| CHANTER, verbe. I.− Emploi intrans. Moduler sur les différents degrés de l'échelle diatonique. A.− [Le suj. désigne une pers.] Chanter en chœur, à (de)mi-voix, en duo, à plein gosier, de mémoire, au piano, à l'unisson, à voix basse. Artiste jusqu'au bout des doigts : elle chante à ravir et dessine dans la perfection (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Boule de suif, 1880, p. 151). − Expr. fig., fam. Dire. Que me chantez-vous là? Le commandeur. Mais que me chante donc ce garçon-là, mademoiselle Marton? (A. Dumas Père, Un Mariage sous Louis XV,1841, III, 2, p. 146).Plaire. Si cela me chante. Si cela me plaît. − Alors, je dois revenir demain? − Si ça vous chante (É. Estaunié, Madame Clapain,1932, p. 162).C'est comme si je chantais (péj.). Mes observations ne servent à rien. Tes domestiques ont la manie de toujours toucher à ce qui m'appartient (...) Je leur ai défendu cent fois de ranger mes papiers, c'est comme si je chantais! (É. Augier, Les Lionnes pauvres,1858, II, p. 52). B.− P. anal. [Le suj. désigne un animal, un élément naturel, un instrument de musique, un obj.] Le coq, les grenouilles, les oiseaux chante(nt); le feu, la forêt chante; le clairon, la cloche chante; la lampe chante. À la porte du cimetière, dans un cyprès, un rossignol chantait d'une voix éperdue (Barrès, Mes cahiers,t. 7, 1908-09, p. 165). C.− P. métaph. Les lendemains qui chantent. Elle [l'Étoile polaire] a mis le masque mais chantera toute la nuit, pour nous éclairer (A. Arnoux, Abisag,1919, p. 253).Prodige de légèreté, toute en nerfs, elle [la cathédrale de Reims] vivait, elle palpitait, elle chantait (Sem, La Ronde de nuit,1923, p. 85).Et ses yeux qui chantaient tout le temps comme de beaux verdiers (Giono, Le Chant du monde,1934, p. 121): 1. Celui qui est seul debout dans la nuit, chante comme un arbre, et il est tout bouleversé par la chanson de sa chair.
Giono, L'Eau vive,1943, p. 187. II.− Emploi trans. A.− [L'obj. désigne un morceau de musique vocale, une composition lyrique] Chanter une chanson, un refrain (cf. chant I B). SYNT. Chanter un air, sur un air, sur l'air du...; chanter une ballade, une cantate, la carmagnole, une complainte, un couplet, l'épître, un hymne, du grégorien, un lai d'amour, les laudes, les litanies, une mélodie, un motet, l'office des morts, un psaume, des ritournelles, une sérénade. Nous chantions ensemble à tue-tête tantôt des chœurs d'opéra-comique, tantôt la messe et les vêpres (G. Sand, Histoire de ma vie, t. 3, 1855, p. 57). Ce qui ne peut pas se dire, on le chante (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, t. 1, 1863-69, p. 14). Le soir, elle se mit au piano et chanta en ukrainien des chansons d'amour (S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 275). − Vieilli. Ce prince leur donna des statuts où l'on remarque le privilége de fabriquer le pain à chanter messe (Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 274). − P. métaph. Cf. chant III B : 2. ... j'ai vu à Olympie de grandes colonnes couchées dans l'herbe, et elles chantaient encore la gloire de l'inconnu qui, il y a vingt-sept siècles, les avait dressées vers les dieux.
Mauriac, Mémoires intérieurs,1959, p. 202. B.− Littér., poét., laud. [Le suj. désigne un poète, un écrivain, un orateur, etc.] Célébrer par un poème; vanter, louer une personne, un pays, des actions, etc. Chanter les exploits d'un héros, les louanges de qqn : 3. Voltaire, pressé par la duchesse du Maine qui y avait ses fils et qui lui demandait de célébrer Lawfeld comme il avait chanté Fontenoy, ne le fit pourtant qu'à son corps défendant et dans une mince Épître...
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 11, 1863-69, p. 140. SYNT. Chanter la beauté, l'éloge, la vertu de qqn; chanter la Grèce, l'Italie. − Absol. Le poète chante; il n'écrit pas (V. Larbaud, Ce Vice impuni, la lecture,Domaine français, 1941, p. 281). − Fam., usuel. Chanter victoire. Se glorifier d'un succès, le proclamer partout : 4. − Ne chantons pas victoire, lui dit Théodose [à Brigitte] : le délai de la surenchère n'expire que dans huit jours.
Balzac, Les Petits bourgeois,1850, p. 157. ♦ Rare. Chanter merveille. Exprimer des louanges : 5. Adrienne Monnier a eu la gentillesse de m'envoyer la Vie de Milarépa, dont elle et Jean Schlumberger chantaient merveille.
Gide, Journal,1931, p. 1043. C.− Loc. et expr. diverses ♦ Chanter ses gammes à qqn. Lui dire ses quatre vérités : 6. [Le garçon du Secrétariat :] − ... Il [le secrétaire général] me chanterait une gamme d'enfer s'il savait qu'elle [une lettre] n'est pas à son adresse...
