| CHEVAUCHER, verbe. I.− Emploi intrans. A.− Littér. [Le suj. désigne une pers.] Aller à cheval. Il se tenait fièrement en selle et chevauchait avec grâce (Green, Moïra,1950, p. 163): 1. La mort chevauche dans la nuit, à travers la plaine.
Le vent de la nuit à travers la plaine halène;
Le vent halène dans les ajoncs et sur les prêles.
La mort monte un hongre pie et borgne aux jambes grêles.
Et les trépassés sont pendus par la chevelure,
Sont pendus par les pieds, à la queue, à l'encolure,
L'encolure du hongre borgne qui caracole.
La mort chevauche à travers la nuit, comme une folle.
Moréas, Les Cantilènes,Chevauchée de la mort, 1886, pp. 199-200. ♦ Loc. Chevaucher de compagnie : 2. ... je reçus avec une grave joie ma nomination. En même temps, un contingent d'hommes et de chevaux m'arrivait. Un recrutement du même coin, du pays d'Armagnac, sorti de communes jointives, de terres, d'enclos voisins, les chevaux la plupart élevés par les hommes, et d'un sang ardent, d'un cœur égal. Bien faits pour chevaucher de compagnie, fringants, rapides et sans peur.
Pesquidoux, Le Livre de raison,1925, p. 226. − P. anal., rare. Aller à dos de chameau : 3. À partir de Semlin, les lieues de poste s'appellent lieues de chameau; pour quelques sous par jour, on peut monter sur ces animaux, et chevaucher fort noblement...
Nerval, Lorely,1852, p. 38. − P. ext., rare. Chevaucher (sur qqc.).Être à califourchon (sur quelque chose) : 4. ... tous les marins sont capables de faire de bons cavaliers. À chevaucher sur les vergues on apprend à se tenir solidement.
Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 1, 1868, p. 167. B.− [Le suj. désigne une chose] Empiéter l'une sur l'autre, se croiser, se recouvrir en partie. Les dents, les tuiles chevauchent l'une sur l'autre : 5. La lumière crue (...) accusait (...) la poitrine marbrée, le ventre jaune, les genoux grimaçants et les pieds dont les doigts chevauchaient.
A. France, Le Lys rouge,1894, p. 331. 6. Des livres, des paperasses, d'innombrables brochures chevauchaient sur les rayons...
Toulet, La Jeune fille verte,1918, p. 241. ♦ P. métaph. Certains souvenirs chevauchent, se télescopent, se juxtaposent (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1213). ♦ Spéc., IMPR. ,,On dit qu'une ligne ou une lettre chevauchent quand elles ne sont pas à leur place, de guingois et mal d'aplomb`` (E. Desormes, A. Muller, Dict. de l'impr., Paris, impr. des B.-A., 1912); être mal d'aplomb : 7. Pour ne pas se donner la peine de desserrer, des corrigeurs peu scrupuleux enfoncent entre les lignes qui chevauchent de petits morceaux de papier mouillé.
E. Leclerc, Nouv. manuel complet de typogr.,1932, p. 108. − Emploi pronom. Mes dents se chevauchent (Cocteau, La Difficulté d'être,1947, p. 30). II.− Emploi trans. A.− [Le suj. désigne une pers., l'obj. un animal] Monter (un cheval, un âne, etc.) : 8. Elle [la divinité de ses rêves, femme, déesse] est belle, bonne, pardonnante, et chevauche à côté de lui une cavale blanche caparaçonnée d'argent, en faisant voler dans l'air sa longue chevelure imprégnée des parfums de l'Yémen.
M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, p. 140. ♦ P. anal. : 9. ... le paysage de convention [de la tapisserie] est peuplé par une création adorablement mensongère (...) des fileuses de campagne aux engageantes de dentelle (...) et de petits paysans faunins chevauchant des chèvres...
E. de Goncourt, La Maison d'un artiste,1881, p. 14. 10. ... les trinitaires, à la rude chemise de serge, (...), jusqu'en 1267, n'eurent le droit de chevaucher que des ânes; ...
