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CHEZ, prép.
Préposition exprimant la relation « à l'intérieur de », cet intérieur étant considéré comme le siège de phénomènes typiques.
A.− Sens local. [Exclusivement avec des subst. de l'animé hum., des noms de pers. (ou des pron. corresp.)]
1. [Le groupe prép. signifie « dans la maison de, au domicile de, dans le magasin de... »]
a) Chez + sing.Habiter chez son frère, aller chez le pharmacien :
1. Entre donc, vieille tripe! C'est mon tour, tu payes assez souvent. Ils entrèrent chez Lencaigne, ricanant d'aise, se poussant d'une grande tape affectueuse. Zola, La Terre,1887, p. 227.
2. − J'ai retrouvé un projet de discours, destiné à être lu à la chambre, dans le cabinet de toilette de la dame en question, me disait-il en souriant, tandis qu'on nous annonçait chez la merveille. Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 184.
En raison du sens « dans la maison de », le groupe prép. peut être lui-même précédé d'une autre prép. à valeur locale, le concept « dans » étant alors neutralisé et chez signifiant « la maison où habite..., séjourne habituellement... » :
3. Alors je songeai, puisque j'avais la clef de chez elle, à aller la voir comme de coutume. A. Dumas Fils, La Dame aux Camélias,1848, p. 146.
4. Tous les jeunes gens, et même les messieurs âgés qui aimaient bavarder avec une femme, de temps en temps, poussaient une pointe jusqu'à chez elle, et s'enquéraient hypocritement de la présence de Respellière. Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 35.
5. Les avenues avant chez la tante c'était plein de marrons. Je pouvais pas m'en ramasser, on n'avait pas une minute... Céline, Mort à crédit,1936, p. 51.
b) Chez + plur.Le groupe prép. désigne une petite communauté (couple, famille). Vivre chez ses parents; être invité chez des amis.
Chez suivi des mots famille, ménage :
6. ... j'arrivai chez la famille Prévost. Delécluze, Journal,1825, p. 207.
7. Samedi 23 avril. Déjeuner à Versailles avec les Daudet, chez le ménage Lafontaine. Un gentil petit intérieur, mais un fichu déjeuner, ... E. et J. de Goncourt, Journal,1892, p. 235.
Chez + n. propre précédé de l'art. déf.Chez les Dupont. Chez le couple, dans la famille Dupont.
Rem. 1. À la 3epers., les pron. lui, elle, eux, elles renvoient à une ou plusieurs personnes dont il a été question précédemment. Chez est suivi de soi quand le suj. est indéterminé ou non exprimé : M. de La Fayette sortit de chez le roi en nous rassurant tous : chacun se retira chez soi après minuit (Mmede Staël, Considérations sur les princ. événements de la Révolution fr., t. 1, 1817, p. 270). 2. Chez + subst. désignant un lieu est exclu. Voici, p. plaisant., placé dans la bouche d'un étranger : « Ah! bien, répondit le Scandinave, (...). Mais je dois faire observer à Madame que, si je me suis permis ce questionnaire − pardon, ce questation − c'est que je dois retourner demain à Paris pour dîner chez la Tour d'Argent ou chez l'Hôtel Meurice » (Proust, Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 931).
Emploi substantivé précédé d'un déterminatif, fam. et région. (notamment au Canada). Chez les Vaillancourt, c'est mon chez nous (Ringuet, L'Héritage,Montréal, 1946, p. 17).
2. Fam., gén. avec un pron. Le groupe prép. désigne une communauté plus large (ville, village, région et même pays) avec laquelle les pers. ont des liens affectifs :
8. Et, même si c'était la maladie, à supposer même que ce soit ça, est-ce que ce serait la première fois qu'on l'aurait par chez nous?... Est-ce qu'ils ne l'ont pas eue au Châble, et encore l'hiver passé à Entremont, et à Eveneire?... Ramuz, La Grande peur dans la montagne,1926, p. 116.
9. ... c'est bien l'italien qu'ils parlent, mais avec l'accent de chez eux. E. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 75.
