| CROYANCE, subst. fém. A.− [En parlant de celui qui croit] Action de croire : 1. Il y a dans la croyance (Fürwahrhalten) les trois degrés suivants : l'opinion (Meinen), la foi (Glauben), et la science (Wissen). Lorsque notre croyance est telle qu'elle existe non-seulement pour nous, mais pour tout le monde, et que nous avons le droit de l'imposer aux autres, nous avons alors la science ou la certitude. Si la croyance n'est suffisante que pour nous, et que nous ne puissions l'imposer aux autres, c'est la foi ou la conviction. L'opinion est une croyance insuffisante et pour les autres et pour nous-mêmes. La science exclut l'opinion : ainsi dans les mathématiques pures il n'y a point d'opinion; il faut savoir, ou s'abstenir de tout jugement. Il en est de même des principes moraux : l'opinion que telle ou telle action est permise ne suffit pas, il faut savoir qu'elle l'est. La croyance produite par la raison spéculative n'a ni la faiblesse d'une opinion ni la force d'une certitude : c'est la foi; telle est l'espèce de croyance que comporte la théologie naturelle.
Cousin, Leçons sur la philos. de Kant,1857, pp. 266-267. 1. Certitude plus ou moins grande par laquelle l'esprit admet la vérité ou la réalité de quelque chose. a) [Relativement à l'existence de qqn] Croyance des divinités malfaisantes adorées chez certains peuples (Bonald, Législ. primit.,t. 2, 1802, p. 157).La croyance aux esprits est d'ailleurs toujours restée le fond de la religion populaire (Bergson, Deux sources,1932, p. 197): 2. Malheureuse, elle [l'âme] devenait bientôt malfaisante. Elle tourmentait les vivants, leur envoyait des maladies, ravageait leurs moissons, les effrayait par des apparitions lugubres, pour les avertir de donner la sépulture à son corps et à elle-même. De là est venue la croyance aux revenants.
Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 11. b) [Relativement à la réalité de qqc. d'abstr.] Croyance au progrès, à la liberté : 3. ... il développa ses théories et me fit un tableau de la société future. Il affirma sa croyance à l'amélioration du sort humain et au bonheur universel.
− Ces temps viendront, clama-t-il. Cela est aussi sûr que le soleil se lèvera demain.
Lacretelle, Silbermann,1922, p. 81. 2. Adhésion de l'esprit qui, sans être entièrement rationnelle, exclut le doute et comporte une part de conviction personnelle, de persuasion intime (cf. adhésion ex. 21). Croyance à l'immortalité, croyance en (à) Dieu. Croyance à l'existence de l'âme (Béguin, Âme romant.,1939, p. 340).Il ne faut pas (...) assimiler la croyance en un Dieu suprême au monothéisme (Philos., Relig., 1957, p. 4013): 4. Il s'apercevait enfin que les raisonnements du pessimisme étaient impuissants à le soulager, que l'impossible croyance en une vie future serait seule apaisante.
Huysmans, À rebours,1884, p. 293. a) Spéc., en matière relig. Synon. foi : 5. Qu'on suppose un homme placé dans un pays où une mauvaise religion étouffe la voix intérieure : l'autorité des anciens, du père, l'ignorance de toute autre croyance, l'abrutissement dans lequel on a tenu son âme l'ont empêché de voir l'absurdité de sa croyance; il croit servir Dieu par l'observation de pratiques bizarres, ou peut-être cruelles.
Michelet, Journal,1820, p. 76. b) Action, fait d'avoir confiance en quelqu'un. En proie à une terrible incertitude involontaire, mais combattue par les gages d'un amour pur et par sa croyance en Natalie, il [Paul] relut deux fois cette lettre diffuse (Balzac, Contrat mar.,1835, p. 337): 6. − El Hadj! disait-il alors d'une voix toujours amoindrie, c'est en ta foi que je repose; en ta croyance en moi je puise la certitude de ma vie. Je ne comprenais pas alors, mais, après chaque jour de doute, au soir je le trouvais un peu plus affaibli. Hélas! et c'est pourquoi chaque matin ma foi s'en réveillait plus faible; puis, quand auprès de lui toute la nuit je refaisais ma confiance, lui n'était point par là fortifié.
