| CONCENTRER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Réunir en un centre ou sur un point (idée de direction) ce qui est dispersé. 1. [En un centre] a) [Les rayons solaires] Le miroir concave (...) concentre les rayons en un foyer ardent (Claudel, Un Poète regarde la Croix,1938, p. 134). − Rare, absol., emploi adj. du part. prés. Cette théologie d'Escobar (...) a été entre ses mains comme un verre concentrant et grossissant (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 69). b) [Toute chose concr. ou abstr.] Rassembler, accumuler en quelque chose ou en quelqu'un : 1. Le panthéisme, (...) à force d'inspirer de la religion pour tout, la disperse sur l'univers et ne la concentre point en nous-mêmes.
Mmede Staël, De l'Allemagne,t. 4, 1810, p. 186. − Spéc., fig. [L'obj. second., souvent implicite, désigne la même pers. ou la même chose que le suj.] Rassembler (en soi). Le personnage de Phèdre concentre en lui toute l'humanité de la pièce (Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 130). c) [Des pers.] Rassembler en un lieu : 2. ... ils [les dirigeants nazis] concentraient à l'intérieur de cette forteresse la masse des prisonniers, des déportés, des requis qui leur faisaient autant d'otages.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 157. d) Emplois spéc. − ÉCON. POL. Concentrer des entreprises. Effectuer la concentration* des entreprises. − ART MILIT. Concentrer les troupes. Concentrer le gros de nos forces dans la partie nord du théâtre des opérations (Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, p. 190). 2. [Sur un point] Faire converger, diriger sur. a) [Les rayons solaires] :
3. Les seuls procédés qui fussent permis [pour se procurer le feu nouveau], étaient de concentrer sur un point la chaleur des rayons solaires ou de frotter rapidement deux morceaux de bois d'une espèce déterminée et d'en faire sortir l'étincelle.
Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 22. − P. anal. Le microscope électronique comprend les éléments essentiels d'un microscope photonique : (...) − une lentille condenseur qui concentre le faisceau électronique sur l'objet (R. Husson, F. Graf, Manuel de biol. gén.,1965, p. 70). b) TECHN. MILIT. Concentrer le tir sur un certain lieu. [Si le suj. désigne le lieu] Être le point de convergence du tir. La belle trouée faite par l'arrachage de l'arbre concentrait là le tir de vingt fenêtres, toutes ornées de fusils-mitrailleurs (Malraux, L'Espoir,1937, p. 804). c) Au fig. Rassembler ses forces intellectuelles ou affectives et les porter sur un certain objet, à l'exclusion de tout autre; y appliquer avec force (sa pensée, son attention, etc.) : 4. Maintenant, Yves croit distinguer là-bas une traînée moins bleue, et il y concentre son attention, égarée tout à l'heure dans la monotonie étincelante et tranquille; ...
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 328. − Spéc. [Le suj. du verbe désigne la même pers. ou la même chose que l'obj. second., implicite] Réunir (sur soi), appeler, retenir. Elle a une fille qui concentre toutes ses affections, et c'est pour elle seule qu'elle a des prétentions (Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1572). Rem. Noter la constr. : concentrer toutes les facultés de son exprit à faire qqc. (cf. A. France, Le Mannequin d'osier, 1897, p. 6). B.− P. ext. Réunir dans un espace limité. 1. Au fig. a) Enfermer. Écartons de notre douleur les illusions de la terre, qui nous empêchent de regarder au delà, qui nous concentrent dans l'état présent (Lamennais, Lettres inédites... à la baronne Cottu,1829, p. 203). b) Vieilli. Empêcher la dispersion ou l'expansion de quelque chose ou quelqu'un. − [L'obj. désigne le plus souvent des sentiments] Contenir; dissimuler. Il concentre toutes ses sensations en lui-même, rien ne perce (MmeCottin, Claire d'Albe,1799, p. 203). − [L'obj. désigne une pers.] Renfermer, replier sur soi. La timidité nous concentre en nous-mêmes, et ressemble quelquefois à la fierté et au dédain (Maine de Biran, Journal,t. 2, 1817, p. 30). 