| CLOAQUE, subst. masc. A.− Endroit prévu pour servir de réceptacle aux eaux sales et aux immondices. Les filles, (...) vidaient en hâte leurs seaux de toilette, de la vie souillée, gâchée, qui s'en allait au cloaque (Zola, Fécondité,1899, p. 74). − Spéc. Galerie souterraine voûtée, en pierre, pour l'écoulement des eaux de pluie et des immondices. Synon. mod. égout*. ♦ En partic., ARCHÉOL., subst. fém. ou masc. La (ou le) grand(e) cloaque de Rome (en latin cloaca maxima). Premier et principal égout de l'ancienne Rome par lequel les eaux pluviales et les ordures de la ville allaient s'écouler dans le Tibre : 1. Quelquefois, l'égout de Paris se mêlait de déborder, (...). Par moments, cet estomac de la civilisation digérait mal, le cloaque refluait dans le gosier de la ville, et Paris avait l'arrière-goût de sa fange. (...); la ville s'indignait que sa boue eût tant d'audace, et n'admettait pas que l'ordure revînt.
Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 514. Rem. Littré note dans une remarque : ,,Dans la grande cloaque, le genre étymologique a été conservé par le latin maxima cloaca, qui est le nom de cet égout. Au xviesiècle cloaque était tantôt masculin, tantôt féminin; c'est à tort que le masculin l'a emporté, ne fût-ce qu'à cause de cette anomalie d'avoir un même mot de deux genres suivant l'emploi.`` On lit dans Lav. Diffic. 1892 : ,,L'Académie [1835, Compl. 1842, 1878] le fait féminin en parlant des ouvrages des anciens, (...); et masculin dans toutes les autres acceptions. On ne voit pas trop pourquoi l'Académie a embarrassé la langue de cette distinction frivole. Aujourd'hui, la plupart des auteurs le font masculin dans toutes ses acceptions, et nous pensons qu'on doit les imiter. L'Encyclopédie le fait masculin, même en parlant des cloaques des anciens.`` (Noter que Ac. 1932 n'enregistre pas l'emploi de cloaque au sens d'égout). ♦ P. métaph. − Monsieur le Comte, le cœur humain est un cloaque; descendons-y cependant quelquefois, en nous bouchant le nez, pour y recevoir quelques leçons utiles (J. de Maistre, Correspondance,1786-1805, p. 262).Il [Pierre] ne s'était jamais senti plongé ainsi dans un cloaque de misère (Maupassant, Pierre et Jean,1888, p. 431).La Tamise (...) est devenue cet égout énorme, ce cloaque maxime où dégorgent les docks (Morand, Londres,1933, p. 321). − P. anal., ANAT. ANIMALE. [Chez certains vertébrés inférieurs, notamment chez les poissons, les reptiles, les oiseaux] Poche située à l'extrémité du tube intestinal et constituant le réceptacle commun aux excrétions des voies digestives et aux produits des voies génitales. L'ouverture, la commissure, la fente, la paroi, les fibres, les muscles, le constricteur, l'intérieur du cloaque; canal qui s'ouvre dans le cloaque; cloaque de la femelle. B.− P. ext. 1. Poche d'eaux sales et stagnantes où croupissent des ordures. Cloaque de boue, de fange et de ténèbres; cloaque gluant et profond, fangeux; la boue des cloaques. Les amas d'eaux stagnantes, les cloaques boueux, les ordures humides (Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme,t. 2, 1808, p. 34): 2. Boues, fondrières, cloaques abondaient dans le pays, où, les pluies finies, toute sorte de détritus croupissaient, fermentant et pourrissant sous les premiers soleils.
