| CAROTTE, subst. fém. A.− Plante potagère de la famille des Ombellifères, dont la racine le plus souvent rouge, pivotante, au goût légèrement sucré est comestible, et dont certaines espèces sont cultivées comme plantes fourragères. Semence, champ de carottes; carotte jaune, rouge. − P. brachylogie. Semer des carottes. Semer des semences de carottes. − En partic. Racine comestible de cette plante. Plat de carottes; carottes rapées; éplucher des carottes. SYNT. Botte, fanes, épluchures, zeste, jus de carottes; gratter, couper des carottes; carottes vichy, carottes à la crème. B.− P. méton. Couleur de la carotte. 1. [En emploi apposé] Fam. Qui est d'un roux plus ou moins ardent. a) [Le plus souvent en parlant des cheveux] Cheveux, accroche-cœur, tignasse carotte. − Poil carotte. (Avoir le poil carotte, être de poil carotte.) (Avoir) les cheveux roux, (être) rouquin. Un lycéen (...) de poil carotte (Jammes, Mémoires,1921, p. 149). − [En partic., p. réf. au personnage de Jules Renard, dénommé Poil de carotte dans le roman de ce nom, 1894, repris en 1900 au théâtre] Être poil de carotte. Même sens : Avoir les cheveux roux. − P. méton. [Pour désigner une pers.] Modigliani (...) a fait mon portrait en Poil de Carotte (Cendrars, Bourlinguer,1948, pp. 186-187). b) [En parlant de la couleur] Couleur carotte. J'étais déjà chez moi (...) dans cette véritable cellule, carrelée de rouge carotte, chaulée de blanc pur (H. Bazin, Lève-toi et marche,1952, p. 29). 2. Emploi abs. Personne rousse : 1. ... un buisson de cheveux crépelés, d'un rose de cuivre, éclairèrent le haut de la rue.
− Hou! la rousse! souffla le cadet. Hou! la carotte!
Colette, Sido,1929, p. 158. C.− [P. anal. de forme] 1. Carotte de tabac. Rouleau serré de feuilles de tabac à mâcher. (Morceau de) tabac en carotte; carottes à chique. − Loc. fam. [P. réf. aux carottes de tabac aux feuilles très étroitement serrées (cf. L. Larchey, Les Excentricités de la lang. fr. en 1860, 1859, p. 515); en parlant d'une pers.] Ficelé comme une carotte (de tabac). Un soldat russe, empaqueté de serviettes chaudes, ficelé comme une carotte de tabac (Musset,« Le Temps », 1831, p. 47). ♦ Partic., p. dérision. Habillé très serré : 2. ... les pas lourds de la coquette veuve qui descendait interrompirent les prophéties de Vautrin. − Voilà mamman Vauquerre belle comme un astrrre, ficelée comme une carotte. N'étouffons-nous pas un petit brin? (...); les avant-cœurs sont bien pressés, maman.
Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 208. − Enseigne rouge, dont la forme symbolise une carotte et signalant les bureaux de tabac. 2. GÉOL., MINES, OCÉANOGR. Échantillon de terrain (roche, argile, etc.), en forme de cylindre allongé, prélevé dans un trou de sondage au moyen d'un carottier*. Synon. témoin.Carottes de sondage; carotte d'argile; prélever des carottes. Rem. 1. Les carottes, naguère mal protégées, s'érodaient à la remontée et prenaient une forme légèrement conique : d'où la similitude avec la racine et le nom (d'apr. Pétrol. 1964). 2. Lar. encyclop. atteste l'emploi du verbe carotter pour signifier « exécuter un carottage ». D.− Emplois métaph. ou fig. 1. Expr. proverbiales, péj. a) Les carottes sont cuites. Tout est décidé, il n'est plus possible d'y changer quelque chose. Synon. les jeux sont faits : 3. − Je recevrai demain l'avis officiel du non-lieu.
− Il ne peut plus y avoir de surprise?
− Non : les carottes sont cuites, comme on dit.
Mauriac, Thérèse Desqueyroux,1927, p. 171. b) [P. réf. au prix peu élevé des carottes] ♦ Vieilli. Ne vivre que de carottes. Vivre chichement (cf. aussi carotter I B). Rem. Attesté ds les dict. du xixes., ds Lar. 20eet Quillet 1965. ♦ JEUX. Jouer la carotte. Jouer d'une manière mesquine, en ne hasardant que très peu. Anton. jouer gros jeu. Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixes. ainsi que ds Lar. 20e, Rob. et Quillet 1965. c) Néol. [P. réf. au fait qu'un âne réticent se décide à avancer si on lui présente une carotte, et p. oppos. au bâton, moyen autoritaire d'obtenir le même résultat] − Avantage promis en échange d'un effort. Marcher à la carotte. ,,N'accepter d'agir que poussé par l'appât d'un gain, fût-il illusoire`` (Éd. 1967). − En partic. ,,Méthode de commandement, de gouvernement qui cherche à obtenir l'assentiment, la confiance d'une catégorie de subordonnés, d'administrés en leur accordant divers avantages. (...) Ces avantages eux-mêmes`` (Gilb. 1971). Les partisans de la « carotte » (Gilb.1971). 2. [P. réf. à la prudente lenteur avec laquelle on tire les carottes très longues du sol] a) [Arg. de la police; cf. tirer les vers du nez] Tirer la carotte à quelqu'un. Sonder quelqu'un, le faire parler. Quelques voleurs, qui (...) se laisseraient tirer la carotte sur leurs affaires passées, présentes et futures (F. Vidocq, Mémoires de Vidocq,t. 3, 1828-29, p. 122). b) Pop. Tirer une carotte à qqn. Lui soutirer habilement quelque chose, en particulier une somme en apparence peu importante d'argent, en abusant de sa confiance; p. ext. chercher à le tromper, à le duper dans une affaire médiocre : 4. − Tâchez d'avoir un passeport sous ce nom-là.
