| CRUCIFIER, verbe trans. A.− [P. réf. au supplice de la croix] 1. Faire mourir par le supplice de la croix. Cela valait la peine de créer le monde, dit Dieu, puisque vous l'avez fait servir à me crucifier! (Claudel, Poés. div.,1952, p. 885). − Emploi abs., rare. Monde affreux qui fais grâce avec férocité. Toi dont l'aveuglement crucifie et lapide (Hugo, Fin Satan,1885, p. 880). 2. P. métaph. et au fig. Soumettre à la torture, tourmenter. a) [L'obj. est une pers.] Le souvenir de vos erreurs ne laissera pas de vous crucifier longtemps (Goncourt, MmeGervaisais,1869, p. 199). − Emploi pronom. réfl., rare. Olivier resta immobile à la même place, se crucifiant sur la croix des souvenirs (Murger, Scènes vie jeun.,1851, p. 174). b) [L'obj. est un inanimé abstr.] :
1. C'est une étrange fantaisie
D'avoir voulu sur ce papier
Crucifier la poésie
Comme une fleur sur un herbier :
Elle n'est plus qu'une victime;
Il ne demeure sous vos yeux
Plus rien de sa primeur intime,
Tous les vers écrits sont si vieux!
Sully Prudhomme, Les Vaines tendresses,Sur un album, 1875, p. 191. − SPIRITUALITÉ ♦ Anéantir dans la souffrance. Crucifier les complaisances de l'amour-propre (Blondel, Action,1893, p. 397): 2. Parce que Prouhèze et Rodrigue crucifient leur amour, ils le fixent à jamais et le rendent éternel.
Mauriac, Le Nouv. Bloc-notes,1961, p. 144. ♦ Mortifier (p. réf. à St Paul, Gal. 6/15). Hommes qui commandent à leur propre chair et qui crucifient leur volonté (Bloy, Désesp.,1886, p. 107). B.− [P. réf. anal. à la forme d'une croix] Littér. 1. Disposer en croix. Un vrai jardin fruitier (...) où des pêchers sont crucifiés sur les murs (Coppée, Contes rap.,1889, p. 251).L'arbre qu'on crucifie pour fructifier (Claudel, Tête d'or,1890, 3epart., p. 165). − Emploi pronom. réfl. Se mettre en forme de croix. Leurs bras [des orateurs] se crucifient dans l'espace (Arnoux, Paris,1939, p. 66).Arg. On veut posséder une femme, se crucifier sur elle, et on croit conquérir sa propre rédemption (Abellio, Pacifiques,1946, p. 85). 2. Partager en forme de croix. Par les quatre horizons qui crucifient le Monde (Jammes, Clairières,1906, p. 208). Rem. 1. Si dans ces emplois crucifier renvoie princ. à la forme d'une croix, dans la plupart d'entre eux, la connotation de souffrance infligée ou subie est présente métaphoriquement. 2. On rencontre ds la docum. crucificateur, subst. masc. et adj., en emploi fig. Crucificateur qui inventa la torture de l'espalier (Arnoux, Calendr. Fl., 1946, p. 92). Le pharisaïsme crucificateur de la Thora (Bloy, Désesp., 1886, p. 47). Non mentionné ds les dict. gén. du xixeet du xxesiècle. Prononc. et Orth. : [kʀysifje], (je) crucifie [kʀysifi]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. [Début xies. impér. lat. crucifige (La Passion du Christ, éd. D'Arco Silvio Avalle, 227)]; 1121-35 « faire subir le supplice de la croix » (Philippe de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 188); 2. 1269-78 au fig. « tourmenter » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 15041). Empr. avec attraction des verbes en-fier, au lat. chrét.crucifigere « mettre en croix (le Christ, les martyrs) » fig. « mortifier, tourmenter », déjà attesté en lat. impérial au sens de « mettre en croix ». Cf. le verbe cruciier « tourmenter » (4equart xiies. ds T.-L.) − 1660, Oudin, empr. au lat. cruciare « mettre en croix » et « tourmenter ». Fréq. abs. littér. : 113. |