Pesquidoux, Le Livre de raison,1928, p. 114. Rem. Dans l'ex. suiv., le syntagme rouler au cloaque est synon. de l'expr. tomber, rouler dans le ruisseau (ruisseau désignant ici les eaux sales coulant le long des trottoirs avant d'aller se jeter dans les égouts). Elle [Josine] devenait comme la victime unique (...) que la prostitution roulerait au cloaque (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 169). 2. Péj. Endroit, lieu très sale, malsain. Cloaques industriels. Le peuple, celui qui se pourrit dans le cloaque des faubourgs (Zola, Le Docteur Pascal,1893, p. 115). C.− Emploi métaph. ou fig., péj., littér. (de l'emploi B). [Pour exprimer le caractère immonde du foyer de corruption que constituent certains milieux ou groupes socio-professionnels, certains êtres, etc.] . Cette attitude qui décelait la fille traînée par tous les cloaques des villes (Huysmans, Marthe,1876, p. 119).Et tandis que sa faux [à la mort] reluit à l'horizon, La vie est un cloaque où tout être patauge (M. Rollinat, Les Névroses,1883, p. 348): 3. Il fallut se noyer l'âme dans les malpropres soucis d'argent, dans la purulence des égoïsmes sollicités, dans le cloaque des poignées de main.
Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 218. 4. Objection de Soury à la religion de l'humanité : rien n'est plus vil que l'humanité. Il vaudrait mieux rendre un culte aux chiens, si bons, excellents. Mais quel cloaque dans l'homme.
Barrès, Mes cahiers,t. 3, 1902-03, p. 17. SYNT. Le cloaque de l'humanité, de la société, de la presse, des modes; cloaque de vanités et de vices; cloaques d'ignominie, d'impiété et de mauvaises mœurs; cloaque immonde, impur; le cloaque littéraire, parisien. − [En tant que symbole de la pourriture, de la souillure, p. oppos. à ce qui est propre, pur, intact] Le cloaque. En d'autres termes, je fuis le cloaque et je cherche le sec et le propre, certaine que c'est la loi de mon existence (G. Sand, Correspondance,t. 6, 1812-76, p. 374). Rem. On rencontre ds la docum. l'adj. cloaqueux, euse, dans le syntagme bouche cloaqueuse et avec la signification « Bouche d'où ne sortent que des propos dont la bassesse, le caractère immonde... inspirent le dégoût » (correspond à l'emploi fig. et péj. de cloaque). Le gorille latin, l'ouistiti parisien, la pétroleuse à teint de limande, le sans-culotte à la bouche cloaqueuse et à la voix de fille, tous ces gens gris tendus vers le mal faire − tromper, voler, b..., resquiller, se défiler, − (...) − ce fumier battu de soleil (fumier de corps et d'âmes), c'était cela dont il recouvrait sa terre, et qui la faisait germer si dru (Montherlant, Les Lépreuses, 1939, p. 1507). Prononc. et Orth. : [klɔak]. Comme l'atteste Littré on a prononcé le mot avec [ɑ] post. pour lui donner une résonance plus péj. Mart. Comment prononce 1913, p. 112, met en garde contre la tendance à prononcer [o] fermé dans coalition, cohabiter, coefficient où co- est préf., ainsi que dans boa, cloaque, oasis, poème. Attesté ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1355 « lieu destiné à recevoir les immondices » (Bersuire, Tite-Live, ms. Ste-Gen. [av. 1380], fo20ads Gdf. Compl.); 2. 1569 cloacque p. ext. « ce qui est sale » (Ronsard,
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. xv, p. 235, Hylas [ici, fig., d'un homme]); 3. 1746-48 anat. (Dict. de James, trad. par Diderot, Eidous et Toussaint ds Trév. Suppl. 1752). Empr. au lat. class. cloaca « égout », qqf. employé pour désigner le ventre. Fréq. abs. littér. : 269. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 632, b) 555; xxes. : a) 388, b) 72. DÉR. Cloacal, ale, aux, adj.,anat. animale. [Chez certains vertébrés inférieurs, notamment chez les poissons, les reptiles, les oiseaux] Qui est relatif au cloaque et en partic., qui en fait partie. Région, poche, fente cloacale; orifice cloacal; paroi, membrane cloacale; diverticule, os cloacal; nerfs cloacaux. P. ext., psychanal. Théorie cloacale. ,,Théorie sexuelle de l'enfant qui méconnaît la distinction du vagin et de l'anus : la femme ne posséderait qu'une cavité et qu'un orifice, confondu avec l'anus, par lequel naîtraient les enfants et se pratiquerait le coït`` (Lapl.-Pont. 1967). Synon. théorie du cloaque.− [klɔakal], plur. [-o]. − 1reattest. 1838 (Ac. Compl. 1842); de cloaque, suff. -al*. − Fréq. abs. littér. : 1. |