Faral, La Vie quotidienne au temps de St Louis,1942, p. 52. − Loc. fig. Chevaucher l'un et mener l'autre par la bride (J. et J. Tharaud, La Chronique des frères ennemis,1929, p. 52).Chevaucher la chimère (Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 427). − Rare. Chevaucher un pays. Le parcourir à cheval. Oubliez-vous que nous avons encore à chevaucher tout le pays de Meaux (Mérimée, La Jacquerie,1828, p. 279). B.− P. ext. 1. [Le suj. désigne une pers., l'obj. une chose] Être à califourchon sur quelque chose. Augustin arracha la canne de son papa, la chevaucha, et gambadant, cria : tu, tu, tu, tu (Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 25): 11. Les seuls cavaliers qu'on rencontre [dans Vérone] sont ceux qui prennent le frais au seuil des portes en chevauchant des chaises.
Giono, Voyage en Italie,1953, p. 97. 2. [Le suj. et l'obj. désignent une chose] Être à cheval sur. Il [le docteur] ramassa sa trousse, prit son pardessus qui chevauchait le bras d'un fauteuil (P. Vialar, La Mort est un commencement,Le Petit jour, 1947, p. 144).Une paire de lunettes chevauche le nez aux grandes narines membraneuses (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Désert de Bièvres, 1937, p. 230). − La voiture chevauche une ligne jaune, et, p. méton., il chevauche une ligne jaune. − Au fig., rare. Chevaucher la discipline. Être à cheval sur le principe de la discipline (cf. cheval) : 12. M. le colonel baron de la Gondrée, un monsieur qui ne plaisantait pas et chevauchait la discipline comme un simple général Boum...
Courteline, Le Train de 8 h 47,1888, I, 3, p. 34. C.− [Le suj. et l'obj. désignent un animal] Monter la femelle. Au moment où il [Goupil] allait chevaucher la femelle en redressant l'avant-train d'un mouvement plus vif (Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 56). − Péj. [En parlant d'êtres humains] Ma mère le [Maxime] surprit chevauchant une servante (F. Carco, Rien qu'une femme,1924, p. 245). Rem. On rencontre ds la docum. a) Chevauchable, adj. [En parlant d'un chemin] Où l'on peut chevaucher. Chemin chevauchable (Besch. 1845). Attesté aussi ds Lar. 19e-20e, Littré, Guérin 1892, Quillet 1965. b) Chevauchure, subst. fém., bât. Disposition de pièces qui empiètent l'une sur l'autre. La chevauchure des ardoises. Prononc. et Orth. : [ʃ(ə)voʃe], (je) chevauche [ʃ(ə)vo:ʃ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 chevalcher « aller à cheval » (Roland, éd. J. Bédier, 366), considéré comme ancien dep. Rich. 1680; employé seulement dans la lang. littér. surtout par les romantiques souvent en réf. au Moy. Âge, v. Littré; ca 1100 « monter un animal comme un cheval » (Roland, 480); 2. xiiies. « être à califourchon sur quelque chose » (Merlin, II, 38 ds T.-L.), spéc. en parlant de choses av. 1872 (Th. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre, p. 331 : le nez chevauché de bésicles); 3. ca 1375 « (en parlant de deux choses) se recouvrir en partie » (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, 125, 45); subsiste dans divers emplois techn. (Rich.; Trév. 1771). Du b. lat. caballicare « monter un cheval, voyager à cheval » (vies. ds TLL s.v., 3, 15); en lat. médiév. « s'acquitter d'un service à cheval » (viiie-ixes. ds Mittellat. W. s.v., 3, 41), v. chevauchée, terme de dr. féodal. Fréq. abs. littér. : 201. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 174, b) 269; xxes. : a) 381, b) 331. DÉR. Chevauchage, subst. masc.,rare. Action de chevaucher un objet (cf. chevaucher II B). Les phénomènes produits par cette conserve [le haschich] expliquent parfaitement le chevauchage sur les balais (Balzac, Le Cousin Pons,1847, p. 121).− Spéc., impr. [En parlant des lettres ou des lignes] Défaut d'alignement. Avant de serrer, il faut veiller à l'aplomb des lignes, au chevauchage des lettres en bordure, aux sorties d'interlignes (E. Leclerc, Nouv. manuel complet de typogr.,1932, p. 293).− 1reattest. 1847 (Balzac, loc. cit.); du rad. de chevaucher, suff. -age*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Gougenheim (G.). Chercher et fouiller. In : [Mél. Harmer (L. Ch.)]. London, 1970, p. 23. − Ritter (E.). Les Quatre dictionnaires français. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 371. |