| CHAUFFER, verbe. I.− Emploi trans. A.− Donner une certaine chaleur. 1. [Le suj. désigne une source de chaleur ou une pers. qui est l'agent de cet acte] Procurer de la chaleur, rendre chaud par différents moyens. Chauffer le four, la maison; (faire) chauffer de l'eau. Tandis que l'actif soleil (...) chauffe la pêche tardive sous sa peluche de coton (Colette, Paysages et portraits,1954, p. 71). SYNT. Chauffer fortement, légèrement qqc.; se chauffer les mains, les pieds; mettre qqc. chauffer, à chauffer (fam.); chauffer à blanc (cf. blanc I A 1 d). Chauffer (du métal) au rouge. Élever la température de telle sorte que le métal devienne rouge (cf. J.-J. Chartrou, Pétroles naturel et artificiels, 1931, p. 103). − P. métaph. : 1. L'envoyé de l'Électeur de Bavière à Versailles, M. de Monasterol, chauffait ces discours qui nous sont revenus tout vifs et bouillants par Saint-Simon...
Sainte-Beuve, Causeries du lundi,t. 13, 1851-62, p. 77. − MÉCAN. Chauffer une locomotive, un vapeur. En allumer les chaudières, mettre en service. Pour que cela valût la peine de faire chauffer des locomotives (Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 293). ♦ En partic., région. (Canada). Conduire une automobile, un camion. − Péj. Chauffer qqn ou les pieds de qqn. Le torturer en lui brûlant la plante des pieds, généralement pour lui faire avouer où se cache son trésor. L'âtre du feu où souvent ils [les Chouans] chauffaient les pieds de leurs dénonciateurs (Balzac, Les Chouans,1829, p. 88). 2. [Le suj. désigne un aliment, une pers., un de ses attributs, un sentiment] Procurer une certaine chaleur ou une impression de chaleur à une partie du corps. Chauffer le cœur de qqn. Chauffer ses tons, les enflammer, les brillanter (E. et J. de Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 429).L'indignation chauffait mon front (Gide, Isabelle,1911, p. 646). − Spéc. Chauffer (un muscle). Faire des exercices qui lui procurent une certaine chaleur en vue d'un bon fonctionnement. Il [Momolo] avait peine à chauffer ses cordes vocales (A. Arnoux, Le Rossignol napolitain,1937, p. 205). − Péj., ART MILIT. Chauffer (un endroit, en partic. un poste, une ville). Le canonner fortement (cf. boulet, ex. 3). B.− Au fig., le plus souvent avec une nuance fam. 1. [Le compl. désigne une pers.] Entourer de près, exciter, encourager dans un sens favorable ou défavorable pour obtenir quelque chose. Ce qui chauffe les autres me glace, ce qui les anime me paralyse (Flaubert, Correspondance,1867, p. 290). − Spécialement a) Chauffer (de près) une femme. Lui faire la cour avec ardeur. Ce godelureau d'Hubert qui essaye de la chauffer de près [Angèle] (P. Vialar, La Chasse aux hommes,Le Rendez-vous, 1952, p. 170). b) Chauffer un élève, un candidat. Le préparer ardemment à un examen, aux dépens de son développement général. 2. [Le compl. désigne une affaire, un événement] Favoriser, préparer, mener activement et efficacement. Ratinois. − (...) ça traîne. Robert. − Il faut chauffer ça! (E. Labiche, La Poudre aux yeux,1861, II, 2, p. 354). − P. iron. Bravo! il est venu!... Je vais lui chauffer vertement son entrée (O. Feuillet, Scènes et proverbes,1851, p. 138). 3. Expr., gén. péj. a) Fam. Chauffer les oreilles à qqn. L'agacer, l'exaspérer. Maman, quoi! ça nous chauffait les oreilles (H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 31). b) Se chauffer le job. Se monter le bourrichon (cf. Huysmans, En ménage, 1881, p. 303). C.− Lang. pop. et arg. − Surprendre, prendre quelqu'un sur le fait. L'idée qu'on te chaufferait par là, que ce serait peut-être un autre qui t'arrêterait (Genevoix, Raboliot,1925, p. 346). − Prendre quelque chose, voler. On m'a encore chauffé mon quart (Courteline, Les Gaîtés de l'escadron,1886, III, 1, p. 36). II.− Emploi intrans. A.− [Le suj. désigne une chose] 1. Devenir chaud. Tandis que le potage chauffe (Gide, Journal,1914, p. 467). 2. Dégager de la chaleur. Le feu ne chauffe que si on le nourrit (Alain, Propos,1931, p. 1048). 3. Spéc., Mécan. a) [Le suj. désigne un navire, une locomotive] Avoir ses machines qui fonctionnent, en particulier pour le départ. Les steamers en train de chauffer (A. Daudet, Jack,t. 1, 1876, p. 79). b) [Le suj. désigne un élément d'une machine, une machine] Devenir trop chaud en raison d'un mauvais fonctionnement. Le moyeu chauffe (Ch. Chapelain, Cours mod. de techn. automob.,1956, p. 355). 4. Expr. fig. a) C'est un bain qui chauffe, le bain chauffe (cf. bain I B; également J. de La Varende, Man d'Arc, 1939, p. 292). b) Le four chauffe. Une affaire, souvent fâcheuse, se prépare. Il paraît que le four chauffe par là-bas (O. Feuillet, Bellah,1850, p. 155). ♦ Ce n'est pas pour vous que le four chauffe. Ce qui se prépare ne vous concerne pas. Rem. Balzac (La Vieille fille, 1836, p. 326) emploie cette expr. dans une tournure affirmative : Bah! c'est pour monsieur du Bousquier que le four chauffe! B.− Au fig., fam. 1. [Le suj. désigne un événement, une affaire] a) Prendre une tournure favorable, vive, animée, bien marcher. Tout va bien!... Ça chauffe! (Sardou, Rabagas,1872, II, 5, p. 58). b) Plus gén. Prendre une tournure défavorable, grave, violente, mal tourner. Intervenir lorsque la scène chaufferait trop (T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 340): 2. La veille de la bataille, un grand pendard de carabinier vient me trouver. (...). Il me crie : « Demain ça va chauffer. Je risque d'y laisser ma peau. Confessez-moi, monsieur le curé, ... »
A. France, L'Orme du mail,1897, p. 57. 2. [Le suj. désigne une pers. ou une collectivité] Susciter, manifester de l'enthousiasme. La salle va chauffer terrible (ds Gilb. 1971) : 3. Mon vieux, je vois que non content de reculer les limites de l'art, tu recules ta date. On tâchera ce soir-là de chauffer. Je t'assure que j'ai le sentiment du succès.
