| COMPAGNON, subst. masc. I.− Usuel A.− 1. Celui qui partage les occupations, les aventures, le sort d'une autre personne. Les compagnons d'Ulysse. Un vieux domestique, son compagnon d'émigration et de malheur (Lamartine, Nouvelles confidences,1851, p. 96).Il se recordait des aventures de ce franciscain que ses compagnons laissèrent, un jour, seul, dans le couvent (Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 162).Je retrouvais mes compagnons des jours anciens, taciturnes témoins d'une vie aventureuse (Milosz, L'Amoureuse initiation,1910, p. 179): 1. Derrière la masse des promeneurs dominicaux qu'il dominait pourtant de sa haute taille, (...) il n'apercevait même plus ses compagnons de peine, ni les chômeurs que la mi-août n'épargnait pas.
Peyré, Matterhorn,1939, p. 175. SYNT. Compagnon d'exil, de captivité, d'infortune; compagnons de jeux, de table, de travail; ancien, vieux compagnon. ♦ Rare [En parlant d'une femme] Elisa, tu es ma femme!... tu me suivras, tu seras mon compagnon, tu partageras toutes mes fortunes (Mérimée, Théâtre de Clara Gazul,1825, p. 112). a) Spécialement − Compagnons d'armes. Ceux qui ont fait la guerre ensemble. C'est dans le cours de cette controverse et de cette guerre contre les ennemis communs que se formèrent de vrais liens de compagnons d'armes entre Bossuet et les principaux chefs jansénistes (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 348). − Compagnons de la Résistance, compagnons de la Libération. b) Celui qui accompagne quelqu'un. Un compagnon de route; des compagnons de traversée. Elle se plongea dans sa lecture ou, du moins, fit semblant, car, à la dérobée, elle examinait son compagnon de voyage (Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?1934, p. 148). 2. P. ext. a) Fam. [avec un affaiblissement de sens] Un bon, un joyeux compagnon. Un joyeux compère, un brave gars. Prendre une chose en bon compagnon. − Péj. Un petit compagnon. Un homme de basse origine : 2. Les intendants étaient à ses yeux [le plus pauvre gentilhomme] les représentants d'un pouvoir intrus, des hommes nouveaux, préposés au gouvernement des bourgeois et des paysans, et, au demeurant, de fort petits compagnons.
Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution,1856, p. 103. b) Vieilli. Égal, camarade : 3. Le trisaïeul de son trisaïeul était l'égal, le compagnon, le pair du roi; à ce titre, il [le courtisan] est lui-même d'une classe privilégiée, celle des gentilshommes...
Taine, Philos. de l'art,t. 1, 1865, p. 86. − Locutions ♦ Il ne peut souffrir ni compagnon ni maître (Ac.). ♦ (Vivre) en compagnon. ,,Sans cérémonie et comme il convient entre camarades`` (Littré). ♦ Vivre de pair à compagnon (cf. Taine, Philos. de l'art, t. 2, 1865, p. 61). Traiter, parler de pair à compagnon. D'égal à égal : 4. ... pourquoi, ayant remarqué que l'amabilité, le côté plain-pied, « pair à compagnon » de l'aristocratie était une comédie, m'étonnais-je d'en être excepté?
Proust, La Fugitive,1922, p. 662. 3. Au fig. [Désigne une entité abstr. du genre masc.] Ce qui va (de pair) avec. Un esprit tortu, mais compagnon d'un cœur droit et indigné (P.-A. de Beaumarchais, Mémoires,t. 1, 1774-89, p. 365). B.− 1. Celui qui se tient auprès d'une autre personne et lui porte aide ou consolation. Un compagnon fidèle. Ce n'était pas seulement un instituteur pour mon fils, c'était un compagnon, un frère aîné, presque une mère (G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 50): 5. Mais Christophe ignorait la naïve affection, qui de loin veillait sur lui, et qui devait plus tard tenir tant de place dans sa vie. Et il ignorait aussi qu'à ce même concert, où il avait été insulté, assistait celui qui allait être l'ami, le cher compagnon, qui devait marcher auprès de lui, côte à côte, et la main dans la main.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 789. − P. métaph. [Désigne une chose du genre masc., le plus souvent un obj. concr.] Mes livres, les compagnons de ma vie (Michelet, L'Oiseau,1856, p. XXXV).Le poste récepteur de T.S.F. si modeste soit-il est devenu le compagnon coutumier d'un très grand nombre de foyers (Vocabulaire radiophonique [1933-52]). 2. Spéc. Celui qui passe sa vie auprès d'une femme. Le compagnon de sa vie : 6. Mère se retourna, toute raide, et considéra longuement ce compagnon extraordinaire, l'homme de sa vie, l'homme dont elle était devenue, pour toujours, l'ombre fidèle.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 233. 3.− P. anal. [Désigne un animal qui tient compagnie à l'homme] :
7. Mon troisième chien s'attacha à moi avec une vraie passion, et fut mon compagnon fidèle dans les pérégrinations que j'entrepris bientôt après.
