| CHOSE1, subst. fém. Ce qui se manifeste et que l'on ne désigne qu'en tant que tel. I.− Ce qui est, ce qui existe; réalité de toute espèce, envisagée indépendamment de la durée. A.− Ce qui existe à titre d'appartenance à quelque chose ou à quelqu'un, ce qui concerne quelque chose ou quelqu'un. 1. Au plur. [L'accent est mis sur l'appartenance à un tout dont les choses sont les éléments] a) Les choses de + subst. abstr. déterminé.Tout ce qui concerne un sujet, une matière, un domaine. Les choses de la nature, de la religion, de l'amour. La France a, dans les choses de la civilisation, l'autorité que Rome avait dans les choses de la religion (Hugo, Actes et paroles, 1, 1875, p. 130).Ils sont sans allégresse et presque sans envie, Ayant beaucoup souffert des choses de la vie (A. de Noailles, Le Cœur innombrable,1901, p. 168): 1. MlleAmpère est gentille, son expression est extrêmement douce et elle a l'air tout à fait étrangère aux choses de ce monde. Elle n'a même pas la plus simple coquetterie extérieure, celle des habillements.
Delécluze, Journal,1825, p. 150. ♦ Les choses de Dieu. La religion. SYNT. Les choses du cœur, de l'esprit, de l'intelligence, du sexe, de la terre; les choses d'ici-bas, d'en haut. b) Les choses + adj.Les choses humaines. Tout ce qui se rapporte à l'existence et à la vie des hommes. Synon. condition humaine.Des réflexions philosophiques sur la fragilité des choses humaines (Flaubert, La Tentation de St Antoine,1849, p. 385). SYNT. Les choses corporelles, célestes, divines, éternelles, naturelles, mortelles, pratiques, profanes, matérielles, terrestres, temporelles, sacrées, spirituelles, surnaturelles. 2. Au sing. et, moins souvent, au plur. Propriété, possession, objet dont on fait son usage propre. C'est sa chose, avoir des choses de valeur. Synon. bien3.La guerre contre Carthage était sa chose personnelle; il s'indignait que les autres s'en mêlassent sans vouloir lui obéir (Flaubert, Salammbô,t. 2, 1863, p. 11): 2. ... si mon débiteur aliène la chose sur laquelle j'ai un droit d'hypothèque, celui-ci n'est en rien atteint, mais le tiers-acquéreur est tenu ou de me payer, ou de perdre ce qu'il a acquis.
Durkheim, De la Division du travail soc.,1893, p. 84. 3. ... sa main [de l'organiste] se sent en contact direct avec la matière sonore qu'elle pétrit à plaisir et qui devient sa « chose ».
Ch.-M. Widor, Techn. de l'orchestre mod.,1904, p. 180. − DR. Choses corporelles, incorporelles; la chose prêtée, léguée, déposée, mobilière. Une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes (Code civil,1804, p. 352). − Spécialement a) Fam. Faire de qqn sa chose. Le mettre sous sa dépendance, sa domination : 4. Le pauvre fou Jacques Féray, objet de sa pitié, subit son ascendant, se voue à elle [Sibylle] et devient son serf et sa chose.
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 5, 1863-69, p. 27. b) Choses fongibles, consomptibles, communes, hors du commerce. « La mer, disait-il [le droit romain], est une chose commune comme l'air et l'eau de pluie » (Vidal de La Blache, Principes de géogr. hum.,1921, p. 270). B.− En gén. Ce qui existe et que l'on ne détermine pas ou que l'on détermine par le contexte. 1. [P. oppos. à ce qui n'existe pas] (Toute espèce de) réalité. De belles, bonnes, grandes, petites choses : 5. Il s'agit de n'être point
Mélancolique et morose.
La vie est-elle une chose
Grave et réelle à ce point?
Verlaine, Jadis et naguère,Les Uns et les autres, 1884, p. 336. − Partic. [Comme obj. ou finalité] a) [De la connaissance, de la pensée] Fond des choses; connaître, ignorer une chose; la manière de présenter les choses : 6. À force d'écrire quotidiennement sur toute sorte de sujets, de lire beaucoup de journaux, d'entendre beaucoup de discussions et d'émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion exacte des choses, s'aveuglant lui-même avec ses faibles pétards.
Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 2, 1869, p. 12. SYNT. a) Chose + des. Nature, notion, raison, sens, valeur, connaissance, contemplation, conscience, intelligence nette, vue des choses. b) Verbe + chose. Examiner, étudier une chose; voir les choses telles quelles, comme elles sont, de l'extérieur, de près, de loin, de plus haut, à fond, dans leur ensemble, dramatiquement, en noir, profondément, simplement; apprécier les choses à leur vraie valeur; peser les choses point par point; la manière d'envisager, de considérer, de présenter les choses. c) L'idée et la chose. ♦ Loc. et proverbes. En savoir des choses! Être au courant de beaucoup de détails plus ou moins difficiles ou secrets. Juger d'une chose comme un aveugle des couleurs. Porter un mauvais jugement. ♦ PHILOS. (en métaphysique, en partic. chez Kant). La chose en soi. Ce qui existe en soi, indépendamment de l'esprit qui l'appréhende. Synon. noumène, substance. Anton. phénomène. b) [De la parole] Dire une chose, toutes sortes de choses; raconter une chose; un tas de choses à dire. SYNT. Tant de choses; ce ne sont pas des choses à dire; rabâcher les mêmes choses, dire cent fois la même chose; dire des choses aimables, tendres, désagréables, désobligeants; parler de choses graves, indifférentes, insignifiantes, importantes, sérieuses, terre à terre; passons aux choses sérieuses; raconter une chose amusante, piquante; entre autres choses il lui a dit. ♦ Locutions Parler de choses et d'autres. Converser à bâtons rompus, aborder toutes sortes de sujets. Synon. parler de tout et de rien.Nous causâmes des petits ennuis quotidiens, puis de choses et d'autres (J. Laforgue, Moralités légendaires,1887, p. 262).Les choses répétées plaisent. Le proverbe dit que les choses répétées plaisent, mais qu'à la troisième redite elles deviennent fastidieuses (T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 464).[Dans la lang. des exposés didact.] Il y aurait beaucoup de choses à dire, à redire (à cela). [Dans le lang. de la politesse] (Dire) bien des choses à qqn. Lui transmettre par un message ses salutations, ses compliments. (Dites lui) bien des choses de ma part, chez vous, à tout le monde; mille choses affectueuses, aimables, amicales, gracieuses, tendres à; tout plein de choses à (vx, fam.). Mille choses aimables à toi et à tout le monde. Napoléon (Napoléon 1er, Lettres à Joséphine,1806, p. 117).J'ai reçu une lettre de l'honnête Bardoux qui me charge de vous dire mille choses (Flaubert, Correspondance,1862, p. 50). c) [De l'action] Avoir beaucoup de choses à faire, faire les choses à fond, une chose après l'autre. Chaque chose demande son temps (Musset, Revue des Deux Mondes,30 oct. 1832, p. 368).Louis, tu as fait une chose honteuse! Voilà que tu as vendu ta femme pour de l'argent (Claudel, L'Échange,1reversion, 1894, II, p. 689): 7. Les premières heures furent courtes. On avait un tas de choses à faire, des paquets à mettre en ordre, des dispositions à prendre pour le voyage.
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 353. SYNT. a) Chose base du syntagme nom. Ce n'est pas chose aisée, facile. b) Chose dans un syntagme verbal. Avoir un tas, une foule de choses à faire; s'occuper de beaucoup de choses; remettre les choses au lendemain, à plus tard; simplifier, compliquer les choses; faire les choses selon les règles; faire les choses consciencieusement, convenablement, correctement, largement, magnifiquement, mesquinement, naturellement, lentement, progressivement, rapidement, exprès, à fond, à temps, à son idée, en une heure, en grand, en conscience, en cachette, de bonne grâce, avec douceur, avec maladresse, avec règle et mesure, par principe, sans y penser. ♦ Locutions Faire de grandes choses. Accomplir des exploits. Ne pas faire les choses à demi, à moitié. Ne rien négliger. Sachons profiter des leçons d'un passé récent; ne faisons pas les choses à demi (Jaurès, Europe incertaine (1908-11),1914, p. 18).Faire bien les choses. Les faire consciencieusement, convenablement; ne pas lésiner sur la dépense, payer tous les frais nécessaires, notamment pour recevoir des invités (infra II B 1 b). C'est la moindre des choses. C'est le minimum qu'il convient de faire. Toutes choses cessantes (vieilli). Immédiatement, en abandonnant tout ce que l'on faisait. Synon. toutes affaires cessantes. ♦ Proverbe. À chose faite, conseil pris. Il est trop tard de demander conseil quand le fait est accompli. d) [Du comm.] Évaluer le prix des choses, acheter des choses inutiles, manquer des choses nécessaires : 8. ... si la masse des espèces qui circulent venait à doubler, le prix de toutes choses doublerait, c'est-à-dire que pour avoir le même objet il faudrait donner le double d'argent.
