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CHARNIER1, subst. masc.
I.− [Concerne la chair animale − sans idée de décomposition] Vx. Local ou récipient servant à conserver de la viande. Des viandes à des crocs comme dans un charnier (Hugo, La Légende des siècles,Le Castillo, t. 4, 1877, p. 661).Voir si (...) au charnier le lard ne rancissait pas (Pourrat, Gaspard des Montagnes,Le Château des sept portes, 1922, p. 123):
P. anal. :
1. Oubliés comme moi dans cet affreux repaire, Mille autres moutons, comme moi, Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire, Seront servis au peuple roi. Chénier, Iambes,Hymne, 1794, p. 273.
P. méton., MAR. Barrique contenant une réserve d'eau douce. Au pied du « charnier », récipient tronconique en bois, contenant une cinquantaine de litres d'eau potable, (...) peinturluré de jaune et de vert et cerclé de rouge (...) tonne d'eau douce (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 176, 222).
Rem. ,,Jadis, le Charnier, comme le dit son nom, était une sorte de garde-manger où les matelots serraient ce que, de leurs rations de viande, ils gardaient d'un repas pour l'autre. Une fontaine se combinait avec ce garde-manger. Le Charnier véritable a disparu; la fontaine est restée, gardant un nom qui semble lui être tout à fait étranger`` (Jal1).
II.− [Concerne la chair humaine surtout − avec une idée de décomposition] Endroit où se trouvent de nombreux cadavres.
A.− Vx. Endroit où ont été inhumés des cadavres humains. (Quasi-)synon. cimetière.Devant le tombeau (...) ce sombre charnier où son frère dormirait son éternel sommeil (Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 287).
P. ext.
1. Galerie couverte entourant certains cimetières et servant autrefois d'ossuaire. La grand' danse macabre (...) fréquemment peinte (...) aux murs des charniers (A. France, Poésies,Idylles et légendes, 1896, p. 108):
2. ... il est désert désormais, cet aître Saint-Maclou, ce champ des morts si paisible et si nu, (...), on découvre toujours notre campo santo normand, les fenêtres de verre verdâtre entre les croisillons bruns, les longues galeries, l'escalier de bois, et, tout au long des murs du charnier, les têtes de morts et les os croisés, on y respire le même calme surnaturel. Brasillach, Pierre Corneille,1938, p. 16.
Spéc. Les charniers des (Saints) Innocents. (Charniers à arcades gothiques qui entouraient le) cimetière des Saints Innocents à Paris. Le dernier fossoyeur du cimetière dit charnier des innocents en 1785, époque où ce cimetière mourut (Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 551).Étudi[er] les hiéroglyphes du charnier des Innocents (Huysmans, Là-bas,t. 1, 1891, p. 127).
Rem. 1. ,,Sous ces greniers était une longue voûte où se tenaient, dans les embrasures des fenêtres, de malheureux écrivains publics. De là l'usage, si fréquent aux écrivains des deux derniers siècles, d'appeler les mauvais auteurs Écrivains des charniers`` (Besch. 1845; cf. aussi Ac. 1835-78). 2. Cet usage apparaît encore dans la litt. de la 1remoitié du xixes. : Appart[enir] à l'école des charniers (Musset, Revue des deux Mondes, 1833, p. 208); écrivain des charniers (...) législateur de l'opinion (...) Mentor du peuple français (C. Desmoulins, Le Vieux Cordelier, 1793-94, p. 160); dormir sous les charniers (Nerval, Nouvelles et fantaisies, 1855, p. 210).
2. Galerie couverte entourant certaines églises et servant autrefois à déposer des ossements, puis à distribuer la communion aux grandes fêtes. S'offusqu[er] (...) d'un cabaret qui s'était établi dans les charniers de l'église et où les chantres buvaient (Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. 208).