10. À côté, c'est une maison française bâtie à la fin du dix-septième siècle par un réfugié, la seule de Londres sans doute, et qui est bien de chez nous, avec son haut toit de tuiles à la Mansart. Morand, Londres,1933, p. 155.
Avec un pron. au sing. :
11. Les villes de chez moi étaient, la nuit, couleur de cendre. Saint-Exupéry, Lettre à un otage,1943, p. 389.
B.− [Avec un plur. désignant un vaste ensemble de personnes formant une communauté stable] Chez introduisant un tel groupe nom. signifie « à l'intérieur de la communauté, du milieu constitué(e) par ». Synon. parmi.Chez les Allemands, chez les Musulmans, chez les romantiques.
Littér. [Suivi d'un subst. de l'inanimé (personnification)] :
12. J'ai cherché le Dieu que j'adore Partout où l'instinct m'a conduit, Sous les voiles d'or de l'aurore, Chez les étoiles de la nuit; ... Lamartine, Harmonies,Pourquoi mon âme est triste? 1830, p. 428.
13. ... Guetteur pâle, appliquant des verres grossissants Aux faits connus, aux faits possibles, au bon sens, Regardant le ciel spectre au fond du télescope, Chez les astres voyant, chez les hommes myope! Hugo, La Légende des siècles,La Comète, t. 4, 1877, p. 711.
C.− [Avec des plur., des coll. ou des sing. de sens générique; le groupe prép. désigne une classe d'êtres dont on décrit les traits ou les comportements spécifiques]
1. [Le subst. est un plur.] :
14. J'en connais un autre qui a fait paraître en 1900 une étude sur « le mécanisme de la digestion chez les acridiens... » C'est énorme! Gide, Journal,1910, p. 289.
[Avec un quantificateur] :
15. Mais, quoique ce précieux symptôme se vérifie maintenant chez l'immense majorité des négativistes, ... Comte, Catéchisme positiviste,1852, p. 25.
16. On dit que, dès le germe, ce mollusque, son formateur, a subi une étrange restriction de son développement : toute une moitié de son organisme s'est atrophiée. Chez la plupart, la partie droite (et chez le reste, la gauche) a été sacrifiée; ... Valéry, Variété V,1944, p. 26.
2. [Le subst. est un sing. générique] :
17. La circulation générale précède dans son apparition les circulations locales chez l'embryon. C. Bernard, Cahier de notes,1860, p. 166.
18. ... puisque la partie souterraine de la vigne, périssable dans le cep français, résistait chez le cep américain; ... Pesquidoux, Le Livre de raison,1925, p. 76.
3. [Le subst. désigne une pers. définie] :
19. Ce fut le choc qui déclencha chez lui l'impulsion définitive. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 294.
Spéc. Chez + n. d'écrivain.Dans l'œuvre de :
20. Chez Bergson, les métaphores sont surabondantes et, tout compte fait, les images sont très rares. Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 79.