Valéry, Correspondance[avec Gide], 1901, p. 381. III.− Emploi pronom. A.− Emplois réfl. [Le suj. désigne un animé, une collectivité, un inanimé personnifié] Se mettre sous l'action d'une source de chaleur, en recevoir les effets. Se chauffer à un feu, au soleil. De petites gens (...) se chauffaient aux rayons du soir (Estaunié, L'Ascension de M. Baslèvre,1919, p. 134). − P. méton. Chauffer l'endroit où l'on se tient (pièce, habitation). Je me chauffais avec du charbon de terre (Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 98). − P. métaph. Se donner du courage, se procurer de la chaleur humaine au contact d'une personne, recevoir d'elle ces qualités : 4. Sa tendresse, son charme, sa poésie font autour d'elle une sorte de rayonnement où je me chauffe, où se fond mon humeur chagrine.
Gide, Journal,1906, p. 220. − Expr. fig. et fam. 1. Montrer, savoir, (faire) voir de quel bois qqn se chauffe. Montrer, savoir, (faire) voir les qualités (énergie, sentiments, habitudes) selon lesquelles il vit, agit. Je voudrais montrer à ce preux de quel bois nous nous chauffons (Sandeau, Sacs et parchemins,1851, p. 8). ♦ Ne pas se chauffer de tel bois. Ne pas vivre avec tel sentiment, telle opinion, selon telle habitude : 5. ... s'il plaît à Votre Seigneurie de se faire traiter en morisque, moi, je ne me chauffe pas de ce bois-là.
Toulet, Le Mariage de Don Quichotte,1902, p. 99. 2. Par antiphrase. [En guise d'avertissement] Allez lui dire cela et vous chauffer au coin de son feu. Il serait déplacé que vous teniez un tel langage à cet homme. B.− Emplois avec valeur de passif. [Le suj. désigne une chose] Les fourneaux « cloche » (...) se chauffent au coke (Lar. mén.1926, p. 1043). − En partic. [Le suj. désigne une couleur, un parfum] Prendre une certaine intensité, une impression de vie. Rochers, dont la blancheur se chauffe de jaune et de brun (Zola, Naïs Micoulin,1884, p. 27). Prononc. et Orth. : [ʃofe], (je) chauffe [ʃo:f]. Ds Ac. 1694-1932. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. chaufer. Étymol. et Hist. A. Intrans. mil. xiies. « devenir chaud » (Wace, St Nicholas, 174 ds T.-L.); 1690 fig. (Fur. : On le dit aussi dans les grandes ardeurs de l'été, quand on voit un temps qui menace de quelque orage, qui c'est un bain qui chauffe); 1690 fam. (ibid. : On dit proverbialement, ce n'est pas pour vous que le four chauffe, à ceux qui pretendent avoir part en quelque affaire, à quelque feste, et qu'on en veut exclure); 1842-43 arg. (Sue, Les Mystères de Paris, t. 1, p. 333 : Bon, ça va chauffer!). B. Trans. 1176 « rendre chaud au contact d'une source de chaleur » fig. (Chr. de Troyes, Cligès, éd. W. Foerster, 470); 1174-84 au propre (Id., Perceval, éd. W. Roach, 9172); 2emoitié xiiies. (Fabliaux, I, 161, 74 ds T.-L. : li fevres... chauffe son fer bien et bel); 1421 « donner la question par le moyen du feu » (Lit. remiss. ex Reg. 171, ch. 452 ds Du Cange, s.v. attidere); 1798 (Ac. : On dit figurement, chauffer quelqu'un, pour dire l'attaquer vivement par des raisonnements ou des plaisanteries); 1820-40 arg. « détourner, voler » (ms. Jacquinot ds Larch. Suppl. 1889, p. 53 : Il s'est senti chauffer). C. pronom. xiiies. « recevoir l'action de la chaleur » (Berte LI ds Littré); d'où 1585 proverbe (N. du Fail, Contes et Disc. d'Eutrapel, éd. Jouaust, II, 272 cité par Ch.-L. Livet, Lexique de la lang. de Molière, Paris, Imprimerie Nationale, t. 1, 1895, s.v. bois : Quant aux courts des Princes, il les faut, pour parler et apprendre de tout, avoir veues, et sçavoir de quel bois on s'y chauffe, mais s'en retirer au plus tot qu'on peut). Du lat. vulg. *calefare, altération de calefacere (composé de calere « être chaud » et facere « faire »); « rendre chaud (de l'eau) », Plaute ds TLL s.v., 145, 44; fig. « exciter » dep. Cicéron, ibid., 146, 29. Fréq. abs. littér. : 1 161. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 956, b) 2 437; xxes. : a) 2 233, b) 1 476. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 10, 110, 144, 222, 386, 407. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 323, 401. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 148. − Quem. 2es. t. 4 1972. |