| CREUSER, verbe trans. I.− Faire une cavité en enlevant de la matière. A.− [Le compl. d'obj. désigne la chose dans laquelle on fait ou se fait une cavité] 1. Domaine phys.Une empreinte ineffaçable, semblable à la goutte d'eau forte qui creuse la planche de cuivre en y tombant (Chênedollé, Journal,1822, p. 114).[Il] se mit à creuser le schiste avec le crochet de la lampe (Zola, Germinal,1885, p. 1573): 1. ... j'ai fermé mes deux malles (...) pour m'accorder le plaisir de déjeuner tranquillement, creusant le pot de miel et la motte de beurre avec une gourmandise méthodique.
Colette, L'Entrave,1913, p. 113. ♦ Emploi abs. Le forgeron martelle; le mineur creuse (Alain, Propos,1931, p. 998). ♦ Emploi pronom. à sens passif. Ce vieil arbre commence à se creuser (Ac.). − P. métaph. Des remords creusaient ma conscience véreuse (Frapié, Maternelle,1904, p. 265).Des chants de grenouilles creusaient les ténèbres jusqu'à l'invisible horizon (Malraux, Voie roy.,1930, p. 86): 2. Dieu doit, en quelque manière, afin de pénétrer définitivement en nous, nous creuser, nous évider, se faire une place.
Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 94. − P. méton. (hypallage), littér. [Le compl. d'obj. désigne la voix] Rendre semblable au son rendu par un objet, un espace creux. Il commence l'histoire (...) et avec une certaine passion qui creuse sa voix (H. Bazin, Huile sur feu,1954, p. 280). ♦ Emploi pronom. à sens passif. Les accents de sa voix se creusaient, se corsaient (Arnoux, Zulma,1960, p. 52). 2. Au fig., domaine de l'activité intellectuelle a) [Le compl. d'obj. désigne le siège de l'activité de l'esprit hum.; la pers. du suj. possesseur est exprimée par un réfl. en constr. indir.] Fam. Se creuser la tête, le cerveau. Réfléchir intensément. Je me creuse le cerveau pour sortir sans la blesser de la situation ridicule où elle m'a mis (Montherl., J. filles,1936, p. 982). − [Avec ell. de tête, cerveau] Ce pauvre papa (...) il ne s'était pas creusé (Aymé, Nain,1934, p. 269). b) [Le compl. d'obj. désigne une manifestation de l'activité de l'esprit hum.] Examiner avec attention et intérêt en allant plus loin qu'un examen superficiel, approfondir. Creuser une idée, un problème : 3. ... elle prit (...) le billet de Raoul (...); après l'avoir relu attentivement, après avoir pressuré chaque mot et creusé chaque phrase pour en faire jaillir la lumière, Mademoiselle de La Seiglière le relut encore une fois; ...
Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 286. 4. Pousser l'art jusqu'au sérieux, creuser, fouiller une étude, une composition, était impossible à ce garçon [Anatole] dont la cervelle légère était toujours pleine d'idées volantes.
Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 46. − [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Mon père s'arrête. Son regard me creuse (H. Bazin, Huile sur feu,1954p. 180). − Emploi abs. M. de Tocqueville qui n'avait guère jamais lu un livre qu'en creusant et en méditant, n'avait pas assez lu au hasard et en butinant (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 15, 1851-62, p. 95). 3. Domaine physiol.[Le compl. d'obj. désigne l'estomac, le ventre] Faire en sorte que l'estomac, le ventre, soit ou paraisse vide de nourriture. Une faim terrible lui creusait le ventre (Maupass., Bel-Ami,1885, p. 102).L'estomac creusé par la marche, j'entrais dans une pâtisserie, je mangeais une brioche (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 229). − Absol. Allons déjeuner, tout cela creuse (Anouilh, Répét.,1950, V, p. 121). − P. méton. (hypallage), littér. ♦ Creuser qqn. Creuser l'estomac de quelqu'un. Comme elle avait grand'faim après cette course, elle mangea beaucoup, avec ce plaisir des gens que l'exercice a creusés (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Yvette, 1884, p. 541). ♦ Creuser une faim. Creuser l'estomac de manière qu'on se sente affamé. La faim que midi creuse de ses douze coups répétés (A. Daudet, Contes lundi,1873, p. 188).L'odeur de l'étable erra dans l'air, creusant une faim douloureuse dans l'estomac vide de Michel (Colette, Duo,1934, p. 225). B.− Faire en creusant. 1. [Le compl. d'obj. désigne une cavité] Il creusa un trou dans la neige et s'y blottit avec son chien, sous une couverture qu'il avait apportée (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, L'Auberge, 1886, p. 1080).Une taupe qui creuse patiemment son petit tunnel (Green, Journal,1934, p. 235). − Emploi pronom. à sens passif : 5. On entendait des coups terribles frappés contre les murailles du navire comme par des béliers énormes. Toujours les grands trous d'eau qui se creusaient, tout béants, partout; ...
