| COMBIEN, adv. I.− Adv. interr. ou exclam. de quantité. A.− Interr. ou exclam. dir. 1. Combien (...) de, combien (...) en a) [non précédé de prép.] Chaque année, combien de pauvres gens mouraient carbonisés! (Foch, Mémoires, t. 1, 1929, p. 132): 1. « Combien connaissez-vous de sortes de vin, quant à la couleur » (...) « Il y a deux sortes de vin : le vin blanc et le vin noir. »
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 77. b) [précédé de prép. (dans, depuis, en, etc.)] En combien de temps l'armée rouge peut-elle être ici, au minimum? Six jours? (Malraux, Les Conquérants,1928, p. 72).− Voyons, vous Haynes, depuis combien d'années êtes-vous à la Compagnie? (Peisson, Parti de Liverpool,1932, p. 119): 2. Dans combien d'
œuvres de littérature rencontrerez vous une page plus navrante que celle où se trouve décrite la fuite du héros de Fumée, Litvinof, loin de Bade et de tout ce qu'il a aimé?
P. Bourget, Nouv. Essais de psychol. contemp.,1885, p. 233. Rem. Dans la lang. fam., le pronom en peut être omis. Combien veux-tu? C'est ça, hein? Tu as besoin d'un peu d'argent (Achard, Jean de La Lune, 1929, III, 2, p. 25). 2. [Combien interroge sur un compl. de mesure ou de prix et correspond dans ce cas à tant (ou équivalent) de la phrase affirmative] a) [non précédé de prép. (dans des constr. fam.)] − Combien vous faut-il? − Cent mille francs pour trois ans, dit le Comte (Balzac, Gobseck,1835, p. 413): 3. ulysse. − Combien a duré le voyage? J'ai mis trois jours avec mes vaisseaux, et ils sont plus rapides que les vôtres.
Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, II, 12, p. 163. b) [précédé de prép.] À combien tirez-vous? − À 19 kilomètres 700. Ce matin j'ai tiré deux coups à 19 kilomètres 600 (Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 261): 4. − « Elle est enceinte, » dit Saint-Meen.
− « De combien? »
− « De trois mois et sept jours. »
Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 301. Rem. Gén. employé en début de phrase, combien interr. peut être rejeté en fin de phrase dans la lang. fam., qu'il soit ou non précédé de prép. Il serait déchiré pour combien de jours? pour combien de mois? (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 243). 3. [En fonction de suj. ou de régime et, dans ce dernier cas, obligatoirement repris par le pronom en, combien, nominal de l'animé signifie combien de personnes dans une phrase de portée gén. où l'animé a déjà été exprimé] a) Combien sujet − [non précédé de prép.] :
5. Les jeunes filles surtout courent à ce divertissement! Combien ont senti, quand on leur jetait un nom, se révéler un amour qu'elles ignoraient, qui avait germé et pris racine au plus profond de leur cœur!
Moselly, Terres lorraines,1907, p. 16. ♦ [Suivi except. d'un compl. déterminatif] :
6. ... et tout de même j'étais toujours accompagné de livres − de ces livres dont Z. en ce temps-là disait que je les emmenais par principe, comme on sort les petits chiens pour leur faire prendre l'air : Joubert, Vauvenargues, Henry James, Pater, combien d'autres.
Du Bos, Journal,1928, p. 46. b) Combien régime.Combien en a-t-on vus mourir au champ de bataille? Pour combien la mort est-elle une délivrance! 4. Fréquemment a) [En emploi ell. des constr. données ci-dessus] :
7. − Combien?
− Dix, douze, quatorze degrés peut-être.
Peisson, Parti de Liverpool,1932, p. 202. b) [avec rejet en fin de phrase dans la lang. fam., l'interr. étant exprimée par l'intonation] − [Combien précédé de prép.] − Et tu me survivras de combien? − Qu'importe, dis-je, puisque tu ne le sauras pas! (Renard, Journal,1895, p. 302). − [Combien non précédé de prép.] : 8. knock. − Bon. Saint-Maurice a combien d'habitants?
le docteur. − Trois mille cinq cents dans l'agglomération, je crois, et près de six mille dans la commune.
Romains, Knock,1923, I, 1, p. 6. 9. − Vous êtes combien?
− Huit, et moi ce qui fait neuf.