Rem. gén. 1. On trouve parfois chez au lieu de dans devant un subst. à valeur coll. désignant un groupe humain. a) Le subst. appartient au vocab. de la sociol., a une valeur classificatrice. Aristocratie : Méprisez [le vice] donc partout, et plus encore chez l'aristocratie vicieuse (Lamartine, Voyage en Orient, t. 1, 1835, p. 235). Classe : Cette frugalité (...) forcée chez la classe la plus nombreuse (Say, Traité d'écon. pol., 1832, p. 116). La vraie supériorité cérébrale (...) se trouve aujourd'hui plus répandue proportionnellement chez les classes préservées d'une éducation et d'une autorité dégradantes (Comte, Catéchisme positiviste, 1852, p. 231). La paralysie générale chez les classes dirigeantes (Barrès, Mes cahiers, t. 1, 1896, p. 90). Exaspérer chez les classes le sentiment de leur distinction (Benda, La Trahison des clercs, 1927, p. 121). Élite : On constate ces progrès parallèles non pas seulement chez l'élite, mais dans toutes les classes de la société (Durkheim, De la Division du travail soc., 1893, p. 256). Foule : Ce reste de bonnes mœurs, que l'on trouvoit encore chez la foule (Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 2, 1803, p. 374). Mais une idée passionnelle, comme il en germe chez les foules, s'empara des pèlerins lombards (Grousset, L'Épopée des croisades, 1939, p. 71). Génération : [Les historiens] exaltent chez les générations nouvelles l'orgueil d'être français (Bordeaux, Les Derniers jours du fort de Vaux, 1916, p. 132). Genre humain : L'éducation est une révélation qui a lieu chez l'individu, et la révélation est une éducation qui a eu lieu et qui a lieu encore chez le genre humain (P. Leroux, De l'Humanité, t. 2, 1840, p. 490). Jeunesse : Poloche se rassit dans son coin, et on l'entendit grommeler de vagues protestations contre le manque de savoir-vivre, qu'on rencontrait chez la jeunesse (Moselly, Terres lorraines, 1907, p. 140). Pays : Des effets qui deviennent de nos jours moins intenses chez les pays développés (Perroux, L'Écon. du XXes., 1964, p. 382). Population : Des dépenses usuelles chez la population française (Comte, op. cit., p. 271). Postérité : Ces jours de bonheur fuirent avec tant de rapidité, qu'ils ont passé pour un songe chez la postérité malheureuse (Chateaubriand, Essai hist. sur les Révolutions, t. 1, 1797, p. 42). Race : Les désordres des tems passés ont reparu chez les races présentes! (Volney, Les Ruines, 1791, p. 76). Cette idée d'une vie immortelle chez la race humaine (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 122). Secte : Du génie inventif qu'on ne trouve ni chez M. Rob Owen, ni chez Miss Wright, ni chez la secte du producteur (Fourier, Le Nouv. monde industr., 1830, p. 39). Société : La répression domine tout le droit chez les sociétés inférieures (Durkheim, op. cit., p. 112). Et sans doute le concept de pure littérature diffère grandement chez la société française d'aujourd'hui de ce qu'il était chez son aînée d'il y a trois siècles (Benda, La France byzantine, 1945, p. 179). Tribu : C'est ce que l'on a observé notamment chez les tribus indiennes de l'Amérique (Durkheim, op. cit., p. 21). On trouve jusque chez les tribus les plus reculées de Nouvelle-Guinée ces types de maisons communes (Vidal de La Blache, Principes de géogr. hum., 1921, p. 123). b) En dehors de ce type de vocab., l'emploi de chez est artificiel : En 39, ce fut la guerre et je partis chez l'armée anglaise, en qualité de correspondant de guerre (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 367). L'analyse des profits qu'il [un investissement] suscite chez les entreprises de son environnement (Perroux, op. cit., p. 261). Ce qui prouve, (...), chez l'état-major allemand une tendance de plus en plus grande à... (Joffre, Mémoires, t. 1, 1931, p. 164). 2. Chez au lieu de à. Devant étranger au sens de « pays étranger » : Le Français qui, sans autorisation du gouvernement prendrait du service militaire chez l'étranger, ou s'affilierait à une corporation militaire étrangère, perdra sa qualité de Français (Code civil, 1804, p. 6). Des centaines de mille Français, emmenant leurs vieillards, leurs femmes et leurs enfants, avaient fui chez l'étranger (Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan, t. 2, 1870, p. 56). Devant police : − Où que tu touches ton argent? Chez la police?... (Adam, L'Enfant d'Austerlitz, 1902, p. 153).
