| COMPRÉHENSION, subst. fém. Capacité de comprendre (ou d'être compris); action de comprendre, résultat de cette action. I.− [D'un point de vue quantitatif] A.− LOG., LING. Compréhension d'un concept, d'un terme. Propriété d'avoir en soi un certain nombre de caractères, de traits spécifiques; ensemble de ces caractères. Compréhension large. Anton. extension.Il n'est pas un seul mot qui ait pour deux individus la même compréhension, la même extension ni la même puissance d'émotivité (Jouhandeau, M. Godeau intime,1926, p. 138): 1. ... je l'appelle Jacques. Il est clair que ce nom propre est l'expression de l'idée complète de cet individu, c'est-à-dire, de toutes les idées qui la composent; je le réunis avec un certain nombre d'autres individus, différens de lui à beaucoup d'égards, mais qui ont aussi beaucoup de choses communes; j'en forme une classe d'individus (...) je forme ainsi successivement les mots et les idées d'Européen, d'homme, d'animal, et enfin d'être, qui est le terme le plus général dont on puisse s'aviser, puisqu'il s'étend à tout ce qui existe. Il est clair que ces idées très-composées vont toujours renfermant un plus grand nombre d'individus, ce qui constitue leur extension, mais un moindre nombre de circonstances de chacun d'eux, ce qui constitue leur compréhension; ...
Destutt de Tracy, Élémens d'idéologie,Idéologie, 1801, p. 106. B.− THÉOL., vx. Connaissance compréhensive, science totale et parfaite que Dieu a de lui-même et de tous les êtres ou (plus rarement) qu'un être peut avoir de Dieu dans certaines conditions. Atteindre à la frontière même de l'ordre divin, où tout est intelligence, amour, compréhension (Lacordaire, Conf. de Notre-Dame,1848, p. 97).La moindre parole de là-haut dans nous, cela répand (...) bien du jour, bien de la compréhension, bien de la croyance et bien de la paix dans notre imbécillité (Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, p. 502). II.− [D'un point de vue qualificatif] Faculté/action de saisir par l'esprit quelque chose. A.− [Par actualisation d'une connaissance mémorisée antérieurement] Faculté/action de saisir intellectuellement le rapport de signification qui existe entre tel signe et la chose signifiée, notamment au niveau du discours. Compréhension du langage. Si la maîtresse improvise une leçon (...) l'attention sort en couleur, en relief, des fronts, des yeux, (...) la compréhension miroite et chatoie au fin bout des museaux (Frapié, La Maternelle,1904, p. 92).La connaissance trop littérale des écritures est un obstacle à la compréhension des textes : on finit par ne plus s'interroger du tout sur le sens des paroles qu'on cite (Green, Journal,1947, p. 127): 2. C'est un problème fort embarrassant (...) que la question de savoir ce qui, psychologiquement, constitue la compréhension des mots : c'est un fait que nous comprenons immédiatement un mot sans l'intermédiaire d'image. Cela s'explique par notre schéma de la sensation-clé. Un mot compris ouvre immédiatement dans notre cerveau un certain registre d'expériences toutes faites. Notre cerveau réagit mécaniquement devant un mot qui lui est adapté, et le mot éveille ainsi, dans ce sens précis, des résonnances définies.
Ruyer, Esquisse d'une philos. de la struct.,1930, p. 164. Rem. Compréhension est pris parfois au sens passif de « possibilité d'être compris ». (Quasi-)synon. clarté; (quasi-)anton. confusion, mystère, obscurité. Il faut que le musicien ait établi l'autorité ou seulement la compréhension de son style par des ouvrages assez nombreux (E. Delacroix, Journal, 1852, p. 454). Personne (...) n'avait (...) osé diviser à ce point l'efficace de la parole de la facilité de compréhension. Personne n'avait distingué si consciemment les deux effets de l'expression par le langage : transmettre un fait, − produire une émotion (Valéry, Variété III, 1936, p. 17). B.− [Par effort de réflexion] Faculté/action de saisir intellectuellement les causes et les conséquences qui se rattachent à telle chose et qui l'expliquent. La fièvre de ces gens venait (...) de l'intérêt qu'ils portaient à leur propre compréhension du Mystère de la Chambre jaune. Chacun avait son explication et la tenait pour bonne (G. Leroux, Le Mystère de la chambre jaune,1907, p. 125): 3. Observer, prendre des notes, les rassembler systématiquement, toute cette froide compréhension par l'extérieur nous mène moins loin que ne feraient cinq minutes d'amour. Nous ne pénétrons le secret des âmes que dans l'ivresse de partager leurs passions mêmes.