Queneau, Loin de Rueil,1944, p. 97. B.− Interr. indir. 1. Combien de ou combien (...) en a) [non précédé de prép.] :
10. Il sait combien il nous en reste. Cette pensée est une source de joie à qui ne résiste point.
Green, Journal,1939, p. 181. − On ne sait combien de..., qui sait combien de. Le maître l'envisage, voit que mon Plampougnis estime qu'on lui donne ce morceau de je ne sais combien de livres pesant pour sa part (Pourrat, Gaspard des Montagnes,Le Château des sept portes, 1922, p. 59). ♦ En emploi subst. Dans le presque-rien des totalités infinies, le quid inconnu n'est pas simplement un je-ne-sais-combien ni simplement un je-ne-sais-où ni un je-ne-sais-d'où (Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 54). b) [précédé de prép.] :
11. ... on vous remet un verdict à la suite de quoi vous savez exactement pendant combien de temps et de kilomètres vous pouvez encore rouler avant de revendre votre auto.
Morand, New York,1930, p. 157. 2. [Combien interroge sur un compl. de mesure ou de prix] Je me demande combien vous gagnez. Dites-moi à combien vous tirez. 3. [Combien, nominal de l'animé déjà exprimé] Dites-moi à peu près combien vont réussir. C.− Lang. pop. [Combien peut être renforcé par est-ce que dans la lang. fam. et par que, ce que, etc.] : 12. la dame. − Et combien est-ce que ça me coûterait?
knock. − Qu'est-ce que valent les veaux, actuellement?
Romains, Knock,1923, II, 4, p. 12. 13. Dites, Panisse, combien que c'est que vous en avez, d'ouvrières?
Pagnol, Marius,1931, I, 10, p. 80. 14. Il se retourne vers Brunet : « Combien qu'on est »? « Je ne sais pas. Peut-être dix mille, peut-être plus. »
Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 200. II.− Adv. exclamatif d'intensité. A.− Exclamation en constr. dir. 1. [Toujours en tête de phrase; la phrase exclamative avec combien correspond à une phrase affirmative avec très; combien modifie un adj.] :
15. S'il en est ainsi, le monde matériel, les êtres vivants, et l'homme n'ont pas été créés par le même dieu. Combien naïves sont nos spéculations!
Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 127. Rem. L'adj. peut conserver la place ou suivre immédiatement combien; il fonctionne en général comme attribut, mais peut être épithète, ou apposé en incise : 16. Et Maurras distillait à ses auditeurs l'art subtil − et combien flatteur! − de muer en tranquillité morale les inquiétudes que le socialisme leur donnait sur la légitimité de la possession.
J.-R. Bloch, Destin du Siècle,1931, p. 108. 2. [Combien modifie un adv.] : 17. Un homme injustement condamné, combien souvent cela s'est-il vu? Combien souvent cela se verra-t-il encore?
Clemenceau, L'Iniquité,1899, p. 1. 18. Mais combien cela est loin du caractère permanent et éternel des paroles du Christ!
Gide, Journal,1916-19, p. 592. Rem. L'adv. modifié peut avoir lui-même valeur de nominal animé : 19. Il a su peindre la psychologie de gens qui ne se dédoublent pas, qui ne se regardent pas. Combien peu ont su faire cela!
J. Rivière, Correspondance[avec Alain-Fournier], 1911, p. 271. 3. [La phrase exclamative avec combien correspond à une phrase affirmative avec bien ou beaucoup; combien modifie un verbe] :
20. Combien Disraëli a de chance que l'Angleterre ait une reine et non un roi!
Maurois, La Vie de Disraëli,1923, p. 269. 21. ... combien j'ai souffert, ô mon Dieu, si vous saviez! Combien je suis beau!
Claudel, Partage de midi,1949, I, p. 1085. − De combien.[Correspond à de beaucoup dans une phrase affirmative] Notre père qui êtes aux cieux, de combien il s'en faut que votre nom soit sanctifié (Péguy, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc,1910, p. 8). 4. [Combien modifie une loc. verbale] : 22. Combien vous aurez pitié de moi! Que mes éternelles inquiétudes vous paraîtront misérables!
Chateaubriand, Génie du christianisme,t. 1, 1803, p. 418. 5. Fréq. [En emploi ell. des constr. données ci-dessus] :
23. Charlotte continuait de fermer ses yeux, ses cheveux toujours défaits : qu'elle était jeune, fragile, enfantine presque, dans son attitude, combien à ma merci!
P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 195. 24. Combien sage tout ce que Valéry dit de l'Histoire!
Gide, Journal,1933, p. 1184. Rem. Combien, adv. d'intensité, n'est jamais suivi de la prép. de; il apparaît toutefois dans l'ex. suiv. par contamination avec combien de en emploi adv. de quantité, fonctionnant comme quel : 25. − Oh! mon cher enfant, s'écria la comtesse... Combien de plaisir me fait ta discrétion!
Balzac, Gobseck,1835, p. 432. B.− Intensité en constr. indir. 1. [Combien modifie un adj.] : 26. Quant au second Empire, si les dix dernières années réparèrent un peu le mal qui s'était fait dans les huit premières, il ne faut pas oublier combien ce gouvernement fut fort lorsqu'il s'agit d'écraser l'esprit, et faible lorsqu'il s'agit de le relever.
Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. XIII. 2. [Combien modifie un adv.] Combien facilement la vie se reforme, se referme (Gide, Journal,1914, p. 490): 27. Elles ne savent pas, ces dames, combien vite un homme se lasse d'une grue.
Renard, Journal,1898, p. 485. 3. [Combien modifie un verbe ou une loc. verbale] : 28. Le soir, Gladstone nota dans son journal que Dieu savait combien il regrettait d'avoir été l'instrument choisi pour amener la chute de Disraëli.
Maurois, La Vie de Disraëli,1923, p. 211. C.− [Précédé d'une interj. ou des coordonnants et, mais] Ô combien...! : 29. le substitut. − Et ça me laisse froid, ô combien! pour l'importance que ça a! ...
Courteline, Un Client sérieux,1897, 1, p. 13. 30. « Il était sordide et riche », écrit mon vieux camarade Haraucourt. Au figuré comme au propre, cela me suffit. Ah! oui, et combien!
Bloy, Journal,1902, p. 83. III.− Emploi subst. A.− [Avec l'art. déf. sing. ou plur. pour interroger sur un numéral ordinal] Tous les combien est-ce qu'il passe ce train? (L. Foulet, v. bbg). Tous les combien passe-t-il? (A. Thomas dsVie Lang.,1957, p. 215): 31. Elle ajoutait, sur le même ton :
− Le combien du mois sommes-nous?
− Le 19.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 67. B.− Lang. fam. [Précédé de l'art. déf. et de la prép. de pour interroger sur la pointure] Vous chaussez du combien? [= « quelle est votre pointure? »]. C.− Lang. philos. Les circonstances proprement dites, déterminations catégorielles de combien et de comment, de temps et de lieu, se prêtent à toutes les figures polymorphes ou polytrophes de l'énonciation (Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 8). Rem. gén. 1. La loc. conj. combien que subsiste chez des aut. archaïsants : 32. Car c'est la grand-nuit que par toutes les routes
Les chrétiens sont en marche vers Bethléem,
Et nous, combien que peu nombreux nous faisons notre peloton.
Claudel, Corona Benignitatis Anni Dei,1915, p. 457. Rem. gén. 2. Dans la lang. pop. ou fam. combientième ou, plus rarement, combiennième remplacent quantième. C'est la combien-nième, dit Rosalie, de piqûre, qu'on te fait? (MmeA.E.Z., Le 29 sept. 1925 ds Dam.-Pich. t. 2 1968 [1930], § 2578). Prononc. et Orth. : [kɔ
̃bjε
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. Adv. interr. direct ou indirect 1. emploi absolu ou devant un subst., av. 1120 (Voyage de Charlemagne, éd. P. Aebischer, 509 : Entre or fin e argent gardet cumben i ad); 1130-60 (Couronnement de Louis, 415 ds T.-L. : cumbien avez de gent); emploi elliptique pour combien de temps ca 1155 (Wace, Rou, III, 9084 ds Keller, p. 334b); por combien (d'argent) ca 1190 (Roman de Renard, éd. M. Roques, 11, 12148); 2. un verbe, mil. xiies. (Dialogue Gregoire, 13, 16 ds T.-L.); 3. un adj. ou un adv. [ici précédé de ô dans une phrase exclamative] 1534 (Rabelais, Gargantua, Prologue, éd. Ch. Marty-Laveaux, I, 6). II. Combien que loc. conj. concessive a) combien que exprime dans la prop. concessive une notion de quantité, d'intensité ca 1175 (Chr. de Troyes, Lion, éd. W. Foerster, 6218); xviiies. ds Lerch t. 1, p. 202; b) 1352-61 « quoique » (J. Le Bel, I, 93, ibid.), réputé ,,hors d'usage`` par Rich. 1680. III. Subst. se mettre sur le combien « débattre les conditions » (Aubigné, Hist. Univ. XII, 17 ds Hug.). Composé de l'a. fr. com (comme*) et de bien*. Fréq. abs. littér. : 10 703. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 18 727, b) 13 876; xxes. : a) 14 312, b) 13 494. Bbg. Bar (F.). Superl. et intensifs ds le fr. d'auj. Fr. mod. 1952, t. 20, p. 25. − Cohen 1946, p. 60. − Foulet (L.). Ts les combien passe-t-il? In : [Mél. Pope (M. K)]. Manchester, 1939, pp. 103-124. − Gautier (L.). Qq. tours néologiques. Fr. mod. 1962, t. 30, pp. 262-263. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 21, 32. − Rohlfs (G.). Fr. combien : ein Germanismus? In : [Mél. Henry (A.)]. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1970, t. 8, pp. 247-248. |