Say, Traité d'écon. pol.,1832, p. 279. ♦ Spécialement Belles choses. Articles de luxe ou de qualité moins commune que les autres. Bonnes choses. Mets savoureux : 9. − Je ne suis pas à jeun : le capitaine Singleton m'a donné toutes sortes de bonnes choses et même il m'a fait sauter un œuf à la poêle, un œuf de pétrel, paraît-il.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 116. 2. [P. oppos. à une appréciation superficielle de la réalité ou à sa désignation par le lang.] a) [L'accent est mis sur l'appréciation] Réalité objective, profonde des choses; rétablir les choses; par la force des choses. Synon. fait, objet, phénomène : 10. « ... les Autrichiens vous massacreront s'ils peuvent, malgré le mariage de Marie-Louise et de votre empereur; on commence à voir que les intérêts des rois ne sont pas tout en ce monde, et le plus grand génie ne peut pas changer la nature des choses. »
Erckmann-Chatrian, Le Conscrit de 1813,1864, p. 91. 11. Acculé, par la force des choses, devant l'hypothèse menaçante, il n'y a plus un seul gouvernement qui ne se dise : « Après tout, c'est une partie à jouer... et peut-être une belle occasion à saisir! »
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 470. 12. Il ne se contente pas de l'apparence des choses, mais il voit au-delà, il devine les signes dont l'univers est empli.
Brasillach, Pierre Corneille,1938, p. 486. − Locutions ♦ C'est dans l'ordre des choses. Cela est imposé par les lois naturelles : 13. Ce n'est point là certainement l'ordre de choses qui existe; et s'il étoit réellement tel, nous n'aurions pas de chevaux coureurs de la forme de ceux qui sont en Angleterre; ...
Lamarck, Philos. zool.,t. 1, 1809, p. 236. ♦ Regarder les choses en face. Ne pas avoir peur d'affronter la réalité : 14. ... ce n'est pas la même chose d'opprimer des hommes en secret ou bien à la face du monde. Me taire, ça serait du défaitisme; ça serait à la fois refuser de regarder les choses en face, et nier qu'on puisse les changer; ...
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 372. Rem. On notera la parenté entre ces syntagmes et ceux groupés sous I B 1 a. b) [L'accent est mis sur la désignation par le lang.] (Dire) le mot et la chose. On m'a reproché d'avoir mis des brigands sur la scène. Eh! qu'importe le nom quand la chose n'y est pas? (La Martelière, Robert, chef de brigands,1793, p. V). − Locutions ♦ Le nom ne fait rien à la chose. Le nom ne change rien à la réalité qu'il exprime : 15. ... la vérité dont il doit se nourrir est la vérité d'observation sur la nature humaine, et non l'authenticité du fait. Les noms des personnages ne font rien à la chose.
Vigny, Réflexions sur la vérité dans l'art,1829, p. XII. ♦ Appeler les choses par leur nom. Parler franchement, sans détours. L'autre affreux vieillard c'est le pape/Il faut appeler les choses par leur nom (Prévert, Paroles,1946, p. 135). ♦ Les choses parleront assez d'elles-mêmes. La réalité n'a pas besoin d'être expliquée. − P. ext., CRIT. LITTÉR. Le fond, les idées, le contenu, par opposition à la mise en forme, au style. Ouvrage plein de belles choses. Il y a de bonnes choses dans cet ouvrage, mais il est colossal et manque de grâce (Delécluze, Journal,1828, p. 170).Beaucoup de choses peuvent se dire en peu de mots (A. Dumas Père, Intrigue et amour,trad. de Schiller, 1847, II, 4, p. 223). 3. [P. oppos. aux êtres vivants, en partic. aux hum.] Objet concret, inanimé concret, matériel, du monde extérieur. Les gens et les choses, les choses qui nous entourent, l'immobilité des choses. Synon. objet.Ces montagnards ont des physionomies aussi tranquilles que des choses (Jammes, Le Roman du lièvre,Almaïde d'Étremont, 1901, p. 160).Un regard positif sur les choses et les personnes (Paul VI, Hymne à la joie chrétienne,1975) : 16. De quoi est composé ce capital Culture ou Civilisation? Il est d'abord constitué par des choses, des objets matériels, livres, tableaux, instruments, etc., qui ont leur durée probable, leur fragilité, leur précarité de choses.