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 136. − Emploi pronom. réfléchi. Le renard ne se creuse pas de domicile. Il trouve son temps mieux employé à la rapine qu'à la fouille (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 134).Le lent travail rotatoire d'un oursin pour se creuser un alvéole (Gide, Si le grain,1924, p. 436). − P. métaph. L'érudit exclusif et absorbé, qui creuse sa mine avec passion (Renan, Avenir sc.,1890, p. 115).L'abîme que creusent entre les hommes la santé et les infirmités (Mauriac, Journal 3,1940, p. 268).Emploi pronom. à sens passif. Un abîme se creuse entre nous (Arnoux, Suite var.,1925, p. 172). − Expr. fig. ♦ Creuser la tombe de (qqn). Être la cause de la mort (de quelqu'un). Celui dont l'épée au fourreau, toujours blême et glacée, a creusé maint tombeau (Quinet, Napoléon,1836, p. 268): 6. Je ne crois pas qu'il me reste un long temps à vivre : laissez-moi ces derniers jours! que je descende en paix dans le tombeau que vous m'avez creusé.
Staël, Lettres inédites à L. de Narbonne,1792, p. 76. Fam. Creuser sa tombe avec ses dents. Causer sa mort par ses excès de chère. ♦ Creuser son sillon. Progresser continûment, avec persévérance. 2. [Le compl. d'obj. désigne une chose dont la cavité est la caractéristique essentielle] Creuser une pirogue dans un tronc d'arbre. Un homme (...) travaillait à creuser des sabots (Pourrat, Gaspard,1922, p. 31). II.− P. ext. Rendre concave. A.− [Le compl. d'obj. désigne la chose que l'on rend concave] Sa lourde tête creusait le traversin (Camus, Peste,1947, p. 1449): 7. ... pour ne pas travailler dans la terre ou dans la toile, elles ont préféré jaunir leur peau, creuser leur poitrine et déformer leur épaule droite : elles s'apprêtent bravement à passer trois ans dans une école normale...
Colette, Claudine à l'école,1900, p. 195. − Emploi pronom. à sens passif. Le lépreux gémissait. (...) un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres (Flaub., Trois contes,St Julien l'Hospitalier, 1877, p. 133).Un escalier vertigineux dont les marches commencent à se creuser au milieu sous tant de pieds (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 202). 1. P. ext. Rendre ou faire paraître plus concave. Les phares de son automobile creusent les cassis de la route, accusent les bosses du macadam (Arnoux, Suite var.,1925, p. 87).Le temps creuse les traits de ce visage; deux sillons partent des ailes du nez et rejoignent les coins de la bouche (Maurois, Disraëli,1927, p. 212). − Emploi pronom. à sens passif. Le pli que j'ai au front se creuse chaque jour davantage (Renard, Journal,1894, p. 250). − Au fig. Rendre plus profond : 8. ... il n'est pas possible qu'un progrès intime ait pour résultat de creuser le déséquilibre qui déjà normalement est le mien, de me rendre plus insupportable encore le monde...
