| CHUTE, subst. fém. I.− Action de choir, de tomber. A.− Domaine concr. 1. Mouvement de quelqu'un ou de quelque chose qui choit, qui tombe. Chute brusque; hauteur, vitesse de chute. a) PHYS. Mouvement vertical d'un corps se rapprochant du centre de la terre sous l'effet de la loi de la pesanteur. Chute des corps : 1. Galilée avait analysé le mouvement des corps dans leur chute vers la terre; il avait reconnu que la pesanteur produit sur eux toujours le même effet dans le même temps, quel que soit leur état de repos ou de mouvement. Dans la chute d'un corps tombant verticalement sans vitesse initiale, elle accroît toujours la vitesse d'une même quantité dans l'espace d'une seconde, quel que soit le temps déjà écoulé depuis le commencement de la chute.
C. Flammarion, Astron. pop.,1880, p. 118. ♦ Chute libre. ,,Mouvement uniformément accéléré`` (Sc. 1962). b) Usuel. Action de tomber d'un niveau à un niveau inférieur. Chute de cheval. Chute de cycliste ou de piéton (Vie et langage,1953, p. 140). ♦ Chute d'eau ou absol. chute. Nappe d'eau tombant verticalement par suite d'une dénivellation importante du terrain dans son cours. Dans la vallée qui se déploie au-dessous de l'esplanade [de Metz, Desroches voyait] la chute de la Moselle et ses blanches écumes (Nerval, Les Filles du feu,Émilie, 1854, p. 306). − Spéc. [En parlant des précipitations atmosphériques] Chutes de pluie (J. Brunhes, La Géogr. humaine, 1942, p. 133); chute de neige (Colette, Sido,1929, p. 23). 2. [En parlant de la partie d'un tout] a) Action de se détacher de son support. Chute des cheveux, chute de pierres. Aux premières rouilles de septembre, la chute des feuilles des platanes, (...), sur l'étain figé des pièces d'eau (J. Lorrain, Sensations et souvenirs,1895, p. 11). − P. méton. Chute des feuilles. L'automne. Je comptois à peine dix-sept chûtes de feuilles, lorsque je marchai avec mon père, le guerrier Outalissi, contre les Muscogulges (Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 2, 1803, p. 180). SYNT. Chute du cordon (cf. J.-L. Baudelocque, Principes sur l'art des accouchemens par demandes et réponses, 1812, p. 217), chute de l'escarre (A. Nelaton, Élémens de pathol. chirurgicale, t. 1, 1844, p. 44), chutes de fruits (H. Boulay, Arboric. et production fruitière, 1961, p. 64), chute des glands (F. Vidron, La Chasse en plaine et au bois, 1945, p. 32), chute des poils (Quillet Méd. 1965, p. 363). b) P. ext. Action de s'abaisser tout en restant soutenu. ♦ Chute du rideau. Au théâtre, mouvement du rideau lorsqu'on le baisse; p. méton. la fin du spectacle : 2. Seriez-vous assez bon, comme je ne pourrai peut-être pas aller ce soir à l'Odéon, pour avertir de ma part M. Bouchet et pour faire donner les ordres nécessaires à la chute du rideau immédiatement après le serment prononcé, tout le monde restant tableau.
Hugo, Correspondance,1844, p. 616. − Spéc., MÉD. Relâchement, affaissement de certains organes. Synon. prolapsus.Pourrait-on guérir les chutes de matrice en tenant l'utérus relevé en tirant sur les ligaments ronds? (C. Bernard, Cahier de notes,1860, p. 98). SYNT. Chûte du fondement (Geoffroy, Manuel de méd. pratique, 1800, p. 3855), chute de la luette (P. Bretonneau, Des Inflammations spéc. du tissu muqueux et en partic. de la diphtérite, 1826, p. 158), chute de la paupière ou ptôsis (Quillet, Méd. 1965, p. 346), chute du rectum. 3. [En parlant le plus souvent d'une donnée qui est mesurable] Action de baisser, de diminuer considérablement; affaiblissement, baisse, diminution. Chute de potentiel. La chute du mercure annonce une diminution notable dans la pesanteur de l'air (Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme,t. 2, 1808, p. 16): 3. Ces tumeurs hyperinsulino-sécrétantes déversent dans le sang des quantités anormalement élevées d'insuline et entraînent donc une baisse du sucre dans le sang. Ces accidents hypoglycémiques sont d'aggravation progressive, si la chute de la glycémie est trop importante un coma brutal risque d'apparaître qui ne peut être combattu que par l'injection rapide intraveineuse de sérum glucosé hypertonique.