Valéry, Regards sur le monde actuel,1931, p. 240. 17. ... il fallait, à l'improviste, organiser l'évacuation d'une masse de choses et d'une foule de gens. Je m'en occupai jusqu'au soir, tandis que partout on emballait des caisses, que bruissaient du haut en bas de l'immeuble les visiteurs du dernier moment et que sonnaient sans arrêt des téléphones désespérés.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 51. SYNT. a) Tas de choses, immobilité des choses, aspect des choses. b) Une chose familière, fragile, frivole, futile, lourde, énorme, mangeable, dure, molle, précieuse, utile, vaine; choses jolies, sucrées. − Spécialement a) Offrir quelques petites choses. Synon. de babiole, bagatelle, gadget. b) Leçon de choses. Enseignement des classes primaires dispensé dans le cadre des activités d'éveil pour donner aux enfants à partir de l'expérience des objets usuels et des produits de la nature les notions élémentaires : 18. Des souvenirs confus, naïfs, scolaires se pressaient dans l'esprit de Joseph. Il revit un livre de « leçons de choses », avec le dessin de la Grande Ourse.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 66. ♦ P. ext. Expérience décisive, marquante : 19. Ma femme de chambre ne voulait pas rester non plus, il y a eu des scènes homériques. Malgré tout, j'ai tenu ferme le gouvernail, et c'est une véritable leçon de choses qui n'aura pas été perdue pour moi.
Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs,1918, p. 597. II.− Ce qui se passe, ce qui arrive dans le temps. A.− Action. 1. Action en général, en tant qu'elle est conduite ou envisagée par l'homme, et que le contexte peut préciser. Chaque chose en son temps; c'est chose faite! c'est une chose à quoi je ne saurais me résoudre. La poésie reflète ces grands événements [les guerres, les migrations de peuples]; des idées elle passe aux choses (Hugo, Préface de Cromwell,1827, p. 4). − Loc. Laisser aller les choses. Ne pas intervenir. − Proverbes. Il ne faut pas négliger les petites choses. L'attention aux petites choses est l'économie de la vertu. 2. Action précise, dont la dénomination reste vague par convention tacite entre les membres de la communauté linguistique. − P. euphém. [Avec l'art. déf. sing.] L'acte sexuel. Faire la chose. Faire l'amour. Être porté sur la chose. Être enclin aux plaisirs érotiques : 20. − Je te dis que je veux la belle dame rose! ...
− Ç'a t'y du vice!... Ah ça : t'es porté sur la chose?...
T. Corbière, Les Amours jaunes,1873, p. 197. 21. À mon idée, c'est comme une espèce de garçon manqué, toujours à courir les bois, à rejinguer avec point de souci en tête, et des vouloirs sur la chose que vous savez quoi.
Aymé, La Vouivre,1943, p. 167. Rem. Pour un autre ex. de convention tacite sur le sens précis de chose, cf. supra I B 1 b : bien des choses à qqn. B.− Action impliquant des développements, des rebondissements, etc. Synon. affaire, intrigue, entreprise. 1. [Avec une idée de convenance] a) Au sing., littér., vx. Chose publique (res publica). Ce qui convient au bien du peuple, bien commun géré par l'État. Le soin de la chose publique le retenait ici, près de l'Élysée (J. Vallès, Les Réfractaires,1865, p. 69): 22. Si j'avais l'honneur d'être conservateur à quelque degré (...) je penserais que c'est le moment où jamais de s'unir, de comprendre que la chose publique s'en va dans un morcellement misérable d'intrigues...
Sainte-Beuve, Portraits contemp.,t. 2, 1846-69, p. 488. Rem. On rencontre ds la docum. le néol. d'aut. chosard, subst. masc., pour désigner le républicain (cf. A. France, L'Île des pingouins, 1908, p. 213, 215). b) Au plur. [Vie mondaine] Bien faire les choses. Recevoir ses invités avec largesse, sans lésiner sur les dépenses. Il a bien (grandement, largement, magnifiquement) fait les choses : 23. Je t'assure que, si je n'étais pas en deuil, c'est moi qui aurais mis au bas des invitations : « De la part de la baronne de Lermont... » et puis ce sont des gens qui font les choses bien... Oh! ça, j'en suis sûre... c'est impossible qu'ils ne te donnent pas quelque chose.