Barrès, Huit jours chez Monsieur Renan,1888, p. 127. − En partic. [D'un point de vue métaphys.] Compréhension de l'existence, du monde, des phénomènes, de la vie, etc. : 4. L'infini n'est pas seulement le futur toujours ouvert devant l'effort de notre esprit et la pénétration de notre pensée; il est encore (...) l'indéterminé; il n'est pas seulement une possibilité inépuisable de méditation, il signifie encore l'impossibilité d'enserrer; on n'en a jamais fini de comprendre (au sens où compréhension signifie intellection) ce qu'il est impossible de comprendre (au sens où comprendre signifie embrasser) : l'esprit de finesse, de plus en plus attiré dans les entrailles de l'intelligible, est de plus en plus saisi d'angoisse devant la grandeur immense à étreindre...
Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 40. SYNT. Compréhension parfaite; effort de compréhension; dépasser, faciliter la compréhension. PARAD. (Quasi-) synon. clairvoyance, entendement, intelligence, jugement, lucidité, perspicacité, sagacité; anton. bêtise, idiotie, stupidité. C.− [Par intuition] 1. Faculté/action de saisir spontanément la réalité de quelque chose. Cette intuition sociale, cette perception des choses qui est le génie de la Parisienne, la compréhension à demi-mot (E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 232).Je le [Claudel] sens plus qu'intelligent. Il a la compréhension du cœur, il sait pénétrer toute chose par l'intérieur (J. Rivière, Correspondance[avec Alain-Fournier], 1906, p. 59). 2. Qualité, attitude d'une personne compréhensive, capable de saisir la nature profonde d'autrui dans une communion affective, spirituelle allant parfois jusqu'à une très indulgente complicité. Il y montrait une largeur de vues, un désir de compréhension, de conciliation, une qualité d'esprit, qui donnaient aussitôt à l'entretien un tour inhabituel (R. Martin du Gard, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 33).Un autre, qui offre aux conduites les plus contradictoires une inépuisable indulgence, qu'il nomme compréhension, et qui n'est que l'impuissance à juger et à prendre parti (Mounier, Traité du caractère,1946, p. 694): 5. Qu'est devenu l'esprit de tolérance? Que reste-t-il de la noble compréhension d'humanité qui fit la gloire de nos penseurs? La liberté de penser nous fait peur. Les revendications de justice nous épouvantent.
Clemenceau, L'Iniquité,1899, p. 238. SYNT. Compréhension mutuelle, réciproque, sympathique, universelle; grande, meilleure compréhension; manquer de compréhension. PARAD. (Quasi-)synon. bienveillance, bonté, largeur d'idées, libéralité, mansuétude, pitié, souplesse, tolérance; anton. dureté, incompréhension, intolérance, intransigeance, sévérité. − P. ext. [Le compl. désigne une entité, une chose abstr.] D'autres se bornent à n'avoir aucune compréhension du fait religieux. À leurs yeux, la religion n'est qu'un amas de superstitions (Barrès, Mes cahiers,t. 8, 1909-11, p. 38).Rouvr[ir] notre esprit à la sympathie et à la compréhension des formes orientales de la pensée (J.-R. Bloch, Destin du Siècle,1931, p. 310). Rem. Compréhension ne s'emploie que rarement au plur. État dont les malheurs ne sont connus que des âmes affectées par la même maladie, et chez lesquelles se rencontrent de fraternelles compréhensions (Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836, p. 72). Le paysan n'y est point entraîné à des compréhensions, à des calculs (Pesquidoux, Le Livre de raison, 1928, p. 226). Prononc. et Orth. : [kɔ
̃pʀeɑ
̃sjɔ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. [1372 Corbichon, Propriét. des choses, I, 26, édit. 1522 ds R. Hist. litt. Fr., t. 6, p. 466]; xves. « faculté de comprendre » (Chastellain,
Œuvres, VII, 305, Kervyn, ibid.); 2. 1798 log. « totalité des idées que renferme un concept » (Ac.). Empr. au lat. class. comprehensio (de comprehendere, v. comprendre) « action de saisir ensemble » d'où « action de saisir par l'intelligence », Cicéron rendant par comprehensio le terme philos. gr. κ
α
τ
α
́
λ
η
ψ
ι
ς (v. TLL s.v., 2155, 75). Fréq. abs. littér. : 514. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 159, b) 206; xxes. : a) 706, b) 1 514. |