Du Bos, Journal,1927, p. 241. ♦ Emploi pronom. à sens passif. Un bonheur qui s'étend et se creuse sans fond (Noailles, Éblouiss.,1907, p. 369). 2. P. méton. (hypallage) a) [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Accuser les creux du visage, Henri, pâle, exténué, creusé par les veilles (Sand, Meunier d'Angib.,1845, p. 133). b) [Le compl. d'obj. désigne une étendue solide ou liquide] Faire en sorte qu'il y ait des concavités. Visage creusé par l'insomnie, la fatigue (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1118).Elle [la mer] obéit au vent qui, depuis trois jours, la soulève et la creuse (Colette, Pays. et portr.,1954, p. 100). − Emploi pronom. à sens passif. La mer se creusait tellement, que la frêle embarcation disparaissait à chaque instant (Sand, Indiana,1832, p. 266).Le pays se creuse et s'accidente légèrement (Gide, Retour Tchad,1928, p. 948). − Rare. [Le suj. désigne une concavité] Le pli profond qui creuse son front d'une tempe à l'autre, pareil à un sillon de charrue (Goncourt, Journal,1872, p. 879). c) Situer dans une concavité. Des collines parallèles au milieu desquelles le chemin est creusé en tranchées (Barrès, Cahiers,t. 6, 1907-08, p. 170). − Spéc. Creuser les yeux. Faire en sorte que les yeux soient ou semblent très enfoncés dans les orbites. Yeux noirs creusés par les austérités, et entourés d'un cercle brun (Balzac, Curé vill.,1839, p. 42). ♦ Emploi pronom. à sens passif. Les yeux [d'Hélène] s'étaient creusés, la bouche s'était tirée, le menton aminci (Bourget, Crime,1886, p. 295). B.− [Le compl. d'obj. désigne une concavité] Il remarqua sur le visage de son voisin un sourire qui creusait des fossettes dans ses joues rondes (Green, Moïra,1950, p. 163). − Emploi pronom. à sens passif. Il y avait de voluptueuses mollesses dans l'attache des joues, aux deux coins de la bouche, où se creusaient de légères fossettes (Zola, M. Férat,1868, p. 9). Rem. La plupart des dict. gén. enregistrent le subst. masc. creusoir. Outil servant à creuser la table d'un instrument de musique. Prononc. et Orth. : [kʀøze], (je) creuse [kʀø:z]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1172 « rendre creux en vidant de sa substance » crosé (Chr. de Troie, Chevalier au Lion, éd. M. Roques, 437); 1685 au fig. « approfondir » (La Fontaine, Fables, XII, 23, 15 : creusant dans les sujets et fort d'expériences); 2. 1remoitié xiiies. « faire quelque chose en creusant » (Pean Gatineau, S. Martin, 5783 ds T.-L.); 1796 (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, p. 43 : Les vallées se creuserent); 3. verbe pronom. 1671 fig. (Mmede Sévigné, Lettres, éd. E. Regnier, II, p. 129 : ma tête et mon esprit se creusent). Dér. de creux*; dés. -é puis -er. Fréq. abs. littér. : 2 041. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 696, b) 3 723; xxes. : a) 2 813, b) 2 692. DÉR. 1. Creuseur, subst. masc.Celui qui creuse. Les assassins, creuseurs de fosses à la hâte (Hugo, Dieu,1885, p. 132).Les creuseurs de puits (Alain, Propos,1934, p. 1195).− [kʀøzœ:ʀ]. − 1reattest. xives. (Grandes Chroniques de France, IV, 3, P. Paris ds DG : les creuseurs qui minoient les murs); de creuser, suff. -eur2*. − Fréq. abs. littér. : 3. 2. Creusure, subst. fém.,technol. Creux. Dans le cas de creusure pratiquée dans une surface, on comprendra facilement que, une fois cette profondeur réglée par la longueur ou la course de l'outil, elle sera toujours la même dans le cours de ce travail (Nosban, Manuel menuisier,t. 2, 1857, p. 238)− Dernière transcr. ds DG : kreú-zūr. − 1resattest. 1547 « creux, cavité » (trad. de Vitruve, 136 ds Hug.); 1754 terme d'horlog. (Encyclop. t. 4); de creuser, suff. -ure*. BBG. − André (P.). Le Vocab. du violoniste. Vie Lang. 1972, p. 685; 1973, p. 51. − Gottsch. Redens. 1930, p. 134. − Gougenheim (G.). Chercher et fouiller. In : [Mél. Harmer (L.C.)]. Sydney, 1970, p. 22. − Quem. 2es. t. 2 1971. |