E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 183. 2. [Sans idée de convenance] a) Au sing., lang. jur. Affaire confiée à la justice. Chose jugée. Ce qui a été décidé à l'issue d'un procès. L'autorité de la chose jugée, le respect dû à la chose jugée, jugement passé en force de chose jugée (G. Scelle, Le Fédéralisme européen,1952, p. 21). b) Souvent au plur. Ce qui se passe à un moment donné, action en cours, événement. Les choses présentes, passées, futures, à venir; le cours naturel des choses. J'ignore ce qui s'est passé, mais il doit y avoir eu des choses (Hugo, L'Homme qui rit,t. 3, 1869, p. 203): 24. Mais, peu à peu (...) les choses se sont gâtées. (...) Les choses ont traîné, les accords ne sont pas intervenus et la situation actuelle a été préparée [au Maroc].
Jaurès, Europe incertaine (1908-11),1914, p. 286. − Spéc. L'état des choses. Ensemble de circonstances, d'événements. En cet état de choses, dans l'état actuel des choses, les choses étant ce qu'elles sont, au point où en sont les choses. Les choses en étaient là quand, soudain, on apprit qu'une nouvelle offensive était à la veille de se déclencher (Foch, Mémoires,t. 2, 1929, p. 87).Synon. situation, conjoncture : 25. Mais ces foules démoralisées, déjà assiégées par l'armée de Saladin, étaient sur le point de capituler à leur tour, quand la nef du marquis de Montferrat apparut dans le port. Son arrivée changea la face des choses. Conrad était vraiment l'homme fort qui convenait à une situation désespérée, ...
Grousset, L'Épopée des croisades,1939, p. 255. SYNT. Rapporter les choses comme elles sont arrivées; ces choses n'arrivent qu'à moi; ce sont des choses qui arrivent, qui marquent; les choses ont changé de face; les choses tournent mal, au tragique; les choses se corsent, se gâtent, n'iront pas loin; accélérer, précipiter, arranger les choses; ne pas brusquer les choses; n'exagérons pas les choses; c'est forcer les choses; pousser les choses assez loin; cela va faciliter les choses; cela explique bien des choses; les choses vont vite, ont trop duré; nous verrons les pires choses. − Locutions ♦ Prendre les choses de loin, telles quelles, à la lettre, à cœur, au sérieux, en main, du bon côté, au tragique, bravement, simplement, impartialement, dans leur ensemble. ♦ Prendre les choses comme elles viennent. Accepter dans chaque cas ce qui vous échoit par le sort. ♦ Il se passe des choses bizarres, graves, extraordinaires, singulières, inouïes, énormes, drôles, étranges, troubles, imprévues. Il se passe de drôles de choses (J. Laforgue, Moralités légendaires,1887, p. 43). ♦ Mener les choses rondement, vivement, à leur fin, à sa guise, de front. ♦ Mettre les choses au pire. Supposer la situation très dramatique. Mieux vaut mettre les choses au pis tout de suite, répondit l'ingénieur, et ne se réserver que la surprise du mieux (Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 77). ♦ C'est absolument, exactement la même chose. Il s'agit d'un cas semblable. Anton. c'est différent, c'est autre chose. c) En partic., au sing. et parfois au plur. Ce dont il s'agit, l'affaire en question, ce dont on parle. La chose est d'importance, le côté piquant de la chose, convenir d'une chose avec qqn. Parlons sérieusement, la chose en vaut la peine (Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 109).Elle prend la chose aussi gaiement que moi (Du Bos, Journal,1922, p. 98): 26. − Fais le tour par la porte de l'Avenue pendant que je vas serrer nos agrès, dit le père Fourchon [à Mouche], et quand tu leur auras dégoisé la chose, on viendra sans doute me chercher au Grand-I-Vert où je vas me rafraîchir...
