| CHENU, UE, adj. I.− Vieilli ou littér. A.− 1. [En parlant d'une pers.] Qui a les cheveux blanchissants ou blancs de vieillesse. Il imaginait un Pierrot barbu et chevelu, chenu de vieillesse, centenaire (J. Richepin, Braves gens,1886, p. 180): 1. ... le dôme majestueux de l'Hémon, avec ses sillons de neige, qui le font ressembler à la tête chenue d'un vieillard.
Renan, Hist. des orig. du Christianisme,Les Apôtres, 1866, p. 177. 2. P. méton. a) [En parlant de la barbe, des sourcils...] Qui est blanchissant ou blanc de vieillesse. Sourcils chenus. Une mousse chenue obstruait les oreilles (T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 54): 2. ... les cheveux blancs mêlaient leurs mèches aux mèches de sa barbe, tout un poil chenu, qu'il appelait fleurs de cimetière, ...
Pourrat, Gaspard des Montagnes,À la belle bergère, 1925, p. 20. b) Qui est marqué par l'âge, vieux. Un homme s'avançait voûté, chenu, blanchi (G. Kahn, Le Conte de l'or et du silence,1898, p. 20).Ces vieilles raccrocheuses essayent encore sur nous avec succès leurs agaceries édentées et leurs charmes chenus (Morand, La Route des Indes,1936, p. 15): 3. Salut, Mères de la France là-bas, Paris et Chartres et Rouen,
Grandes Maries toutes usées et chenues, ô Mères toutes noires de temps!
Mais qu'il est jeune! qu'il est droit! comme il tient fièrement sa lance!
Qu'il fait de plaisir à voir dans le soleil, plein de menaces et d'élégance,
...
L'Ange de Strasbourg en fleur, ...
Claudel, Corona Benignitatis Anni Dei,Strasbourg, 1915, p. 428. − Locutions ♦ L'âge chenu, les ans chenus. Éviradnus, Vieux, commence à sentir le poids des ans chenus (Hugo, La Légende des siècles,Éviradnus, t. 1, 1859, p. 317): 4. L'âge moyen est pire (esthétiquement) que l'âge chenu. Les lézardes ne valent pas les ruines, et le crâne dégarni est plus laid que la tête vraiment chauve.
Amiel, Journal intime,1866, p. 497. ♦ Une tête chenue, un front chenu. Qui a subi l'outrage des ans : 5. La figure de quelque vénérable hermite, (...), n'eût point effrayé les muses (...) elles aiment les têtes chenues, et trouvent qu'une couronne de laurier, (...) fait assez bien sur un front chauve.
Chateaubriand, Fragments du Génie du Christianisme primitif,1800, p. 241. ♦ Vieillesse chenue (pour désigner un certain type de vieillesse). Ils portaient tous les signes d'une vieillesse chenue (Baudelaire, Histoires extraordinaires,trad. d'E. Poë, 1856, p. 217): 6. Telle fut la vieillesse du grand Corneille, une de ces vieillesses ruineuses, sillonnées et chenues, qui tombent pièce à pièce et dont le cœur est long à mourir.
Sainte-Beuve, Portraits littér.,t. 2, 1844-64, p. 49. − Fig. [Souvent avec une nuance péj.] L'inculpation d'intolérance est une tactique chenue, renouvelée des Pharisiens (L. Bloy, Le Désespéré,1886, p. 233): 7. ... ces moralistes qui savent donner un air de profondeur inquiétante et de nouveauté aux truismes les plus inoffensifs et les plus chenus.