Gide, El Hadj,1899, p. 353. − En partic. Confiance en soi. Attitude, manières, démarche, tout en lui [monsieur Grandet], d'ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l'habitude d'avoir toujours réussi dans ses entreprises (Balzac, E. Grandet,1834, p. 20). 3. P. ext. Assentiment que donne l'esprit, sans réflexion personnelle et sans examen approfondi. Croyance commune, générale, populaire, universelle. (Quasi-)synon. opinion, attente, prévision.Malheureusement j'avais la croyance qu'on n'adopterait pas mes idées (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 303): 7. On écouta le piqueux :
(...)
− J'ai un beau cerf de rembûché. Un dix-cors qui fait au moins cent quatre-vingt-dix points. À ma croyance, c'est c'tui-là qu'a la tête pas conforme.
Vialar, La Chasse aux hommes,Le Bien-aller, 1952, p. 92. Rem. Noter la constr. vieillie croyance de (cf. supra A 1 a Bonald, Législ. primit., t. 2, 1802, p. 157). La croyance de l'existence de Dieu (Id., Essai analyt., 1800, p. 231). Croyance essénienne d'un paradis et d'un enfer (Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 816). − Vieilli. Possibilité d'un tel assentiment, crédibilité. J'ai pris un mari dont l'incapacité dépasse toute croyance (Balzac, Déb. vie,1842, p. 430). B.− P. méton. Objet de la croyance, ce que l'on croit. 1. En mat. relig. Croyance(s) religieuse(s); croyances chrétiennes. Les croyances des juifs et des chrétiens (Bonald, Législ. primit.,t. 2, 1802, p. 18).Croyances hébraïques (Encyclop. éduc.,1960, p. 9): 8. ... l'histoire des dogmes (improprement appelée croyances religieuses, puisqu'on étudie les doctrines officielles sans rechercher si elles sont crues)...
Langlois, Seignobos, Introd. aux ét. hist.,1898, p. 128. 2. P. ext. Opinions qui, sans être religieuses, ont le caractère d'une conviction intime et qui exclut le doute : 9. ...la véritable croyance, celle qui est à la fois personnelle et communautaire, ne commence qu'avec la réflexion, c'est-à-dire après cet arrêt qui est le doute. Si bien que tout le progrès de la pensée humaine consiste à s'élever de la croyance automatique à la croyance personnelle grâce au doute. La crédulité est purement subjective, mais il faut bien comprendre en quel sens. L'homme crédule est dominé par l'objet; son extrême subjectivité naît de l'absolue prédominance en lui de l'objet : celui-ci s'affirme spontanément en moi en créant l'adhésion par une sorte de vertige. En somme la crédulité c'est l'objet qui s'impose à nous, c'est une croyance entièrement subjective et qui cependant n'est pas notre œuvre. C'est grâce au doute au contraire, qui libère le sujet de la fascination de l'objet, que la croyance devient nôtre : la croyance authentique n'est pas seulement celle qui est en moi mais celle que j'avoue. Et cette notion d'aveu est peut-être ce qui éclaire le plus celle de croyance.
Lacroix, Marxisme, existentialisme, personnalisme,1949, p. 117. Prononc. et Orth. : [kʀwajɑ
̃:s]. Pour [ɑ] post. cf. croyable et croire. Admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Mil. xies. creance relig. « le fait de croire » (St Alexis, éd. Chr. Storey, 3) − 1732, Voltaire, Zaire, I, 1; 1601 croyance (A. de Montchrestien, L'Escossoise, éd. J. D. Crivelli, 1494); 2. ca 1174 creance « action de croire une chose vraie, vraisemblable ou possible » (Benoit de Sainte-Maure, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 8575); ca 1370 croiance (N. Oresme, Ethiques, 231 ds Gdf. Compl.). Du b. lat. *credentia, dér. de credere, dont l'existence est assurée par sa diffusion dans les lang. rom. et par le fait que créance est attesté en a. fr. dans les mêmes sens de base que croire; le lat. médiév. l'a repris sous la forme credentia, v. Du Cange. Fréq. abs. littér. : 3 242. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 614, b) 4 366; xxes. : a) 5 018, b) 4 492. |