Quillet, Méd.1965, p. 155. ♦ Chute du jour. Affaiblissement de la lumière du jour au moment où la nuit arrive : 4. Arrivés ici [à Berne] vers la chute du jour. C'est le bon moment. Se glisser dans une ville inconnue à l'heure où la lumière hésite et s'adoucit, pas tout à fait entre chien et loup, mais un peu avant, il y a là une joie secrète.
Green, Journal,1947, p. 117. SYNT. Chute de cholestérol (R. Schwartz, Nouveaux remèdes et maladies d'actualité, 1965, p. 150), chute d'intensité (P. Schaeffer, À la recherche d'une mus. concr., 1952, p. 15), chute de poids (R. Schwartz, op. cit., p. 32), chute de pression (Ch. Chapelain, Cours mod. de techn. automob., 1956, p. 342), chute de tension (Hist. gén. des sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 111). B.− Au fig. 1. Fait d'être précipité d'une situation élevée ou privilégiée dans un état moindre ou malheureux. a) [En parlant de qqn] Fait de perdre son crédit, son influence. Synon. disgrâce.Chute d'un favori (Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1844, p. 292): 5. ... dans un gouvernement de la nature du nôtre, vous savez que l'on passe vite de la faveur à la disgrâce et de la chute à l'élévation.
Chateaubriand, Correspondance gén.,t. 2, 1789-1824, p. 276. b) [En parlant de qqc.] Fait de succomber à une opposition, à une résistance ou par suite d'une catastrophe. Amener la chute, provoquer la chute de. − THÉÂTRE. Insuccès d'une pièce. Synon. échec : 6. [À Juste et Caroline Olivier :]
Bref, il y a eu rumeur à la fin de la pièce [Judith de Madame de Girardin], et l'auteur n'a pas jugé à propos de se faire nommer. Somme toute, c'est un échec, une chute honnête.
Sainte-Beuve, Correspondance gén.,t. 5, 1818-69, p. 111. − [En parlant d'une ville, d'une place forte] Fait de tomber aux mains de l'ennemi. Synon. capitulation, reddition.Il [le prince T.] avait dû quitter Petrograd dès la chute du Palais d'hiver (P. Bourget, Le Tapin, Deux épisodes, 1928, p. 254). − [En parlant d'un gouvernement, d'une institution, d'un régime] Chute du gouvernement; chute du cabinet; chute de l'Empire, de la monarchie. À sa chute, [du cabinet] le Roi consulta divers hommes d'État sur le chef qu'il convenait de donner au nouveau cabinet (Proust, La Fugitive,1922, p. 636). 2. Fait de diminuer, de s'affaiblir considérablement, de disparaître. a) [En parlant de qqc. d'évaluable] Synon. baisse p. oppos. à hausse.Chute des prix (B. Cacérès, Hist. de l'éduc. pop.,1964, p. 88).Comment expliquez-vous la chute verticale des actions de la Senen and Serol Company? (Aymé, La Mouche bleue,1957, p. 178). SYNT. Chute de la demande (L'Univers écon. et soc., 1960, p. 3212), chute du mark (Giraudoux, Siegfried et le Limousin, 1922, p. 197), chute des ventes (L'Industr. fr. du caoutchouc, 1965, p. 44). b) LING. ,,Disparition d'un phonème ou d'un groupe de phonèmes appelée, suivant la place où elle intervient dans le mot, aphérèse, syncope, apocope`` (Mar. Lex. 1933). Chutes de voyelles posttoniques (Saussure, Cours de ling. gén.,1916, p. 203). c) [En parlant de qqc. d'abstrait] Synon. déclin, disparition.De génération en génération [la foi et le savoir] ne purent que décroître dans la vie séculière et la chute de l'art sacré en fut la conséquence (A. Lenoir, Archit. monastique,t. 1, 1852, pp. 39-40). 3. Chute (morale) Faute grave. Il [M. de Pontmartin] vient d'avoir sa chute morale (...) Il a été tenté, et il a succombé (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 3, 1863-69, p. 42). a) RELIG. Faute grave contre Dieu. Il y a eu deux grandes et mystérieuses chutes. Chute des Anges, chute de l'homme : catastrophes homothétiques, dirait un géomètre (Valéry, Tel quel II,1943, p. 192). − Chute de l'homme ou absol. la chute. Événement par lequel l'homme, à l'origine, en commettant une faute grave contre Dieu, a perdu par là même l'amitié divine et l'état bienheureux dans lequel il se trouvait pour tomber dans sa misérable condition actuelle assortie de la souffrance et de la mort. Chute originelle; dogme de la chute (Fulcanelli, Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique...,t. 2, 1929, p. 213): 7. Ainsi, tandis que le socialisme, aidé de l'extrême démocratie, divinise l'homme en niant le dogme de la chute, et par conséquent détrône Dieu, désormais inutile à la perfection de sa créature; ce même socialisme, par lâcheté d'esprit, retombe dans l'affirmation de la Providence, et cela au moment même où il nie l'autorité providentielle de l'histoire.