Balzac, Les Paysans,1844, p. 41. SYNT. En deux mots voilà la chose; je vais vous conter la chose; qu'est-ce que cela fait à la chose? la chose fut résolue; c'est chose réglée, convenue; la chose paraît incroyable, évidente; se douter de la chose; la chose n'est pas rare; la chose ne lui a pas plu; la chose est sans remède; la chose fut bien accueillie; la chose n'est pas simple; apprendre une chose admirable, abominable, bizarre, curieuse, effrayante, extraordinaire, épouvantable, inouïe, incroyable, merveilleuse, monstrueuse, singulière, touchante, triste; les choses ne pressent pas; les choses sont plus claires, sont en bonne voie. III.− [En emploi anaphorique, souvent avec un adj. dém. et, de ce fait, en concurrence avec un pron. dém. neutre (cf. ce1, ceci, cela)] Ce qui se manifeste, c'est-à-dire est dit ou écrit dans la partie immédiatement postérieure ou parfois antérieure du discours. A.− [Dans une prop. introductive, ou dans un syntagme nom. syntactiquement hors phrase; pour annoncer ce qui suit] Veux-tu que je te dise une chose? ... Tu ne seras jamais de Bordeaux, toi (E. Labiche, Un Jeune homme pressé,1848, I, 6, p. 359).Ils (...) ne demandaient qu'une chose, vivre tranquilles ici, ne plus retourner au front, ne plus voir le feu (Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 388): 27. Une seule chose me chiffonne dans votre retour à Croisset : c'est que j'ai peur que vous remettiez indéfiniment votre voyage aux eaux et que les eaux ne coulent sans vous, ce qu'il ne faut pas faire.
Flaubert, Correspondance,1877, p. 50. SYNT. Je vais vous dire une chose; cela prouve, signifie une chose; je pense à une chose, je remarque une chose; il y a trois choses à considérer; une chose m'étonne, me tracasse; une chose est sûre; la chose que je redoute le plus, c'est...; la première chose que vous aurez à faire, ce sera...; la chose qui me frappe, c'est que...; je lui dis entre autres choses. − Spécialement 1. [Pour introduire une alternative, un choix, un dilemme] De deux choses l'une, ou bien... ou bien... : 28. De deux choses l'une, alors : ou il suivra le grand chemin, (...) ou il prendra quelque route de traverse, ...
A. Dumas Père, La Fille du régent,1846, prol. 1, p. 138. 2. [Pour distinguer deux cas totalement différents] Cf. autre chose, infra chose2: 29. ... la rivalité offensive des égoïsmes contraires est nécessaire pour les contraindre à transiger, quand ils ne savent renoncer dans une abdication spontanée. Mais c'est une chose, pour le sociologue, de reconnaître cette nécessité, et c'en est une autre, pour le psychologue et le moraliste, de s'en représenter exactement le tableau spirituel.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 547. 3. [Avec un adj. épithète] Chose plus grave; cette chose étonnante; c'est une chose grave que de; la seule chose sûre, c'est que. B.− [En appos., parfois dans une incise introd. ou non par une conj. de coordination; pour reprendre globalement l'énoncé qui vient d'être fait] 1. [Après virgule] Mes préparatifs faits, et la chose ne fut pas longue, je sortis (A. Dumas Père, Comment je devins auteur dramatique,1833, introd., p. 3): 30. Il faut, se dit-il, en rentrant à l'hôtel, que je tienne un journal de siège; autrement j'oublierais mes attaques. Il se força à écrire deux ou trois pages sur ce sujet ennuyeux, et parvint ainsi, chose admirable! à ne presque pas penser à Mllede La Mole.
Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 400. SYNT. Chose curieuse, étonnante, étrange, admirable, bizarre, extraordinaire, horrible, incroyable, naturelle, singulière, surprenante, unique, rare, digne de réflexion, de remarque. 2. [Après ponctuation forte] Chose + adj., chose qui, que, toutes choses qui, ce sont des choses que : 31. Chose contradictoire en apparence, ce pays [l'Italie] célèbre pour la pureté de son ciel, est celui de l'Europe où la terre reçoit le plus d'eau pluviale. C'est que cette eau ne tombe guère que par grands orages.
Michelet, Hist. romaine,t. 1, 1831, p. 6. 32. Certes, vous n'êtes que trop enclin au soupçon. On commence par des ruminations bénignes, on y prend goût, et on finit par devenir insensiblement un véritable paranoïaque. La chose est banale.