2. CHIM. Augmenter la richesse d'une solution ou produit dissous, en éliminant plus ou moins la partie aqueuse. Synon. réduire, condenser.De la glycérine, qui avait été préalablement concentrée par évaporation au bain-marie (Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 158). Rem. Noter la constr. dans l'ex. suivant. Les colorants [utilisés en brasserie] dérivés du malt s'obtiennent en concentrant à l'état de caramel du moût de bière (E. Boullanger, Malterie, brasserie, 1934, p. 82). − P. anal. [En parlant de l'odeur ou de la saveur d'un produit] Les étés secs de l'Asie occidentale, concentrant la saveur du fruit, ont incité les habitants à perfectionner les cultures d'arbres fruitiers (Vidal de La Blache, Principes de géogr. hum.,1921, p. 146). C.− P. ext. Ramasser, rassembler afin de produire un certain effet; rendre plus fort. Je vous aime, monsieur, d'un amour que des années de silence ont concentré, non affaibli (Renan, Drames philos.,Appendice à l'Abbesse de Jouarre, 1888, V, 3, p. 678).Le masque (...) une sorte de couvercle (...) rabattant et concentrant la voix (A. Schaeffner, Les Orig. des instruments de musique,1936, p. 91). − [En parlant du style, de l'élocution] Il [M. Armand Lefebvre] pesait longtemps avant de conclure, il concentrait plus qu'il ne déployait (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 10, 1863-69, p. 20). II.− Emploi pronom. A.− Se réunir en un centre ou sur un point (idée de direction). 1. [En un centre] a) [Le suj. désigne une chose concr. ou abstr. primitivement dispersée] Se rassembler, être rassemblé (et de ce fait acquérir plus de force). Aujourd'hui, n'est-il pas évident que le crédit, loin de se généraliser, tend, au contraire, à se concentrer dans quelques mains? (Doc. d'hist. contemp.,1864, p. 27): 5. Nous voulons que l'activité, au lieu de se disperser sur une large surface, se concentre et gagne en intensité ce qu'elle perd en étendue.
Durkheim, De la Division du travail soc.,1893, p. 5. − Spéc., au fig. [En parlant d'une pers.] Se ramasser, rassembler ses forces : 6. ... s'il se présente une affaire sérieuse, une combinaison à suivre, il [Rastignac] ne s'éparpillera pas, comme Blondet que voilà! et qui discute alors pour le compte du voisin, Rastignac se concentre, se ramasse, étudie le point où il faut charger, et il charge à fond de train.
Balzac, La Maison Nucingen,1838, p. 597. b) [Le suj. désigne un groupe de pers. dont les éléments étaient primitivement dispersés] Des oasis de verdure entre les champs jaunis. C'est ainsi que s'annoncent, (...) les villages où se concentre la population rurale (Vidal de La Blache, Tabl. de la géogr. de la France,1908, p. 92). c) Emplois spéc. − ÉCON. POL. Certains (...) ont conclu que l'agriculture allait suivre l'exemple de l'industrie et se concentrer en grandes entreprises capitalistes ou collectives (Traité de sociol.,1967, p. 321). − ART MILIT. Il [Bulow] devait attendre le gros du corps d'armée, et il avait l'ordre de se concentrer avant d'entrer en ligne (Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 405). 2. [Sur un point] a) TECHN. MILIT. [En parlant d'une arme] Se concentrer sur.Diriger son tir sur. La mitrailleuse ne se concentre pas encore sur eux (Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 278). b) Au fig. − [Le suj. désigne les forces intellectuelles ou affectives] Se rassembler et se porter sur un objet, à l'exclusion de tout autre. Pendant assez longtemps, l'intérêt se concentra sur l'attaque (A. Beaufre, Dissuasion et stratégie,1964, p. 36). Rem. Noter la constr. : se concentrer à faire qqc. (cf. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 105). − [Le suj. désigne une pers. ou une œuvre écrite] Porter son attention, ses efforts sur. En se concentrant sur les revendications les plus voyantes et les plus massives, l'étude effectuée laisse échapper un élément très important de la question (J. Meynaud, Les Groupes de pression en France,1958, p. 271). − P. ext., cour. [Le suj. désigne une pers.; il n'y a pas d'obj. second.] Faire un grand effort d'attention, de réflexion : 7. Un moment, il se concentra, la tête entre les poings, les yeux agrandis, fixés sur une mousse de lumière qu'accrochait le rebord du zinc.
