| CLAIR-OBSCUR, subst. masc. A.− PEINT. Art de distribuer dans un tableau les nuances de la lumière contrastant avec un fond sombre. Clair-obscur rembranesque; clair-obscur des tableaux flamands. Rembrandt a puisé dans la science du clair obscur les effets à la fois doux et chauds de ses peintures (Michelet, L'Oiseau,1856, p. 314): 1. C'est le véritable secret de la peinture de clair-obscur que d'enlever à chaque objet sa personnalité physique, sa pesanteur propre et son contour net, pour le dissoudre dans le grand corps du tableau dont il ne constitue alors avec ses voisins que des éminences plus ou moins fortes, des détails plus ou moins soulignés.
Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 65. ♦ Spéc. Ce qui est peint sans mélange d'autres couleurs que du blanc et du noir, ou du blanc avec une seule couleur, comme les camaïeux. − P. ext. Lumière tamisée, diffuse, crépusculaire. Deux bougies éclairaient la table, tout en laissant la chambre dans le clair-obscur (Balzac, Ursule Mirouët,1841, p. 114): 2. ... nous n'allions ni du côté du soleil couché ni du côté de la lune levante. Quelque chose de vague, de fuyant, d'indécis, de clair-obscur et de clairsemé, composait cette vue et ce moment; ...
Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 197. SYNT. Le demi-jour, la pénombre du clair-obscur; le clair-obscur d'un boudoir, de la cathédrale. B.− Au fig. 1. Atmosphère douce, intime, propre à la rêverie, aux sentiments tendres : 3. ... ce silence, ce clair-obscur, cette solitude faisaient du bien à l'âme qui pouvait s'y livrer à une seule pensée, comme dans un cloître où l'on se recueille, ou comme dans la coite maison où l'on s'aime.
Balzac, Sur Catherine de Médicis,La Confidence des Ruggieri, 1837, p. 303. 2. Partie de l'âme caractérisée par la vie inconsciente et mystérieuse de ce qui échappe à la raison (empreintes du passé, rêves, intuitions du cœur ou de l'esprit). Voici une œuvre [les Possédés de Dostoïevsky] où dans un clair obscur plus saisissant que la lumière du jour, nous pouvons saisir la lutte de l'homme contre ses espérances (Camus, Le Mythe de Sisyphe,1942, p. 151): 4. Dans son état d'esprit, la joie de vivre lui semblait grossière; elle cherchait le clair-obscur mélancolique de l'âme, et elle se figurait qu'elle l'aimait. Il faisait trop jour en Christophe.
R. Rolland, Jean-Christophe,Les Amies, 1910, p. 1116. 5. Tout ce que Joubert dit sur la poésie est incomparable. Il faudra pour retrouver cette familiarité avec la ligne serpentine de la pensée et avec son clair-obscur attendre Mallarmé et Valéry.
A. Thibaudet, Hist. de la litt. fr. de 1789 à nos jours,1936, p. 70. Rem. On rencontre ds la docum. le subst. masc. clair-obscuriste, peu usité. Peintre qui utilise le procédé du clair-obscur. C'est à Rembrandt qu'il était réservé de puiser des trésors dans le clair-obscur. « Celui-là est le clair-obscuriste par excellence, » disait David à son élève Auguste Couder (Ch. Blanc, Gramm. des arts du dessin, 1876, p. 556). Prononc. et Orth. : [klε
ʀ
ɔb̭sky:ʀ]. Ds Ac. 1694-1798 s.v. clair; ds Ac. 1835-1932 sous une vedette indépendante. Au plur. des clairs-obscurs. Étymol. et Hist. 1596 [d'apr. Brunot; 1578 d'apr. Cioranescu 16e] chiar obscuro (B. de Vigenère, Les Tableaux [...] de Philostrate l'Ancien, p. 118 ds Brunot t. 6, p. 687); 1655 le clair et l'obscur (Poussin, Lett. à M. de Chantelou, p. 443, ibid., p. 693); 1668 clair-obscur (R. de Piles, Art de peint., p. 55 [trad. du lat.], ibid.). Calque du subst. ital. chiaroscuro (fin xve-début xvies. Léonard de Vinci ds Batt.), chiaro e scuro (Castiglione, ibid.). Fréq. abs. littér. : 139. Bbg. Gohin 1903, p. 376. |