. Revêtement métallique destiné à protéger un char de combat, un navire. Synon. blindage.L'adoption des cuirasses [aux navires de guerre, en fer] destinées à prévenir les effets destructeurs des projectiles, ôte toute espèce de valeur aux objections contre les coques métalliques (Croneau, Constr. nav. guerre, t. 1, 1892, p. 3): 2. Nos unités antichars s'étaient battues héroïquement. Mais les effets de leurs coups avaient été considérablement réduits par la valeur des cuirasses.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 37. − ZOOL. Revêtement protecteur (cf. carapace). La cuirasse de la tortue. Un beau scarabée à cuirasse d'azur (Hugo, Rhin,1842, p. 237).Les poissons échangent leur cuirasse ganoïde pour des écailles (Bergson, Évol. créatr.,1907, p. 132): 3. Son « désespoir » venait surtout de ceci qu'il savait bien que les armements allemands, que tout cet appareil de guerre n'était en rien factice ou postiche, mais aussi naturel à ce peuple et à ce pays qu'au crustacé la cuirasse et les pinces.
Gide, Journal,1914, p. 486. ♦ [Avec un compl. de nom indiquant la nature de la cuirasse] Les lourdes cuirasses de chitine (Maeterl., Vie abeilles,1901, p. 73). B.− Au fig. Protection morale, affective (cf. armure B, carapace B). Pour endurer tout ce qu'il te faut subir, (...) fais-toi une cuirasse secrète composée de poésie et d'orgueil (Flaub., Corresp.,1846, p. 372).Pauvre poète, à qui votre expérience et votre virtuosité auraient dû faire une cuirasse impénétrable (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 100). − Souvent péj. [Avec un compl. de nom indiquant la nature de la cuirasse] Cuirasse d'égoïsme, d'indifférence, de placidité : 4. Il décida de dire à Mary la vérité sur son ménage. L'amour conjugal même mourant se défend longtemps contre les coups du monde par une cuirasse de silence, mais un moment vient où l'homme trouve une joie douloureuse à exposer ses blessures.
Maurois, Ariel ou la Vie de Shelley,1923, p. 163. Prononc. et Orth. : [kɥiʀas]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1266 cuirace « pièce de l'armure qui protégeait le dos et la poitrine » (Inventaire et comptes de la succession d'Eudes, comte de Nevers ds Mém. de la Soc. des Antiquaires de France, t. 32, p. 192); 1417 cuirasse (Inventaire de l'artillerie du château de Tarascon ds Comptes du roi René, éd. Arnaud d'Agnel, t. II, p. 239); 1718 au fig. deffaut de la cuirasse « endroit faible de quelqu'un, de quelque chose » (Ac.); 1863 cuirasse « revêtement métallique des vaisseaux de guerre » (Mérimée, Lettres Viollet-le-Duc, p. 95). Prob. empr., avec influence de cuir*, à l'anc. prov. coirassa (dep. fin xiie-début xiiies., Raimbaut de Vaqueiras ds V. Crescini, Manualetto provenzale, 1905, p. 285), plutôt qu'à l'ital. corazza (REW3no2233) ou à l'anc. aragonais cuyraça (B. Pottier ds Fr. mod., t. 16, p. 275; Dauzat 1973) plus tardifs (fin xiiies., Giamboni ds Batt. pour l'ital.; cat. cuyrassa attesté fin xiiies, ds Alc.-Moll.; anc. aragonais attesté dep. 1362 d'apr. B. Pottier, loc. cit.). L'anc. prov. coirassa, comme le cat. et l'ital., est issu du lat. tardif coriacea (vestis) « (vêtement) de cuir », dér. de corium (cuir*). Fréq. abs. littér. : 459. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 697, b) 1 111; xxes. : a) 629, b) 382. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 312. − Goug. Mots t. 2 1966, p. 122. − Pottier (B.). Azerole, cuirasse. Fr. mod. 1948, t. 16, pp. 275-276. − Rog. 1965, p. 94. − Sain. Lang. par. 1920, p. 272. − Wind 1928, p. 44. |