| COMBLER, verbe trans. A.− [L'obj. désigne un vide physique] 1. Vx ou littér. Remplir une mesure, un récipient au maximum de sa capacité avec un surplus qui le dépasse. Combler un boisseau (Ac. 1835, 1878), combler une mesure, la mesure (Ac. 1835-1932). Il (...) emprunta une petite charrette, et, (...) il la combla de meubles (Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 241). − Loc. fig. (plus fréq.). Combler la mesure. Dépasser ce qui est admissible ou pardonnable. Par sa dernière faute, il a comblé la mesure; leurs crimes, leurs fautes ont comblé la mesure (Ac. 1835-1932) : 1. Mais cet assassinat juridique, en comblant la mesure de leurs crimes, n'étouffa pas la doctrine que Parole de Dieu avait semée.
Proudhon, Qu'est-ce que la propriété?préf., 1840, p. 145. 2. Usuel. [L'obj. désigne une cavité, un vide] Remplir entièrement de façon compacte et bien apparente. Combler un fossé, des vallées, la tranchée (Ac. 1835-1932). Des maçons, (...) comblent les trous, bouchent les lézardes (Du Camp, En Hollande,1859, p. 228).Une barbe peu fournie comble la cavité des joues (R. Martin du Gard, Jean Barois,1913, p. 547): 2. La neige avait nivelé toute la profonde vallée, comblant les crevasses, effaçant les deux lacs, capitonnant les rochers; ...
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, L'Auberge, 1886, p. 1078. − Emploi pronom. à sens passif. Les puits se sont comblés, les canaux ont été envahis par le sable (J. et J. Tharaud, La Fête arabe,1912, p. 162). SYNT. Combler une fosse, une grotte, un trou. Âtre comblé de cendre (Nodier, Trilby, 1822, p. 180). − P. métaph. Combler le gouffre d'une fortune ruinée (Balzac, Correspondance, 1836, p. 26); un vide soudain se creusait dans sa vie, un vide affreux qu'il fallait combler à tout prix (R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Pénitencier, 1922, p. 800): 3. Je vais retirer les petits poèmes en prose [du recueil], et combler le trou, qui ne sera pas très considérable, avec deux essais : ...
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 94. Rem. L'Ac. mentionne un emploi rare : mettre le comble à qqc., le rendre complet. Il a comblé sa perfidie. Cette perte a comblé ses infortunes (Ac. 1835-1932). B.− P. anal. et au fig. 1. [L'obj. désigne une pers.] Combler [qqn] de [qqc.].Donner quelque chose en surabondance à quelqu'un, au-delà de la mesure normale. Combler de bienfaits, de dons, de présents. Ce que tu m'apprends du mariage d'Adrien, (...) m'a fait un extrême plaisir. Dis-lui bien que cette nouvelle me comble de joie (J.-J. Ampère, Correspondance,1827, p. 479). SYNT. Combler de biens, de dons, de faveurs, d'honneurs, de gloire; combler d'attentions et de prévenances; combler de bénédictions. − Absol. Combler qqn.Satisfaire tous ses désirs. Vous me comblez! Un homme comblé. − En partic., dans le lang. de l'amour, de la passion : 4. Vous êtes trop et trop peu dans ma vie. Trop pour que je puisse aimer quelqu'un d'autre. Trop peu pour me combler et me satisfaire. Vous me donnez trop pour que je puisse cesser toute relation avec vous sans un déchirement affreux. Vous me donnez trop peu pour que ce peu ne soit pas aussi insuffisant et douloureux que le rien. Votre amitié m'est une torture, et la rupture de cette amitié me serait une torture elle aussi.
Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 1016. 2. [L'obj., inanimé abstr., désigne un manque de qqc., ou de qqn., un besoin] a) Domaine intellectuel.Combler une lacune, un vide. Rétablir entièrement l'enchaînement des faits ou des idées : 5. En faisant mes démonstrations il y aura nécessairement un grand nombre de lacunes, soit qu'elles soient impossibles à combler dans l'état actuel de la science, soit que je n'aie pas eu le temps de les aborder bien qu'elles puissent être solubles.
C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 283. − FIN. Combler un déficit. Le supprimer entièrement par de nouveaux apports de fonds. Ce boni viendrait à point pour m'aider à combler mon déficit, car je suis fort arriéré et fort endetté (Hugo, Correspondance,1867, p. 7). b) Domaine affectif.Combler les convoitises, les espérances, les souhaits, les vœux de qqn. Les satisfaire entièrement, totalement. Satisfaire tous les appétits, combler toutes les convoitises (Clemenceau, Vers la réparation,1899, p. 352): 6. ... des hommes et des femmes jadis insupportables, et qui avaient perdu à peu près tous leurs défauts, soit que la vie, en décevant ou comblant leurs désirs, leur eût enlevé de leur présomption ou de leur amertume.
Proust, Le Temps retrouvé,1922, p. 936. Rem. 1. On relève un emploi adj. du part. prés. comblant, ante. La comblante et riche harmonie avec laquelle elles [les ressources techniques et spirituelles de l'artiste] se trouvaient ici [dans l'œuvre] distribuées (Gracq, Au château d'Argol, 1938, p. 162). 2. On rencontre ds la docum. l'adj. combleur, euse, rare au fig. Qui comble. Passé et avenir, les seules richesses de l'homme. Avenir combleur de vides. Parfois aussi le passé joue ce rôle (S. Weil, La Pesanteur et la grâce, 1943, p. 29). Prononc. et Orth. : [kɔ
̃ble], (je) comble [kɔ
̃:bl̥]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1150 « remplir (une mesure, un récipient) jusque par-dessus le bord » (Wace, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 284); fig. ca 1583-90 (Brantôme, Grands Capit. estrang., L. I, ch. XXIX ds Gdf. Compl. : Pour combler la mesure de ses meschencettez; il l'estrangla de ses propres mains); 2. 2emoitié xiiies. pronom. « se remplir (d'un vide, d'une cavité) » (Du Vilain qui a donné son ame au deable, éd. Montaiglon et Raynaud, VI, 40); 1441 (Charte ds Du Cange, s.v. abosatio : avoient... comblé... ung puis); 3. 1165-70 part. passé adj. « qui a reçu des biens en abondance » (B. de Ste Maure, Troie, 25 629 ds T.-L.); 1564 combler qqn de « lui donner une chose à profusion » (Thierry). Du lat. class. cumulare « entasser, accumuler », « remplir qqc. en entassant » « pourvoir qqn en abondance ». Fréq. abs. littér. : 1 305. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 062, b) 1 634; xxes. : a) 1 575, b) 1 964. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 258. − Schmidt (H.). Fr. vivant. Rech. lexicol. Praxis 1969, t. 16, no3, pp. 331-332. |