| CRIER, verbe. A.− Pousser des cris. 1. [Le suj. désigne un être humain] Pousser spontanément des cris sous l'effet d'une émotion, d'un état physique ou moral ressenti intensément. Crier brusquement, gaiement, crier d'angoisse, de joie : 1. Un enfant cria dans une maison voisine; sa mère chanta pour le consoler. Et bientôt s'élevèrent un babil et des rires puérils.
Arland, L'Ordre,1929, p. 473. ♦ Loc. Crier comme un aveugle, un damné, un enragé, un fou, un perdu, un putois, un sourd, un veau. − P. ext. [Le suj. désigne une sensation, un sentiment, etc.] Le chagrin de sa solitude criait dans sa voix grêle (Zola, Argent,1891, p. 133). 2. [Le suj. désigne un animal] Les oies qui crient dans les étaules (Renard, Journal,1889, p. 28): 2. C'est ce qu'exprimait Jules Payot disant : « On ne sait pas ce que c'est que barrir, si l'on n'a jamais entendu crier un éléphant ».
L. Couffignal, Les Machines à penser,1964, p. 88. 3. P. anal. a) [Le suj. désigne un instrument de musique au timbre aigu] On entendait crier les trompettes (Giono, Bonheur fou,1957, p. 160). b) [Le suj. désigne une chose, notamment un objet métallique, frottant contre une autre chose] Avec une valeur légèrement péj. Émettre un bruit aigre, désagréable. (Quasi-)synon. bruisser, crisser, grincer.On put entendre crier la robe de soie de madame Marion (Balzac, Député d'Arcis,1847, p. 299).Les portes des maisons (...) faisant crier leurs gonds mangés de rouille (Ramuz, Gde peur mont.,1926, p. 37).Un pas rapide fit crier le gravier (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 192). B.− Prononcer des paroles d'une voix très forte, pour exprimer quelque chose. 1. Forcer sa voix pour donner implicitement plus d'importance à ce que l'on peut exprimer. Crier fort, haut. a) [Le suj. désigne une pers. sous l'emprise de la colère] Crier après, contre; crier sans cesse. (Quasi-) synon. disputer, gronder.Quand vous me parlez, je suis calme. Je ne me souviens plus d'avoir crié après vous dans un moment de démence (Sand, Elle et lui,1859, p. 53). b) Gén. péj. [Le suj. désigne un acteur, un chanteur, etc., qui exagère ses effets de voix] Zuchelli a chanté avec une grande pureté; il ne crie jamais; c'est un rare mérite aujourd'hui (Stendhal, Notes dilett.,1823, p. 397). 2. Parler fort de manière à être entendu nettement et de loin, quand on exprime explicitement une chose d'importance. Crier du/en bas, à tue-tête, de toutes ses forces. a) Lancer un appel, un avertissement, un encouragement à voix haute. Crier au cocher (qqc.), au secours, des ordres. Ma mère (...) vint (...) jusqu'à la porte de ma chambre, et me cria bonjour (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 305).− « Allô, Léon! » cria gaiement Antoine (Martin du G., Thib.,Consult., 1928, p. 1054).On criait des injures aux sentinelles allemandes (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 232). − Loc. et expr. Sans crier gare. Sans prévenir, brusquement. Le gars est mort sans crier gare (Martin du G., Vieille Fr.,1933, p. 1069).Crier haro sur qqn. Demander l'aide publique pour arrêter un voleur pris en flagrant délit. P. métaph. Désigner quelqu'un ou quelque chose à l'attention générale, à la condamnation publique. Il y a un consentement de l'hypocrisie générale pour crier haro sur le livre (Goncourt, Journal,1866, p. 297).Crier vengeance. P. méton. ou p. métaph. Ce corps innocent qui crie vengeance sous les œillets rouges de son sang (Camus, Dévotion croix,1953, p. 546). − En partic. Lancer avec insistance un appel, une prière, implorer. Crier un/son nom; crier à/après/vers (Dieu). Mon Dieu (...) je crierai vers toi, du fond de mes douleurs, Et ma bouche louera ta sagesse infinie (A. France, Noces corinth.,1876, p. 228).Mais si nous ne crions au ciel, ni pour la peine, ni pour le travail, quelle est donc la prière légitime? (J. Simon, Relig. natur.,1856, p. 398).P. métaph. Le sol s'est hérissé d'une moisson d'églises qui criaient leur foi vers le ciel (L. Daudet, A. Daudet,1898, p. 255). b) Annoncer publiquement à voix haute; répandre une nouvelle. Crier sur tous les toits : 3. Delhomme repartit, s'arrêta plus loin pour crier de nouveau la nouvelle, la cria plus loin une troisième fois; et la menace de la guerre prochaine vola par la Beauce, dans la grande tristesse du ciel de cendre.