Proudhon, Système des contradictions écon.,1846, p. 326. − Faute des anges révoltés contre Dieu lors de l'épreuve initiale et pour cela tombés en enfer. Chute des anges (Théol. cath.t. 4, 1, 1920, p. 388). SYNT. Chute d'Adam, chute de nos premiers parents, chute originelle (P. Naudon, La Franc-maçonnerie, 1963, p. 88), chute du diable (Théol. cath. t. 4, 1, 1920, p. 360). b) Faute morale; spéc., haute contre la chasteté, le plus souvent en parlant d'une femme : 8. ... elle [Colette de Rosen] (...) s'était gardée honnête femme (...) parce qu'il y avait dans ce cervelet d'oiseau un souci de la netteté du plumage qui l'avait préservée des chutes salissantes...
A. Daudet, Les Rois en exil,1879, p. 114. 9. ... Philippe cherchait en vain, dans sa mémoire, le livre où il est écrit qu'un jeune homme ne se délivre pas de l'enfance et de la chasteté par une seule chute, mais qu'il en chancelle encore (...) pendant de longs jours...
Colette, Le Blé en herbe,1923, p. 167. II.− P. méton. A.− Ce qui choit; ce qui a chu. 1. Partie finale de quelque chose. a) Partie finale de quelque chose qui est en pente. Lisière de terre (...) venant en pente des montagnes à la mer. La chute des montagnes est tapissée d'un nombre infini d'oliviers (Stendhal, Journal,t. 2, 1805-08, p. 309). − B.-A. fam. La chute des reins. Le bas du dos. La lueur vacillante (...) illumina soudain, précisément à la chute des reins, la taille de la femme (Balzac, Ferragus,1833, p. 19). b) Domaine des arts − Finale d'un morceau en prose ou en vers; l'idée qui le termine, le trait final. Je trouve votre poème fort intéressant, dit Chambernac, mais la chute en est bien sentimentale (Queneau, Les Enfants du limon,1938, p. 35). − Partie où la voix s'arrête, tombe. Chutes de phrases (Renan, Hist. du peuple d'Israël, t. 2, 1889, p. 422); la chute de chaque verset (Zola, La Faute de l'abbé Mouret,1875, p. 1493): 10. Il y a trois sortes de monotonie dans la voix : la persévérance dans la même modulation, la ressemblance dans les chutes finales, la répétition fréquente des mêmes inflexions.
Ch. de Bussy, L'Art dramatique,1866, p. 258. − Chute d'une période. Sa fin; le dernier membre. Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du 19es. dont Ac. 1798-1878 ainsi que ds Ac. 1932 et Quillet 1965. − MUS. ,,Terminaison d'une phrase musicale`` (Rougnon 1935). Synon. actuel cadence : 11. [Au monastère d'Alexandro-Newsky] Et les chants (...) se succédaient (...) en la rude simplicité des thèmes liturgiques, si émouvants par leur chute sur la tierce, une tierce mystérieuse et interrogative.