Constant, Le Cahier rouge,1830, p. 57. II.− Spécialement A.− Vx. Ouvrier qui a fini son apprentissage mais n'est pas encore maître, et travaille encore pour le compte d'un maître. Il était compagnon chez monsieur Frappier, le premier menuisier de Provins (Balzac, Pierrette,1840, p. 88).Ils [la plupart des révolutionnaires] ressemblent au compagnon qui va d'auberge en auberge, d'atelier en atelier... se perfectionnant dans son état (Proudhon, La Révolution soc. démontrée par le coup d'État du 2 déc.,1852, p. 30): 8. Là, s'il vous plaît, le cri qui retentit dans la forge quand le fer est chaud et qu'on appelle les compagnons pour le battre.
A. Daudet, Jack,t. 2, 1876, p. 38. ♦ Société de compagnons : 9. ... ces architectes des cathédrales étaient des nomades. Ils allaient bâtir de ville en ville... Ces ouvriers et leurs chefs ou contremaîtres se formaient en sociétés de compagnons, qui se transmettaient leurs procédés de coupe de pierre et d'appareillage, de charpente ou de serrurerie. Mais nul document écrit ne nous est parvenu sur ces techniques.
Valéry, Regards sur le monde actuel,1931, p. 238. − Expr. fam. Travailler à dépêche compagnon. Travailler vite et mal. Se battre à dépêche compagnon. Se battre à l'aveuglette, ou ,,se battre à outrance sans dessein de s'épargner`` (Ac. 1878). B.− Vx. Ouvrier, artisan, qui fait partie d'une société de gens de métier. Vous êtes, dit Pierre Huguenin [à Jean Sauvage] tailleur de pierres, compagnon passant (G. Sand, Le Compagnon du Tour de France,1840, p. 64): 10. Mon oncle Joseph, ... est un paysan qui s'est fait ouvrier...
Il est compagnon du devoir, il a une grande canne avec de longs rubans, et il m'emmène quelquefois chez la Mère des menuisiers.
J. Vallès, Jacques Vingtras,L'Enfant, 1879, p. 18. − La mère des compagnons. ,,Femme chargée d'héberger, aux frais d'une société de compagnons, les membres de cette société qui se trouvent momentanément sans ouvrage`` (Ac. 1835, 1878). C.− Franc-maçon d'un grade immédiatement supérieur à celui d'apprenti. Prononc. et Orth. : [kɔ
̃paɳ
ɔ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 cas suj. cumpainz « celui qui vit habituellement avec quelqu'un » (Roland, éd. J. Bédier, vers 324); cas régime cumpaignun (ibid., vers 1020); 2. 1549 p. ext. compaignon « celui qui accompagne quelqu'un » (Est.); 3. 1455 spéc. « ouvrier qui a terminé son apprentissage » (Archives du Nord, B 1686, fol. 51 vods IGLF); 4. 1866 « grade dans la franc-maçonnerie » (Lar. 19e). Du b. lat. companio (d'où compain, cas suj.), companione(m) (d'où compagnon, cas régime), formé du lat. cum « avec » (préf. con-*) et de panis (pain*), attesté dans la Loi Salique (éd. Eckhart, I, 99), calque d'un mot germ. du type du got. gahlaiba « compagnon » litt. : « celui qui partage le pain avec » (W. Krause, Handbuch des Gotischen, Munich, 1963, §§ 50, 2 et 137, 1; Feist, s.v. ga-hlaiba; Velten ds Journ. engl. germ. phil., t. 29, p. 345), formé du got. ga-, particule inséparable « avec » et hlaifs subst. masc. « pain » (cf. a. h. all. ga-leipo « sodalis » attesté aux viiie-ixes. ds Graff t. 4, s.v. hlaib), terme milit. apporté par les Germains des armées du Bas Empire; a prob. coexisté à l'origine avec contubernalis « camarade de tente » qui a peut-être favorisé le procédé du calque avec com-initial. Fréq. abs. littér. : 4 690. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 762, b) 10 407; xxes. : a) 5 626, b) 5 215. DÉR. Compagnonner, verbe intrans.Avoir (quelqu'un) pour compagnon, vivre en compagnons (avec quelqu'un). Le plus souvent, il [Anatole] était nourri par un camarade de l'atelier, avec lequel il compagnonnait (E. et J. de Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 69).Au temps où il compagnonnait avec les hobereaux, il avait participé à ces spacieux soupers (Huysmans, À rebours,1884, p. 9).− [kɔ
̃paɳ
ɔne]. − 1resattest. 1611 (Cotgr.), attest. isolée; à nouv. en 1867 (E. et J. de Goncourt, loc. cit.); de compagnon, dés. -er. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 25. |