Zola, La Terre,1887, p. 438. − Emploi pronom. : 4. Quand le bateau que l'on croise porte pavillon tricolore, on se salue de quatre coups de fusil, on se crie les nouvelles politiques, et quelquefois on se met en panne pour se faire une visite.
Flaubert, Correspondance,1850, p. 165. − En partic. Annoncer les marchandises à vendre. Les marchands ambulants criaient les pêches, les poires et les raisins (A. France, Île ping.,1908, p. 237).J'entends crier les journaux du soir (Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 337). ♦ Spéc. Annoncer, dans une vente aux enchères, les pièces saisies, les prix : 5. Records, chez les retardataires,
Saisissez jusqu'au moindre effet,
Et des mobiliers prolétaires
Criez la vente au Châtelet.
Peuple à jamais digne d'estime,
Payer fut toujours ton régime.
L'Histoire de France par les chansons,t. 6, 1837-38, p. 185. − Loc. et expr. Crier à ban, à son de trompe. Citer les criminels à comparaître devant le juge. Proclamer une décision émanant de l'autorité. P. ext. Faire connaître à grand renfort de bruit. On vient crier à son de trompe que César est à Bologne (Musset, Lorenzaccio,1834, I, 5, p. 112).On prend des cors de chasse et on crie à son de trompe : cent mille francs pour cinq sous! (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 316). c) [Le suj. désigne gén. une foule] Exprimer à voix haute et avec force un avis, une opinion, le plus souvent sous forme de protestation. Crier bravo, grâce, merci. Les Parisiens crièrent à la trahison; ils dirent que le duc de Berri était d'intelligence avec ceux qui voulaient ruiner la ville (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 3, 1821-24, p. 212): 6. Jusqu'au soir, le kommando ne fut qu'une flambée de fièvre. Cent vingt bouches criaient leur confiance et saluaient l'aurore de la victoire.
Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 121. − Loc. et expr. Crier la faim, crier famine (sur un tas de blé). Se plaindre d'avoir faim. Le peuple crie la faim, et la soif (Renard, Journal,1907, p. 1117).P. méton. et p. métaph. J'étais à jeun depuis vingt-quatre heures, et mon estomac criait famine. L'ennemi, pour nous braver, passa la nuit à boire et à manger sur nos têtes (About, Roi mont.,1857, p. 269).Mon esprit criait famine (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 70).Crier merveille, (au) miracle. Le Roi des Lépreux (cette année-là, c'était un moine belge), à qui l'on mène toutes les vierges captées en chemin et qu'il viole sur un tapis rouge pour guérir, au vu de tous ses suiveurs fanatisés qui crient au miracle (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 153).Au fig. s'extasier. Nous avons de nos maîtres (...) une idée telle que dès qu'ils ne commettent pas une félonie nous crions au miracle, et à l'éminence (Péguy, Argent,1913, p. 1271).Crier misère (cf. Flaub., Corresp., 1865, p. 24).Crier Noël; p. ext. se réjouir (cf. L. Febvre, Combats pour hist., 1933, p. 95).On a tant crié Noël qu'à la fin il est venu. Crier au scandale. Certains journaux crièrent au scandale (Lamennais, Religion,1826, p. 19).Crier au vinaigre (fam.). Protester contre un mauvais vin; p. ext. protester vivement, appeler à l'aide (cf. Huysmans, Sœurs Vatard, 1879, p. 203). − P. métaph. [Le suj. désigne un artiste ayant recours à une forme d'expression écrite ou figurative] Ambition qui devrait être celle de tous les écrivains : témoigner et crier, chaque fois qu'il est possible, dans la mesure de notre talent, pour ceux qui sont asservis comme