Aymé, Uranus,1948, p. 263. B.− P. ext. Se rassembler, se ramasser ou être rassemblé dans un espace limité. 1. MÉD. [En parlant du pouls] Se faire de moins en moins sentir. Le pouls se concentre de plus en plus; quelquefois il se ralentit considérablement (Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme,t. 1, 1808, p. 443). 2. Au fig., vieilli a) Être enfermé : 8. Un philosophe regarde ce qu'on appelle un état dans le monde, comme les Tartares regardent les villes, c'est-à-dire comme une prison : c'est un cercle où les idées se resserrent, se concentrent, en ôtant à l'âme et à l'esprit leur étendue et leur développement.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 49. b) [En parlant d'une pers. ou de son âme; en bonne ou mauvaise part] Ne pas s'épancher au dehors, se renfermer, se replier sur soi (en faisant abstraction de ce qui entoure). Les transports de la joie ne durent que quelques momens, l'ame ensuite se concentre dans elle-même, et se répand peu au-dehors (Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1885).Elle [Aurore] a une facilité admirable, mais peu de faculté à s'abstraire et à se concentrer (G. Sand, Correspondance,t. 6, 1812-76, p. 290): 9. La France serait-elle si bien la France, si elle n'avait pour exalter sa personnalité l'antithèse de l'Angleterre? On se serre, on se concentre en soi-même contre le dehors. La passion suppose exclusion, antagonisme, partialité.
Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 446. 3. CHIM. [En parlant d'une substance dissoute dans une solution] Être accumulé, se trouver en grande quantité (dans). Paraffine. − Cette substance peu volatile se concentre dans les huiles lourdes (J.-J. Chartrou, Pétroles naturel et artificiels,1931, p. 112). − P. anal. : 10. Les pommes de pin craquaient et des gousses de genêts éclataient au soleil. Une odeur de résine et de sève chaude se concentrait dans l'air inerte.
J. Chardonne, Les Destinées sentimentales,Porcelaine de Limoges, 1936, p. 69. C.− P. ext. Devenir plus fort, plus riche : 11. Il lisait ou rêvait, s'abreuvait jusqu'à la nuit de solitude; à force de méditer sur les mêmes pensées, son esprit se concentra et ses idées encore indécises mûrirent. Après chaque vacance, il revenait chez ses maîtres plus réfléchi et plus têtu; ...
Huysmans, À rebours,1884, p. 5. Prononc. et Orth. : [kɔ
̃sɑ
̃tʀe], (je me) concentre [kɔ
̃sɑ
̃:tʀ
̥]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1611 « faire converger vers un même centre » (Cotgr.); 1823 spéc. milit. (Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, p. 535); 2. 1772 chim. acide concentré (Ac.); 1819 (Boiste : Concentrer. Rendre plus actif un sel); 3. 1753 fig. « refouler en soi » concentrer sa colère (Trév. Suppl.); 1753 se concentrer (ibid. : Se concentrer en soi-même, être pensif); 1754 « appliquer avec force son intelligence sur un seul objet » (d'apr. FEW t. 2, p. 588a). Dér. de centre*; préf. con-*, dés. -er. Fréq. abs. littér. : 997. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 384, b) 976; xxes. : a) 1 321, b) 1 739. DÉR. Concentreur, subst. masc.Personne ou chose qui concentre. a) Péj. Partisan de la concentration* des entreprises (cf. L'Œuvre, 21 nov. 1941). b) Techn. Synon. de concentrateur* (cf. P. Lebeau, G. Courtois, Traité de pharm. chim., t. 1, 1929, p. 101 et L'Industr. des conserves en France, 1950, p. 8).− 1resattest. a) 1929 techn. (P. Lebeau, G. Courtois, loc. cit.); b) 1941 péj. (L'Œuvre, loc. cit.); de concentrer, suff. -eur2*. BBG. − Gohin 1903, p. 321, 342, 357. |