| CRACHER, verbe trans. A.− 1. Rejeter hors de la bouche. Cracher la salive. Je fumais un cigare que je trouvais amer, et je le crachai dans l'eau (Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 49).Un phtisique qui crache le sang (Huysmans, Là-bas, t. 1, 1891, p. 44). ♦ Cracher ses poumons. Tousser en crachant du sang. − P. métaph. ou au fig. a) Dire avec abondance ou hors de propos. Cracher du latin, cracher des sentences. Je crachais du Virgile à tort et à travers (Michelet, Mémor.,1820-22, p. 211). b) Dire avec colère ou mépris. Cracher des injures. Vociférante et lâche sous la douleur, elle crachait les imprécations du lupanar (Péladan, Vice supr.,1884, p. 34).Elle lui crachait au visage des paroles terribles (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, M. Parent, 1886, p. 593).Cracher son fait à qqn. Lui dire crûment ce qu'on pense de lui. c) Fam. Débourser : 1. Ils ne peuvent pas cracher deux mille francs sans emmerder personne, vos philanthropes?
− Ils cracheront une fois, mais pas dix.
Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 250. 2. Emploi abs. Rejeter des crachats. À chaque instant il se mouche bruyamment et crache dans son mouchoir (Renard, Journal,1907, p. 1105): 2. ... il fit une grimace affreuse qui crispa sa maigre face toute coupée par la balafre, et, gonflant sa poitrine, il cracha de toute sa force, en pleine figure du Prussien.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Le Père Milon, 1883, p. 217. − P. métaph. ou au fig. a) Montrer son mépris pour quelqu'un ou pour quelque chose. ♦ Fam. Cracher sur. Mépriser ou dédaigner. Le niais! murmura Rocambole, peut-on cracher ainsi sur vingt millions! (Ponson du Terr., Rocambole,t. 2, 1859, p. 51).Je crache sur ta loi. J'ai pour moi le droit (Camus, État de siège,1948, p. 255).Ne pas cracher sur. Apprécier. Vous savez que je ne crache pas sur les filles; j'ai eu mes petites aventures, comme tout le monde (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 63). ♦ Cracher au visage, au nez, à la face de qqn. L'insulter : 3. Toujours bas, nous rampons sous les princes dans leur gloire, et nous leur crachons au visage lorsqu'ils sont tombés.
Chateaubriand, Essai sur les Révolutions,t. 2, 1797, p. 144. ♦ Cracher contre le ciel. Blasphémer. Qu'il me lance donc sa foudre, ce Dieu puissant qui entend tout, je le défie! ... Tiens, je crache contre le ciel! (Borel, Champavert,1833, p. 240). b) Cracher au bassin*, au bassinet*. c) Fam. Cracher en l'air. Faire ou dire une chose absolument inutile. Trois cents francs! c'est trop fort, dit un homme, à voix basse, à son voisin. (...). Elle en vaut plus de huit cents; je veux couvrir cette enchère. − C'est cracher en l'air. Que gagneras-tu à te mettre à dos (...) toute la clique (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 150).Cracher en l'air pour que cela vous retombe sur le nez (cf. air1, suprat. 2). B.− P. anal. Rejeter (en dehors), projeter. Des cheminées d'usine crachent sur un ciel livide des bouillons de suie (Huysmans, Art mod.,1883, p. 52).La carabine pour la seconde fois crachait sa flamme (Ramuz, Gde peur mont.,1926, p. 235).Une chandelle brune crachait des escarbilles (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 27). − Spéc. Navire qui crache (ses étoupes). Navire qui laisse sortir ses étoupes par les joints. Fusil qui crache. Fusil qui projette des grains de poudre ou des étincelles. Plume, stylo qui crache. Plume, stylo qui projette des gouttelettes d'encre : 4. Elle dut s'y reprendre à trois fois, déchirer une feuille, recommencer, déchirer encore, faire encore cracher sur le papier une plume renâclante, une plume qui n'acceptait pas d'être une complice docile.
Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 276. ♦ MÉTALL. Moule qui crache. Moule qui rejette une partie des matières en fusion. Le métal, qui était extrêmement chaud, a coulé fort doucement dans le moule [de la statue], sans cracher ni bouillonner (Muller, Roger, Évol. fond. cuivre,1903, p. 324). Rem. On rencontre ds la docum. a) Le part. prés. adj. crachant. Qui crache. Soudain l'ange muet met la main sur l'épaule du railleur effronté; La mort derrière lui surgit pendant qu'il chante; Dieu remplit tout à coup cette bouche crachante avec l'éternité (Hugo, Contempl., t. 3, 1856, p. 244). De vieux hommes misérables qui copient, plume crachante, je ne sais quoi (Duhamel, Journal Salav., 1927, p. 185). b) Le subst. fém. crachomanie. État de celui qui crache fréquemment. La crachomanie, la prisomanie, la mouchomanie, en un mot le cortège innombrable des maux qui vous assiègent (Sand, Corresp., t. 1, 1812-76, p. 67). Prononc. et Orth. : [kʀaʃe], (je) crache [kʀaʃ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. Trans. 1. 1erquart xiies. crachier « rejeter par la bouche » (Lapidaire de Marbode, éd. P. Studer et J. Evans, 655); 2. ca 1450 tout craché « très ressemblant » (Mistère du Vieil Testament, XLV, 48573, éd. J. de Rotschild, t. 6, p. 192); 3. 2emoitié xves. « dire avec affectation ou mépris » (G. Coquillard, L'Enquête d'entre la simple et la rusée, 887, éd. M. J. Freeman,
Œuvres, p. 108); 4. xvies. « jeter, rendre comme en crachant » (Remy Belleau, Reconnue, II, 1, éd. Marty-Laveaux,
Œuvres poétiques, II, 378 ds IGLF); 5. 1809 « payer » ([Leclair], Les Méditations d'un hussard, p. 22). B. Intrans. 1. 1178 sens propre (Renart, éd. Martin, branche IV, 1264); 2. a) xves. méd. cracher au bassin (Henri Baude, Dictz moraux pour mettre en tapisserie, éd. J. Quicherat ds IGLF); b) 1536 cracher au bassin au fig. « rendre gorge, payer » (Roger de Collerye,
Œuvres, éd. Ch. d'Héricault, 9 ds IGLF); 3. 1671 cracher sur « traiter de manière insultante ou méprisante » (Pomey); 4. 1757 « projeter ou laisser échapper de la matière » (ici du métal en fusion) (Encyclop. t. 7, p. 154 a). Issu d'un type lat. vulg. *craccare dér. d'un rad. onomat. krakk- qui est représenté aussi bien dans le domaine roman que dans le domaine germanique (REW4, no4752; FEW t. 2, pp. 1266 b-1271). L'expr. tout craché (A 2) « très ressemblant » s'explique plutôt par le fait que l'action de cracher peut symboliser l'acte de génération (Nyrop ds Bulletin de l'Académie du Danemark, 1900, p. 343; FEW, loc. cit., note 3) que par un rapprochement entre crachat et goutte d'eau (se ressembler comme deux gouttes d'eau; G. Paris ds Romania, t. 30, pp. 432-433). Fréq. abs. littér. : 995. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 463, b) 1 532; xxes. : a) 2 028, b) 1 795. Bbg. Ducháček (O.). L'Interdépendance et l'interaction du contenu et de l'expr. Orbis. 1972, t. 21, no2, p. 475. − Gottsch. Redens. 1930, p. 146, 149. 225, 349. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 153. − Sain. Arg. 1972 [1907], pp. 64-65. − Sain. Lang. par. 1920, p. 33, 330, 363. − Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 8, 65; t. 3 1972 [1930], p. 181. |