A. Bruneau, Musiques de Russie et musiciens de France,1903, p. 64. 2. Dimension verticale de quelque chose. Ses jardins (...) descendent par étages en obéissant aux chutes naturelles du terrain (Balzac, Le Curé de village,1833, p. 73): 12. La chute rigide du profil [d'Everard] et l'étroitesse anguleuse de la face conviennent sans aucun doute à la probité inflexible, à l'austérité cénobitique, au travail incessant d'une pensée ardente et vaste comme le ciel.
G. Sand, Lettres d'un voyageur,1837, p. 227. − MAR. Hauteur verticale d'une voile quand elle est tendue; hauteur d'un filet quand il est tendu. Rem. Attesté ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19e, Lar. encyclop., Littré, Guérin 1892, Quillet 1965 ainsi que ds DG et Rob. pour la voile seulement. − Spéc., ARCHIT. Chute du toit. Sa pente. Double chute de son toit de tuiles (Aymé, Maison basse,1934, p. 25). 3. Ce qui est tombé lors de la coupe; morceau qui reste après une coupe et qui est inutilisé. Chutes de tissu. Les instantanés, les bouts de pellicule, les chutes de films de montage (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 191).Chutes de rails provenant du laminage des lingots du fer aciéreux (...) les rognures de tôles (Ch. Durand, Les Gdes industr. minérales en Lorraine,1893, p. 56). B.− L'endroit où quelque chose tombe. 1. ASTROL. Signe dans lequel une planète a moins d'influence. Synon. signe de déjection : 13. Plus une planète ressemble à la nature d'un signe plus elle est active si elle s'y trouve. Par contre, elle est déficiente lorsqu'elle se trouve dans un signe contraire à sa nature. (...) c'est pourquoi on appelle ces positions exil et chute.
H. Beer, Introd. à l'astrol.,1939, p. 172. 2. CHASSE. Lieu où certains oiseaux migrateurs (bécasses, canards) s'abattent au début de la nuit. Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixes. ainsi que ds Lar. 20e. Prononc. et Orth. : [ʃyt]. Fait partie des mots dans lesquels la suppression d'un phonème (ici [ə] muet de l'a. fr. cheute) n'est pas indiquée dans la graph. par un accent circonflexe. À ce sujet cf. Buben 1935, § 23. Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 1 1787 réclament cet accent. Il est noté ds Ac. 1694 et 1740 qui enregistrent chûte alors que Ac. 1718 écrit encore cheute; Ac. 1762-1932 donnent la forme moderne. Homon. chut. Étymol. et Hist. A. 1. 2emoitié xives. « fait de tomber » (Froissart, II, II, 225 ds Littré : une chute de cheval); 2. 1534 « action de se détacher de son support naturel » (Le Guidon en françoys, 241d, édit. 1534 cité par Vaganay ds Rom. Forsch., t. 32, p. 31 : cheute des cheveulx); 3. av. 1558 « écroulement (d'une maison) » (Mell. de S. Gell.,
Œuvres poét., p. 274, éd. 1719 ds Gdf. Compl.); 4. xvies. « pente d'un cours d'eau » (D'Aubigné, Hist., I, 287 ds Littré); d'où 1671 « chute d'eau » (Pomey). B. 1587 « effondrement (d'un pays, d'un régime) » (Lanoue, Disc., 2 ds Gdf. Compl.); 1680 « fait de tomber dans la déchéance » (Rich.); 1690 « insuccès, échec d'un auteur » (Fur.). C. Av. 1654 rhét. chute de la période (d'apr. G. Guillaume, J. L. Guez de Balzac et la prose fr., Paris, 1927, p. 486). Réfection, d'apr. chëue, chue, de l'a. fr. cheoite « chute » (chaaite, part. passé fém. subst., Benoit, Chr. des Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 18524; chaette, ibid., 43614), chëue et cheoite étant des part. passés de cheoir, choir*, le 1erissu de *caduta, le second de *cadecta forme anal. vulg. (Nyrop t. 2, § 102). Fréq. abs. littér. : 3 465. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 443, b) 4 842; xxes. : a) 4 346, b) 4 028. Bbg. Termes techn. fr. Paris, 1972, p. 39. − Uren (O.). Le Vocab. du cin. fr. Fr. mod. 1952, t. 20, p. 205. |