Bernanos, La Joie,1929, p. 639. C.− [En emploi exclam., en constr. incise ou exclam.; spéc. pour annoncer ce qui suit] Chose étrange! La belle chose de + inf., la bonne chose que...!Mon ami, quelle bonne chose que la vie, et comme je suis heureux ce matin! (Theuriet, Le Mariage de Gérard,1875, p. 92).Fâmeuse chose que cette gélatine! (Claudel.Partage de midi,1949, III, p. 1125). SYNT. (Choses + adj.). Choses belles, bonnes, claires, communes, créées, curieuses, défendues, difficiles, énormes, extérieures, essentielles, excellentes, exquises, extraordinaires, étonnantes, étrangères, gentilles, grandes, petites, honteuses, horribles, immondes, impossibles, inconnues, importantes, insignifiantes, indifférentes, incompréhensibles, inconvenantes, inertes, inouïes, intéressantes, inutiles, invisibles, lointaines, légères, frivoles, magnifiques, merveilleuses, monstrueuses, matérielles, mortes, nécessaires, nouvelles, oubliées, pareilles, perdues, particulières, permises, précieuses, profondes, rares, remarquables, réelles, saintes, secondaires, semblables, sensibles, simples, solides, sérieuses, terribles, touchantes, tristes, utiles, vieilles, vilaines, visibles, vivantes, vraies. Rem. gén. 1. À cause même de l'indétermination inhérente au sens du mot, la catégorisation des emplois ci-dessus proposée ne peut prétendre à une extrême rigueur sémantique, et plusieurs des syntagmes cités pourraient être déplacés ou figurer dans 2 cases distinctes sans inconvénient; on a cependant tenu grandement compte, pour établir la grille utilisée, des rencontres contextuelles les plus fréquemment attestées ds la docum. 2. Le plur., partic. fréq. dans les syntagmes les plus usuels, apporte gén. une nuance d'indétermination supplémentaire. Le sing., au contraire, particularise gén. le sens. Les synon., dans l'un et l'autre cas, traduisent bien cette opposition. Prononc. et Orth. : [ʃo:z]. Grammont Prononc. 1958, p. 19 : ,,Les méridionaux prononcent ouvert et bref l'[o:] fermé long : chose [ʃ
ɔz]; rose [ʀ
ɔz]; paume [pɔm]; autre [ɔtʀ
̥]; baume [bɔm]; etc.`` Ds Ac. 1694-1932. Fér. Crit. t. 1 1787 note qu'il convient de mettre l'accent circonflexe sur ô pour marquer la durée : chôse. Étymol. et Hist. A. Subst. 1. 842 cosa « réalité concrète ou abstraite généralement déterminée par le contexte » (Serments de Strasbourg ds Henry Chrestomathie); ca 880 Niule cose « rien » (Ste Eulalie, 9, ibid.); 1erquart xiies. Granz chioses « des choses importantes » (Lapidaire de Marbode, éd. I. Studer et J. Evans, 1reversion fr., 411); 1172-75 po de chose [peu de chose] (Chr. de Troyes, Chevalier charrette, éd. M. Roques, 1434); 1200-06 autre cose (R. de Clari, Constantinople, 57 ds T.-L.); 1200-06 d'unes coses et d'autres « [parler] de choses et d'autres » (Id., op. cit. éd. Lauer, CVI, 22 ds IGLF); début xives. quelque chose (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, 172, ibid.); 2. fin xiies. sens trivial la cose fere (Roman de Renart, éd. M. Roques, I, 2700); 3. 1352-56 la chose publique (P. Bersuire, Tite Live, B.N. 20 312 ter, fo1 vods Gdf. Compl.); 4. a) xvies. désigne qqc. dont le nom échappe (Farce de frère Guillebert ds Ancien Théâtre François, éd. Viollet-le-Duc, t. 1, p. 326); b) xvies. remplace un nom de pers. (Comédie des Proverbes, ibid., t. 9, p. 89). B. Adj. 1739 tout chose (Caylus, Les Ecosseuses, Œuvres badines, X, 14 ds IGLF). Du lat. causa (v. cause) qui, à partir du sens de « affaire », a pris en b. lat. le sens de « chose ». L'expr. Chose publique est un calque du lat. Res publica. Bbg. Cohen 1946, p. 68. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 51. − Foulet (L.). Créature au sens de chose. Romania. 1931, t. 57, pp. 432-436. − Henning (G. N.). Toutes choses. Mod. Lang. Notes. 1921, t. 36, pp. 438-439. z Mellot (J.). Sur les côtes de Palerme. Vie Lang. 1957, pp. 134-136. − Quem. 2es. t. 2 1971; 2es. t. 4 1972. − Thomas (A.). Nouv. Essais 1904, p. 121. |