| COLORER, verbe trans. A.− Donner une (des) couleur(s). Ses cheveux étaient comme une nuée que le soleil à l'aube colore (Gide, Le Voyage d'Urien,1893, p. 31).[Cet oxyde] colore la flamme tantôt en vert (...) tantôt en violet (A. de Lapparent, Cours de minér.,1899, p. 555).Une stupide rougeur colorait son front (G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 16). − Emploi pronom. Prendre (une) couleur. Ceux [les corps sapides] (...) qui sont traités à l'huile se resserrent, se colorent d'une manière plus ou moins foncée, et finissent par se charbonner (Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 124).La nuit s'achève; elle s'éclaire et se colore là-bas, vers l'est, derrière les crêtes dont la ligne se découpe sur un ciel jeune, poudré d'or (R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 726): 1. Chaque animal se colore suivant son domicile et ses habitudes : Les renards du Groënland sont couleur de neige; les lions, couleur de désert; les perdrix, couleur de sillon; les brigands grecs, couleur de grand chemin.
About, Le Roi des montagnes,1857, p. 66. ♦ [En parlant d'un être humain, de son visage] Rougir sous l'effet d'une émotion. Ses pommettes se colorèrent (Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 250). − Spécialement 1. B.-A. Mettre en couleur. J'ai coloré l'aquarelle du Turc qui caresse son cheval (E. Delacroix, Journal,1852, p. 91).M. Achille Devérie (...) savait colorer la pierre lithographique (Baudelaire, Curiosités esthétiques,1867, p. 27). ♦ Absol. [P. oppos. à dessiner] Cette peinture (...) en somme, n'est ni du dessin, quoique M. Robert Fleury dessine très spirituellement, ni de la couleur, quoiqu'il colore vigoureusement (Baudelaire, Salon,1845, p. 22). 2. BIOL. Imprégner de colorant en vue d'un examen microscopique. Elle [la fuchsine] a été couramment utilisée depuis quarante ans pour colorer noyaux cellulaires et chromosomes (M. Privat de Garilhe, Les Acides nucléiques,1963, p. 51). Rem. On rencontre ds la docum. le verbe couleurer : Désespérant de jamais sentir la différence trop profonde qu'il y a entre colorer et colorier, le peuple s'en tire en fabriquant couleurer qui répond à tous ses besoins dans cet ordre d'idées (Gourmont, Esthétique de la lang. fr., 1899, p. 164). B.− En partic. [Avec valeur intensive] 1. Donner une couleur particulière, caractéristique. En réalité, nous ne voyons le monde qu'à travers nos sens, qui le déforment et le colorent à leur gré (A. France, La Vie littéraire,t. 3, 1891, p. XII).Il y a très peu de distance entre la pire humeur et la meilleure. Il suffit quelquefois de changer l'attitude, de retenir un geste ou une parole, pour colorer autrement une journée (Alain, Propos,1921, p. 342): 2. ... l'émotion musicale, ce presque-rien que le passé personnel, la réfraction morale, l'éducation artistique colorent de nuances imprévisibles.
Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 44. ♦ Emploi pronom. Se teinter de. Cette tendresse attentive (...) qui se colore de curiosité, de piété, de scepticisme, d'ironie, selon les heures (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 9).La science ne peut aller aux limites d'elle-même sans se colorer de mystique et se charger de foi (Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,1955, p. 316).Prendre la couleur de. Les êtres humains sont ainsi faits : les mots qui les atteignent se colorent de leurs propres sentiments, et nous n'entendons jamais que nous-même, quand un autre nous parle (Estaunié, Madame Clapain,1932, p. 252). − Spéc., MUS. Le timbre dramatique, c'est la qualité que possède la voix humaine de colorer très différemment un même son selon le caractère du mot prononcé pour exprimer les sentiments divers (J. Arger, Initiation à l'art du chant,1924, p. 53). ♦ Emploi pronom. Le flot des voix et de l'orchestre se précipite et se colore de saisissantes modulations (R. Rolland, Beethoven,t. 2, 1928, p. 356). 2. Donner des couleurs éclatantes, embellir : 3. Il y eut pour moi, dans ces quarante jours de bonheur, des souvenirs à colorer toute une vie...
Balzac, Le Médecin de campagne,1833, p. 225. − Spéc., dans les domaines de l'expr. artistique : 4. ... les écrivains français ont besoin d'animer et de colorer leur style par toutes les hardiesses qu'un sentiment naturel peut leur inspirer...