nous (Camus, Actuelles I,1944-48, p. 250).Celui-ci [Goya] pressent l'art moderne, mais la peinture n'est pas à ses yeux la valeur suprême : elle crie l'angoisse de l'homme abandonné de Dieu (Malraux, Voix sil.,1951, p. 97). − P. anal. [Le suj. désigne gén. une chose concr.] S'exprimer puissamment, attirer vivement l'attention. C'est sur les joues [de Buffon] des sinuosités qui crient la bonhomie, l'amour du propos salé et du bien-être (Estaunié, Rom. et prov.,1942, p. 98).Ostensiblement découvertes, les deux paillasses d'Hulot et de Magnin criaient l'absence (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 234). ♦ En partic., avec une valeur légèrement péj. Briser une harmonie, produire un effet criard. Comme si ce mot de brutal ne criait pas et ne jurait pas avec tout ce qui est sorti de la bouche et de la plume de ce sage discret (Sainte-Beuve, Caus. du lundi,t. 10, 1851-62, p. 14).Le rouge de la moquette criait dans mes yeux (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 9). − Au fig. [Le suj. désigne une chose abstr., un sentiment, un élan de l'âme] (Se) manifester avec force être criant. Y a-t-il un autre amour que celui des ténèbres, un amour qui crierait en plein jour? (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 35): 7. ... ils se refusaient à entendre la voix intérieure qui leur criait la vérité, en étalant devant eux l'histoire de leur vie.
Zola, Thérèse Raquin,1867, p. 190. Prononc. et Orth. : [kʀije], (je) crie [kʀi]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 2emoitié xes. « dire (quelque chose) d'une voix retentissante » (Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 182); 2. ca 1050 intrans. « (d'une personne) pousser des cris perçants » (Alexis, éd. Ch. Storey, 424); 1120-35 « (d'un animal) id. » (Ph. de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 788); 3. fin xiies. [ms. xiiies.] intrans. « faire entendre une plainte, une protestation » (Chevalier au cygne, éd. C. Hippeau, 5709); part. prés. adj. 1677 criant « qui provoque la plainte » (Miège); 4. ca 1180 « annoncer, clamer (quelque chose) publiquement » criez vostre enseigne (Roland, éd. J. Bédier, 1793); ca 1268 « annoncer une vente sur la voie publique » (E. Boileau, Métiers, éd. R. de Lespinasse et Fr. Bonnardot, 1repartie, titre V, XII). Du lat. class. quiritare « appeler; crier au secours; protester à grands cris » réduit en *critare. Fréq. abs. littér. Crier : 13 722. Crié : 870. Fréq. rel. littér. Crier : xixes. : a) 11 880, b) 26 784; xxes. : a) 27 028, b) 17 612. Crié : xixes. : a) 752, b) 1 190; xxes. : a) 1 738, b) 1 374. DÉR. Criage, subst. masc.Action de faire une annonce en criant; office du crieur public annonçant les denrées à vendre. La distribution, le colportage, la vente et le criage sur la voie publique (Civilis. écr.,1939, p. 4408).Attesté aussi ds Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e-20e, Littré, Guérin 1892, DG, Quillet 1965.− [kʀija:ʒ]. − 1resattest. fin xiies. « action de crier » (Chevalier au cygne, éd. C. Hippeau, 5247), av. 1266 « (du crieur public) action de crier » (Le Livre de Jean d'Ibelin ds Assises de Jérusalem, éd. A. Beugnot, I, CXXII, p. 198), rare; de crier; suff. -age*. BBG. − Arickx (I.). Les Orthoépistes sur la sellette. Trav. Ling. Gand. 1972, no3, p. 124. − Gottsch. Redens. 1930, passim. − Goug. Mots t. 3 1975, p. 261. − Gougenheim (G.). Une Catégorie lexicogrammaticale : les loc. verbales. In : [Mél. Michéa (R.)]. Ét. Ling. appl. 1971, no2, p. 59. − Rog. 1965, p. 179. |