| CUEILLIR, verbe trans. A.− [L'obj. désigne un inanimé concr.] 1. [L'obj. désigne un produit d'origine végétale] Détacher (ce produit) de sa tige, de sa branche ou de ses racines, d'un geste précis et à la main ou avec un instrument, pour sa propre jouissance ou celle d'autrui. Cueillir un brin (d'herbe), des fraises, une grappe, des pommes, des roses. Il cueillit une branche de chèvrefeuille et une d'aubépine (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 52).Dans les prés, les femmes courbées, pas par pas, cueillaient la doucette ou le pissenlit (Pourrat, Gaspard,1930, p. 197): 1. Ce matin, je suis allé dans le verger cueillir des cerises avec mes sœurs. J'ai choisi l'arbre le plus prometteur, j'y suis monté, j'ai frappé les branches de ma gaule, mais il ne restait plus que quelques cerises racornies dont les oiseaux n'avaient pas voulu.
Green, Journal,1934, p. 226. − P. méton. Cueillir un bouquet. Cueillir des fleurs et les réunir en bouquet. Cueillir un bouquet d'iris et de pivoines odorantes (Duhamel, Suzanne,1941, p. 115). − Loc. pop. fig. Cueillir des marguerites, des pâquerettes. S'attarder comme une personne qui cueille des fleurs pour son agrément. Synon. flâner, musarder.On est sérieux ou on ne l'est pas!... Nous ne sommes pas ici pour cueillir des pâquerettes? (Sardou, Fam. Benoîton,1865, p. 62). − P. ext. [L'obj. désigne des fruits de mer] Détacher du rocher ou ramasser. Cueillant les coquillages, J'écoute de la mer les légers babillages (Lamartine, T. Louverture,1850, I, 1, p. 1268).Les pingouins occupés à pêcher la crevette, à cueillir des moules (A. France, Île ping.,1908, p. 66). 2. P. anal. Prendre avec délicatesse et d'un geste précis. Elle ne manquait jamais de cueillir un peu de salive au bout des doigts pour l'appliquer à la pointe de ses cils (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 399): 2. ... M. Thibault, lourdement tassé sur son siège, les épaules rondes, levant sa barbiche vers quelque visiteur important, et, avant de parler, cueillant son lorgnon entre ses sourcils pour le glisser dans la poche de son gilet, d'un geste recueilli et assuré qui ressemblait à un signe de croix.
Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 851. − Spéc., VERRERIE. Prélever du verre en fusion dans le creuset avec la canne à souffler (cf. creuset, C. Duval, Verre, 1966, p. 5). B.− P. métaph. et/ou au fig. 1. Fam. [L'obj. désigne une pers.] a) [L'idée est celle d'un geste obligeant] Aller chercher quelqu'un pour le prendre avec soi (souvent à bord d'un véhicule). Anton. déposer, laisser.À la gare, des grooms écarlates cueillaient les voyageurs à la porte des wagons (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 24).Elle s'est abîmé les pieds, c'est tout, elle ne sait pas marcher. Mais vous arriverez à temps pour la cueillir (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 196). − En partic., dans le domaine des relations amoureuses. Cueillir une femme. Obtenir ses faveurs. Cueillir les femmes des autres (Morand, Ouv. la nuit,1922, p. 170).« Elle [une jeune bonne] était à cueillir, se disait-il avec un peu de regret » (Sartre, Mur,1939, p. 194). b) [L'idée est celle d'une action menée par surprise et par une force contraignante] Arrêter par surprise. Synon. fam. pincer.Le pis qui pouvait arriver, c'était que Raboliot se fît cueillir par les gendarmes (Genevoix, Raboliot,1925, p. 118).Surtout ne rentre pas chez toi, tu te ferais cueillir (Abellio, Pacifiques,1946, p. 387): 3. À votre place, les Boches auraient pu arriver sans que j'en sois davantage prévenu. On nous cueillerait comme des bigorneaux au fond de nos trous avec une épingle...
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 18. − En partic., lors d'un combat ou d'un sport. Atteindre quelqu'un de manière inattendue par un coup ou un projectile. J'ai juste laissé passer un abatis, et i's m'l'ont cueilli au vol, dzing! Mon flingue en a tombé du coup (Genevoix, Nuits de guerre,1917, p. 137).La crosse du flingue d'Ali le cueillit au cou, à la naissance de l'épaule (Le Breton, Rififi,1953, p. 88). Rem. On rencontre, dans cette acception, le part. passé cueilli, ie en emploi adj. Sa figure ruisselait de sang, son oreille était plus qu'à moitié cueillie (Barrès, Appel soldat, 1900, p. 166). 2. Littér. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] a) Ramasser avec ou sans effort. Synon. prendre, récolter; attraper (fam.).[Il] tendait ses grosses oreilles et cueillait des histoires de tous les pays du monde (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 35): 4. Par exemple les teintes d'un coucher de soleil imprévu sont une aubaine gratuite pour le peintre : le peintre se saisit donc de ses pinceaux « à l'improvisade » dans l'espoir de cueillir au vol la minute heureuse; ...
Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 120. − En partic., dans le domaine des relations publiques. Gagner par son action, méritoire ou non. Des lâchetés, des flatteries, des hommages à l'opinion de l'assemblée (...) qui cueillaient ici un applaudissement trop facile (Gide, Journal,1907, p. 234).Cueillir, ainsi qu'un fruit mûr, le consentement unanime (Arnoux, Algorithme,1948, p. 293). ♦ P. métaph. du sens A 1 Cueillir des palmes, des lauriers. Remporter des succès brillants. Mondeville, (...) ne se contentait pas de cueillir les seuls lauriers du virtuose (La Laurencie, Éc. fr. violon,1922, p. 385): 5. Le corps expéditionnaire français, avant de cueillir ses lauriers, de dénombrer ses 5 000 prisonniers, de faire le compte des canons et du matériel laissés entre les mains des siens, devrait participer à une nouvelle bataille et attaquer sur le front : ...
De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 272. b) Prendre avec délicatesse. J'allais cueillir enfin le baiser désiré, la magique fleur qui devait guérir ma folie (Arène, J. des Figues,1870, p. 61). ♦ P. métaph. du sens A 1 Ainsi l'amant sur un corps adoré Du souvenir cueille la fleur exquise (Baudel., Fl. du mal,1857-61, p. 63). Rem. On rencontre ds la docum. cueillie, subst. fém., rare. Action de cueillir. À l'arrêt des toits inclinés, des gouttes d'eau pendaient encore, (...) Elles s'y balançaient un instant, puis, soudainement détachées, comme sous la cueillie délicate d'un doigt que l'on ne voyait pas, elles tombaient la tête la première (Courteline, Train 8 h 47, 1888, 2epart., p. 189). Prononc. et Orth. : [kœji:ʀ], (je) cueille [kœj], cueilli [kœji]. La graph. cue- est celle de l'anc. diphtongue -ue- issue de [ɔ] ouvert lat. dont la prononc. a évolué jusqu'à [œ], ex. cor > cuer, cœur. Mais p. anal. avec les mots ds lesquels cu sert à noter la gutturale, pendant longtemps, encore au début du siècle et surtout en province, on a altéré [œj] en [εj]. À ce sujet, cf. Littré pour lequel la forme correcte serait cœuillir. Dupré 1972, p. 574 souligne que : ,,L'absence de concordance entre la prononc. et la graphie entraîne souvent une orthographe défectueuse (ceuillir plus proche de la prononc.)``. Conjug. Littré Suppl. 1877 note que chez certains aut. comme Corneille on rencontre le fut. cueillirai et que cette orth. était celle choisie par Vaugelas mais rejetée par Ménage. Dupré 1972, p. 574 explique la forme cueillerai par l'identité entre l'ind. prés. de cueillir (qui n'est pas un verbe du 1ergroupe) et l'ind. prés. de verbes du 1ergroupe tels que aimer. L'anal. entre les 2 groupes de verbes se serait étendue au fut. Enq. (il) cueille/køj/. Le verbe est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 980 « prendre, emporter (quelqu'un) » [coillit parfait 3epers. sing.] (Passion, éd. D'Arco S. Avalle, 468); 2. 1remoitié xiies. « récolter » (Psautier d'Oxford, 125, 6 ds T.-L.). Du lat. class. colligere « recueillir, rassembler ». L'inf. cueillir doit son rad. aux formes accentuées telles que cueil et sa terminaison ir à une réfection analogique (d'apr. le parfait coilli) très ancienne. Fréq. abs. littér. : 1 278. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 678, b) 1 952; xxes. : a) 2 304, b) 1 569. DÉR. Cueilloir, subst. masc.,,Panier dans lequel on met les fruits que l'on cueille`` (Ac. 1798-1878). En partic. Instrument permettant de cueillir les fruits hors de portée de la main. Le cueilloir est en général une sorte de petit panier attaché au haut d'une perche, près et au-dessus duquel se trouve une lame qui, par un mouvement qu'on lui imprime à l'aide d'une ficelle attachée à une bascule, coupe le support du fruit, qui alors tombe dans le panier placé au-dessous (Carrière, Encyclop. hortic.,1862, p. 140).Ces cueilloirs terminés en volants (...) dont les horticulteurs se servent pour faire la récolte des fruits (Arène, Contes Paris,1887, p. 105).− [kœjwa:ʀ]. Ds Ac. 1694 et 1718, puis Ac. 1762-1932; non ds Ac. 1740. − 1reattest. 1322 (Delb. Rec. ds DG); de cueillir, suff. -oir*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Brereton (G. E.). Cueillir, accueillir. Essai d'explication sém. Medium aevum. 1942, t. 11, pp. 85-89. − Darm. Vie 1932, pp. 172-173. − Gottsch. Redens. 1930, p. 175. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 16, 111. |