Bremond, Hist. littér. du sentiment relig. en France, t. 4, 1920, p. 509. B.− [P. anal. d'aspect] 1. [Correspond à I A 1, 2 a; en parlant de la montagne, de la mer, d'arbres] Blanc, blanchi. Montagnes, ondes chenues; arbres chenus. Bientôt là-bas, derrière l'épaule chenue du mont neigeux, l'aube va crever (Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 97).Une mer azurée et chenue (Moréas, Les Stances,4elivre, 1901, p. 124).Des pruniers vénérables, tout chenus de mousse (Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1361). 2. [Correspond à I A 2 b] Cime chenue, branches chenues. Des arbres aquatiques dépouillés de feuilles, dont les troncs rabougris, les têtes énormes et chenues (Balzac, Les Chouans,1829, p. 154).Leurs têtes chenues [des montagnes], leurs flancs décharnés, leurs membres gigantesques (Chateaubriand, Voyage en Amérique, en France, et en Italie,1827, p. 319).Je veux voir de mes yeux l'Olympe dont la neige Blanchit le front chenu (Banville, Les Stalactites,À Olympio, 1846, p. 429). − Rare. [En parlant d'un sol] Sans herbe; p. ext., aride. Le sol herbeux ou chenu (M. Rollinat, Les Névroses, Refuges, 1883, p. 192): 8. la vallée de josaphat. − Par mon sentier le plus chenu, voici au loin le voyageur que mon maître a maudit. (...). Son ombre grandit sur mon sable (...). Ses pieds, (...), creusent mon roc...
Quinet, Ahasvérus,1833, 2ejournée, p. 157. Rem. Du fait de son caractère littér. et vieilli, le terme, devenu poncif, se rencontre dans des emplois où sa signif., très édulcorée, reste floue : 9. Roi banni, (...) point de hérauts d'armes à vos obsèques, rien qu'une troupe de vieux temps blanchis et chenus; ...
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4, 1848, p. 572. II.− Fig., arg. ou pop. [Correspond à I A 2 b, mais avec une valeur méliorative] Bon. Du travail chenu, mais cher (Toulet, Les Tendres ménages,1904, p. 137).Des compagnons (...), de chenus et superlatifs, célèbres par la chrétienté (A. Arnoux, Rhône, mon fleuve,1944, p. 271). − En partic. Du chenu pivois. Du bon vin. Emploi subst. Du chenu. C'est du chenu que m'offre le citoyen, je crains qu'il ne me tape sur le bonnet (Balzac,
Œuvres diverses,t. 1, 1850, p. 498). − Loc. C'est du chenu. C'est quelque chose de beau, de bonne qualité. Je vous conterai ma vie en détail. C'est du chenu (Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 498).Vol avec effraction... avec escalade... et la nuit... (...). Rien n'y manque... c'est du chenu... (Sue, Les Mystères de Paris,t. 8, 1842-43, p. 248).Les facultés de l'âme, c'était de la haute, du chenu! Ma mère était flattée (J. Vallès, Jacques Vingtras,L'Enfant, 1879, p. 33).C'est pas du chenu. Les souliers (...) ce qu'on fait de meilleur marché, c'est pas du chenu. Eh bien! Neuf francs tout de même (Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 362). Rem. Canada 1930 et Bél. 1957 enregistrent le sens ,,petit, de peu de valeur``, que le premier illustre par le syntagme discours chenu et le second par le syntagme repas chenu. Prononc. et Orth. : [ʃ
əny]. Warn. 1968 est le seul dict. à admettre qu'on ne prononce pas [ə] muet; à ce sujet cf. chemin. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) xies. adj. « blanc de vieillesse » barbe canuthe (Alexis, éd. Chr. Storey, 406); ca 1175 chenu (Chr. de Troyes, Chevalier charrette, éd. W. Foerster, 1686); b) xiiies. « dégarni » (Isopet de Lyon, 2862 ds T.-L.); spéc. 1835 arbre chenu (Ac.); ,,ce mot vieillit`` d'apr. Ac. 1835; 2. 1628 arg. « bon » (O. Chéreau, Le Jargon ou Lang. de l'arg. réformé, p. 50); 1718 vin chenu (Leroux, Dict. comique, p. 110 ds IGLF). Du lat. cānūtus qui serait peut-être attesté une fois, comme qualificatif de poisson, par Plaute (ds TLL s.v., 298, 59) puis au sens de « blanchi (en parlant de cheveux) » en lat. médiév. peut-être dès le vies. (ds Nierm.), v. aussi Mittellat. W. s.v.; dér. du class. canus « blanc », spéc. en parlant des cheveux et au fig. « vieux », « sage ». Le sens 2 « bon » est issu de 1 à travers la notion de « vieilli, bonifié par le temps » cf. le sens de « sage » (xvies. ds Hug.). Fréq. abs. littér. : 111. Bbg. Arveiller (R.). R. Ling. rom. 1965, t. 29, p. 376. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 71, 293. − Sain. Lang. par. 1920, p. 523. |