Prononc. et Orth. : [ʃe] a) z final ne se prononce pas. À ce sujet cf. Fouché Prononc. 1959, p. 409, et Mart. Comment prononce 1913, p. 350 : ,,Le z final, dans les mots proprement français, est dans le même cas que l'x : il remplace simplement un s, même quand il représente étymologiquement ts. Aussi ne se prononce-t-il pas plus que l's ou l'x, notamment dans toutes les secondes personnes du pluriel : aime(z), aimie(z), aimerie(z), etc. Il ne se prononce pas davantage dans le mot sonne(z), qui est en réalité un impératif, ni dans les substantifs ne(z) et bie(z) disparu devant bief, ni dans l'adverbe asse(z) et les prépositions che(z) et re(z), de re(z)-de-chaussée``. b) Prononc. de l'e. Cf. Mart. Comment prononce 1913, p. 53 : ,,On prononce [e] final fermé dans les mots en -ez où le z ne se prononce pas``. Cf. aussi Fouché Prononc. 1959, p. 65 : ,,L'[e] s'écrit e sans accent dans les monosyllabes inaccentués : ces, des, les, mes, ses, tes, et, chez``. c) Liaison. Cf. Kamm. 1964, p. 238 : ,,La lettre [z] peut se lier (devant voyelle). En réalité, elle se trouve rarement en situation d'être liée. On ne voit vraiment que les deux mots chez, assez et les formes verbales. Si la liaison est obligatoire dans allez-y, elle est facultative ailleurs. Ex. : chez autrui [ʃezotʀ ɥi] ou [ʃeotʀ ɥi]; assez˘important ou assez/important; vous˘irez˘à l'école ou vous˘irez/à l'école``. On peut ajouter que gén. la liaison se fait. Cf. Fouché Prononc. 1959, p. 477. Cf. aussi la rem. ds Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787, Land. 1834, Gattel 1841, Littré et Dub. Ex. : chez eux [ʃezø], chez elle [ʃezεl]. Par contre le plus souvent on ne fait pas la liaison devant un n. propre. On entend plus fréquemment [ʃeãdʀe] que [ʃezãdʀe] pour chez André. Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 1 1787 : ,,Dans certaines provinces on dit cheuz, mauvaise prononciation``. À ce sujet cf. aussi Littré : ,,Vaugelas note et condamne la prononciation cheuz vous, cheuz moi, cheuz lui dont la Cour usait``. Attesté ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. Prép. 1. 1130-60 « dans la demeure de » Chiés Simon (Couronnement Louis, éd. E. Langlois, 747, ds T.-L.); 1681 « dans le pays de » (Boss., Hist., III, V ds Littré); 1694 « parmi un groupe de personnes; du temps de » (Ac. : Il y avait une coutume chez les Athéniens); 2. 1580 fig. chez Plutarque « dans l'œuvre de » (Mont., Essais, I, 26, éd. A. Thibaudet, p. 178), condamné par Vaugelas (Rem. sur la lang. fr., 1647, p. 297); av. 1592 « dans l'esprit de » (Mont[aigne] ds Trév. 1704 : Il vaut mieux se soucier de ce qu'on est chez soi que de ce qu'on est chez les autres). B. Loc. prép. 1195 de chiés + nom de pers. « de la maison de » (Ambroise, Guerre sainte, 8783 ds T.-L.). Du lat casa « maison » (case1*); le traitement irrégulier de la finale s'explique par la position prétonique du mot dans son emploi prépositionnel (Cornu ds Romania, t 11, 1882, p 84 et Rom Forsch., t. 23, p. 108; R. Haberl ds Z. fr. Spr. Lit., t. 36, 1, p. 304; REW3, no1728; FEW t. 2, p. 452 : 1rehyp.), plutôt que par une forme casus (ixes. CGL II, 571, 33, très rare), croisement de casa avec domus, mansus (E. Richter ds Z. rom. Philol., t. 31, 1907, p. 571; FEW t. 2, p. 452 : 2ehyp.). Le recours à une formation à partir de enchiés, non attesté av. le début du xiiies. (Bueve de Hanstone, version anglo-norm. éd. Stimming, 719) et très rare (du lat. pop. in casa; Bl.-W.5; EWFS2; Rheinfelder t. 2, § 731), ne paraît pas nécessaire. Fréq. abs. littér. : 61 403. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 85 081, b) 99 485; xxes. : a) 92 492, b) 79 658. Bbg. Goug. Lang. pop. 1929, pp. 15-16; Mots t. 1, 1962, p. 172. − Spitzer (L.). Chez Vandamme sont venus. Mod. Lang. Notes 1942, t. 57, pp. 103-108. − Vaganay (L. J.). Notules. Neuphilol. Mitt. 1939, t. 40, no7-8, p. 376.