B.− Endroit où sont enterrés ou simplement entassés à découvert, pêle-mêle, sans sépulture, de nombreux cadavres humains, parfois animaux :
3. Cette plaine, qui m'avait alors donné l'impression d'être toute de niveau et qui, en réalité, se penche, est un extraordinaire charnier. Les cadavres y foisonnent. C'est comme un cimetière dont on aurait enlevé le dessus. Des bandes le parcourent, identifiant les morts de la veille et de la nuit, retournant les restes, les reconnaissant à quelque détail, malgré leurs figures. Barbusse, Le Feu,1916, p. 289.
4. Les premiers morts avaient bénéficié de la même pompe que leurs camarades des autres pays, mais au quinzième les autorités du camp jugèrent prudent d'arrêter les frais. Les trente ou quarante qui suivirent n'eurent plus droit au cercueil, mais à une simple enveloppe de paillasse en papier; et quand le chiffre des décès dépassa la cinquantaine, le colonel conclut définitivement que les Russes ne méritaient pas tant d'égards, et les fit jeter dans les fosses nus comme des chiens. Est-il même expédient de parler de fosses? Le mot de charnier serait plus exact. Empilés sur trois épaisseurs dans des trous larges de deux mètres et longs de quinze, à la profondeur dérisoire d'un mètre cinquante, les Russes étaient bien enterrés avec une plaque d'identité au cou, comme le règlement l'exige, mais cette plaque était en carton, ... Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 175.
P. métaph. Foyer de corruption morale. Idées révolutionnaires (...) qui redeviennent à la mode et (...) qui nous feraient rétrograder jusqu'au charnier fangeux des Hébert, des Chaumette, des Marat, et que tout homme de cœur et d'intelligence doit combattre (Balzac, Correspondance,1831, p. 518).
P. ext., péj.
1. Toute l'étendue terrestre où s'accumulent les morts des générations successives. Cette nécessité de la mort engraissant le monde, cette lutte pour la vie qui faisait pousser les êtres sur le charnier de l'éternelle destruction (Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 747).Fai[re] retour au charnier commun où les vies confuses s'élaborent (É. Faure, Hist. de l'art,1912, p. 249).
P. anal. Endroit où s'entassent de nombreuses personnes plus ou moins assimilées à des moribonds :
5. Beaucoup n'avaient pas de porte, laissaient entrevoir des trous noirs de cave, d'où sortait une haleine nauséabonde de misère. Des familles de huit à dix personnes s'entassaient dans ces charniers, sans même avoir un lit souvent, les hommes, les femmes, les enfants en tas, se pourrissant les uns les autres, ... Zola, L'Argent,1891, p. 159.
P. méton., rare. Corps étalé en état de décomposition. La morte (...) un charnier, un tas d'humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin (Zola, Nana,1880, p. 1485).L'âme (...) hors du monde, loin de son charnier, loin de son corps (Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 54).
2. P. anal. Lieu où s'amoncellent de nombreuses choses en voie de dégradation.
[En parlant de choses concr.] Un charnier de céréales, l'endroit où la chair du grain a subi les préparations humaines qui transportent ses fins vers la reproduction de l'homme (Giono, L'Eau vive,1943, p. 140).
[En parlant de choses abstr.] Mémoires, correspondances, autobiographies, tous documents d'humanité, − le charnier de la vérité (E. et J. de Goncourt, Journal,1867, p. 322).L'Asie, immense charnier de gloires, de religions et de méthodes, une poussière d'os pilés (Morand, La Route des Indes,1936, p. 133).
Prononc. et Orth. : [ʃaʀnje]. Ds Ac. 1694-1932. Nouv. Lar. ill. et Quillet 1965 soulignent pour le terme de chasse : ,,On dit plus ordinairement carnier.`` Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 « endroit où l'on met les morts, ossuaire » (Roland, éd. Bédier, 2954); b) av. 1848 « endroit où il y a de nombreux cadavres » (Chateaubriand ds Lar. 19e); 2. 1174-91 « endroit ou récipient où l'on conserve la viande » (Proverbe au vilain, 235 ds T.-L.). Du lat. carnarium « endroit ou récipient où l'on conserve la viande » attesté en lat. médiév. au sens 1 a (dep. le viiies. selon FEW t. 2, p. 383a, cf. aussi xies., Raoul de Glabre ds Mittellat. W. s.v.).