Mme de Staël, De l'Allemagne,t. 2, 1810, p. 98. ♦ Emploi pronom. Prendre de l'éclat : 5. Ce bonheur était peu vif quand je le possédais, aujourd'hui il se colore par mon imagination...
E. Delacroix, Journal,1852, p. 23. 3. Péj. Farder, dissimuler. Elle ne savait plus comment colorer mon éloignement sans cause aux yeux de mon père et de mes oncles. Il fallut revenir (Lamartine, Nouvelles Confidences,1851, p. 12).Tout ce qui peut colorer une infamie, croyez-vous que je ne me le sois pas dit à moi-même (Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 89).De quelques belles paroles qu'il colorât toutes ses haines (Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 555): 6. Donne-moi le songe qui colore les noirs chagrins. Mens, n'aie pas de scrupules. Tu n'ajouterais qu'une illusion à l'illusion de l'amour et de la beauté.
A. France, Le Lys rouge,1894, p. 266. − Locutions ♦ Colorer d'un prétexte. On ne cherchait même pas à colorer la chose d'un prétexte (Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 208): 7. « ... ne parlez pas de justice, ne colorez pas d'un prétexte de justice les résolutions que vous croirez devoir prendre, car tout cela n'a rien à faire avec la justice, puisque c'en est la négation, tout simplement. »
Clemenceau, Vers la réparation,1899, p. 21. ♦ (Servir de) un prétexte pour colorer. Son extrême jeunesse servit de prétexte pour colorer, aux yeux de la société de Rome, cette réserve du vieux prince (Lamartine, Nouvelles confidences,1851, p. 173). Prononc. et Orth. : [kɔlɔ
ʀe], (je) colore [kɔlɔ:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. [1ertiers xiies. franco-prov. colorad « qui a de la couleur » (Alberic de Pisancon, Alexandre, 68 ds Bartsch Chrestomathie, pièce 7)]; 1ertiers xiies. (Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 482 : la chere bele e culuree); 1690 colorant adj. (Fur.); 2. a) 1260-1344 au fig. « embellir (pour falsifier la vérité) » (Cron. Lond., p. 4 ds Gdf. Compl.); b) 1549 au fig. « orner, embellir » (Du Bellay, Deffense et Illustration de la Langue Françoyse, éd. H. Chamard ds IGLF : ces fleurs et ces fruits colorez de cette grande eloquence). Dér. de couleur* avec infl. ultérieure du lat. class. colorare « colorer » attesté au fig. au sens de « embellir, falsifier » en lat. impérial. Fréq. abs. littér. : 600. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 240, b) 643; xxes. : a) 742, b) 701. DÉR. 1. Colorable, adj.Qui peut être coloré. Glycogène colorable par l'iode (J. Verne, La Vie cellulaire hors de l'organisme,1937, p. 94).La structure colorable du chromosome (R. Husson, F. Graf, Manuel de biol. gén.,1965, p. 94).Au fig. (cf. colorer B 1). Ce n'est que cela, Mme de Guermantes! (...) je contemplais cette image qui naturellement n'avait aucun rapport avec celles qui, sous le même nom de Mme de Guermantes, étaient apparues tant de fois dans mes songes, puisque, elle, elle (...) n'était pas de la même nature, n'était pas colorable à volonté comme elles qui se laissaient imbiber de la teinte orangée d'une syllabe, mais était si réelle que tout, jusqu'à ce petit bouton qui s'enflammait au coin du nez, certifiait son assujettissement aux lois de la vie (Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 175).Rem. On rencontre ds la docum.colorabilité, subst. fém. Caractère de ce qui est colorable, faculté de prendre une coloration. Faible colorabilité (E. Brumpt, Précis de parasitologie,1910, p. 53).Une mince calotte que sa texture et sa colorabilité différencient du banal protoplasme environnant (J. Rostand, La Vie et ses problèmes,1939, p. 44).− [kɔlɔ
ʀabl̥]. − 1reattest. 1873 matières colorables (A. Wurtz, Dict. de chim. pure et appl., t. 2, 1ervol., p. 653); de colorer, suff. -able*. − Fréq. abs. littér. : 1. 2. Colorage, subst. masc.Synon. de teinturerie.Atelier de colorage (Michelet, Journal,1842, p. 475).− [kɔlɔ
ʀa:ʒ]. − 1reattest. 1842 id.; de colorer, suff. -age*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Duch. Beauté. 1960, p. 86. |