Balzac, Les Employés,1837, p. 223. ♦ Chanter goguettes, pouilles à qqn : 7. ... mais enfin vingt-cinq journaux ne se mettraient pas d'un côté à crier haro à ce pauvre animal, à le huer sur tout ce qu'il ferait, lui chanter pouille sans désemparer; ...
Musset, Lettres de Dupuis et Cotonet,1837, p. 754. ♦ Chanter magnificat à matines. Faire tout à contre-temps. ♦ Région. (Canada). Chanter matines (à propos d'un coq). Chanter le matin. Chanter la pomme à qqn. Lui faire la cour. ♦ Chanter la romance à qqn. Se mettre en frais pour quelqu'un; chercher à lui plaire : 8. − ... Charles-Albert est un Faust dont l'âme est disputée depuis plus de vingt ans par deux forces inconciliables : Mazzini et Metternich (...) Il y a vingt ans que Charles-Albert chante la romance à Mazzini, ou plutôt qu'ils se chantent la romance l'un à l'autre.
Giono, Bonheur fou,1957, p. 278. Prononc. et Orth. : [ʃ
ɑ
̃te], (je) chante [ʃ
ɑ
̃:t]. Fouché Prononc. 1959, p. 100, souligne que ,,même lorsqu'il n'est précédé que d'une seule consonne prononcée, l'e muet intérieur se conserve devant le groupe [ʀj]. Ainsi aux 1reet 2epers. plur. du conditionnel du verbe en -er et du verbeêtre : nous chanterions; vous chanteriez; nous aimerions; vous aimeriez; nous serions; vous seriez``. Cf. aussi Rouss.-Lacl. 1927, p. 147. Attesté ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. Trans. 1. a) xes. cantomps de (1repers. plur. ind. prés.) « célébrer quelqu'un avec des chants » (St Léger, éd. J. Linskill, v. 3); b) av. 1528 « célébrer avec lyrisme » (C. Marot, Chanson, XII, 23 ds
Œuvres lyriques, éd. C. A. Mayer, p. 185); 1796 p. ext. chanter victoire (Restif de La Bretonne, M. Nicolas, p. 188); 2. xes. « faire entendre (un chant) exécuter (un morceau) » Missae cantat (St Léger, éd. J. Linskill, v. 82); 3. 1165-70 « dire, conter » (Chr. de Troyes, Erec, éd. Foerster, 2802). B. Intrans. mil. xies. « faire entendre des chants (ici en signe de joie) » (Alexis, 112eds T.-L.); p. anal. 1. a) 1remoitié xiies. « faire entendre un chant (en parlant des oiseaux) » (Charroi Nîmes, 16, ibid.); b) 2etiers xiiies. « id. (en parlant d'un instrument de musique) » (Poire, 1133, ibid.); c) 1847 fig. « convenir, paraître agréable » (Leconte de Lisle, Poèmes antiques, Niobé, p. 202); 2. 1690 « parler, lire avec des inflexions qui rappellent le chant » (Fur.); 3. 1640 faire chanter qqn « (d'un criminel mis à la question) obtenir des aveux » (Oudin Curiositez); 1674 fam. chanter « céder à des pressions » (Montfleury, Le Comédien poëte, III, 9 ds Littré); d'où 1808 faire chanter qqn « extorquer par ruse ou par force une somme d'argent » (Hautel). Du lat. class. cantare attesté à l'emploi trans. aux sens 1, 2, 3; lat. médiév. missam cantare (Hugeb., Wynneb., 10 ds Mittellat. W. s.v., 192, 33); à l'emploi intrans. aux sens 1 a et b en parlant des oiseaux, d'un instrument de musique; l'hyp. de P. Guiraud, Mélanges d'étymol. arg. et pop. ds Cah. Lexicol., 1970, t. 17, no2, p. 6 et 7 selon laquelle B 3 serait dér. de chant2* « partie étroite d'un objet » (lat. canthus) dont les dér. canter, achanter, décanter (FEW t. 2, 1, p. 228, s.v. canthus) signifient « s'incliner » ou « incliner », chanter signifiant « s'incliner, se soumettre, céder à des pressions », n'emporte pas la conviction (v. FEW t. 2, 1, p. 224a, note 6); faire chanter signifie vraisemblablement à l'orig. « arracher un aveu sous l'effet de la torture » (v. Oudin, loc. cit. et J. Brüch ds Z. fr. Spr. Lit., t. 50, 1927, pp. 304-305). Fréq. abs. littér. : 9 691. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 13 808, b) 16 504; xxes. : a) 15 577, b) 11 218. Bbg. Faral (E.). Sur trois vers de la Chanson de Roland (vers 1016, 1465, 1517). Modern Philology 1940, t. 38, pp. 235-242. − Gottsch. Redens. 1930, passim. − Goug. Mots t. 1, 1962, pp. 283-284. − Grimaud (F.). Petit gloss. du jeu de boules. Vie Lang. 1969, p. 112. − Guiraud (P.). Mél. d'étymol. arg. et pop. Cah. Lexicol. 1970, t. 17, pp. 3-6. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 270, 292, 296. − Quem. 2es., t. 1, 1970. − Rigaud (A.). Autour d'une hostie. Déf. Lang. fr. 1970, no53, pp. 12-14. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 61, 65, 271, 272. − Sain. Lang. par. 1920, p. 519. − Sain. Sources t. 3, 1972 [1930], p. 82. |