− Il n'est que neuf heures, le maire est au cabaret; je vais lui tirer cette carotte.
Stendhal, Lamiel,1842, p. 151. − P. iron. et antiphrase : 5. − Gros cornichon! s'écria-t-elle en poussant un infernal éclat de rire, voilà la manière dont les femmes pieuses s'y prennent pour vous tirer une carotte de deux cent mille francs!
Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 296. − [Arg. des casernes; cf. tirer au flanc] Tirer une (la) carotte. Essayer habilement, par simulation, d'obtenir un avantage personnel en se dérobant à une corvée. − En partic. Simuler pour obtenir du médecin une exemption de service : 6. Un cinquième [porteur], qui se traîne à peine, nous paraît tirer la carotte. En effet il nous accompagne le lendemain, et ne parle plus de son mal lorsqu'il comprend qu'il ne sera pas payé s'il refuse sa charge.
Gide, Voyage au Congo,1927, p. 783. 3. P. ext. (de D 2 b). Carotte. Petite escroquerie, duperie, supercherie : 7. ... des familles se grugeaient entre elles sous prétexte de commerce, afin de se laisser chiper de l'argent par leurs fils qui se laissaient, à leur tour, escroquer par ces femmes que dépouillaient, en dernier ressort, les amants de cœur. (...), c'était une chaîne ininterrompue de carottes, un carambolage de vols organisés...
Huysmans, À rebours,1884, p. 223. 8. Je vous ai parlé des religieuses et de leurs carottes. Le soutirage méthodique des petites sommes aux élèves, sous mille prétextes et d'un bout de l'année à l'autre, me fait horreur.
Bloy, Journal,1902, p. 91. ♦ Loc. Carotte de longueur. ,,Manœuvre préparée de longue main`` (Esn. 1966). ♦ Arg. des casernes. Subterfuge pour se libérer d'un travail, d'une corvée : 9. Les anciens... grâce à une carotte... abrégeaient singulièrement la confection du lit; au réveil, ils le découvraient... mais par un large rabattement qui ne compromettait en rien l'agencement de l'ensemble.
E. Titeux, Saint-Cyr et l'école spéciale milit. en France,1898, p. 398. ♦ P. méton., rare. Personne qui tire la carotte, qui tire au flanc. Synon. tire-au-flanc (cf. supra D 2 b) : 10. Il [Courteline] se complaît dans l'abjection, prend le parti de la carotte, du tire-au-flanc.
Gide, Journal,1940, p. 47. Rem. À propos de la loc. tirer une carotte, Larch. 1861 écrit : ,,les contrebandiers qui tiraient ou passaient continuellement des carottes de tabac à la frontière doivent avoir fait créer ce terme`` (interprétation reprise par Quillet 1965). Littré note en rem. : ,,on a dit que la locution populaire tirer une carotte vient de ceci : à Carmagnole, le gouverneur savoyard avait frappé chaque botte de carottes, mise en vente au marché, d'un impôt équivalent à un demi-liard de notre ancienne monnaie; mais il admettait qu'on le payât en nature, c'est-à-dire que les estafiers tiraient à son profit deux carottes par botte`` (Extrait de la Chronique du Derby, dans la Patrie, 11 avr. 1868). On ne donne aucun texte à l'appui de ce dire. Dans la partie étymol. : ,,au lieu de tirer une carotte, l'italien dit : planter ou ficher des carottes (...). L'origine de cette façon de parler, c'est que, dans un sol meuble et doux, image de la crédulité, la carotte acquiert un développement admirable; l'expression italienne s'arrête à l'intention du semeur de carottes; le français considère le procédé qui les récolte`` (Génin, Récréat. t. 1, p. 310). En ce qui concerne l'emploi de carotte pour signifier « petite escroquerie » selon Lar. 19e: ,,... ce mot et ses dérivés sont venus de carotte, mesquinerie au jeu, car la prudence et la filouterie sont assez voisines dans cette matière. Cependant, quelques étymologistes prétendent que cette façon de parler vient de l'habitude qu'avaient les contrebandiers de passer des carottes de tabac à la frontière``. Pour Éd. 1967 : ,,le sens argotique de duperie, d'escroquerie, pourrait dériver de l'astucieuse tactique des âniers qui présentaient un de ces légumes au bout d'une perche pour décider un animal rétif à avancer...``. Prononc. et Orth. : [kaʀ
ɔt]. Passy 1914 admet également la prononc. avec [ɑ] post. à l'initiale; à ce sujet cf. Grammont Prononc. 1958, p. 32 : ,,Dans la prononciation populaire (...) ɑ est postérieur et bref dans quelques mots plus ou moins isolés comme : baron, carotte, carrosse, carré, sarrau, parrain, marraine, charron, larron, marron (...), madré, magot, scabreux, praline, Jacob, maçon, passion, bazar, brasier, jadis, masure, Basile, basane, Bazaine, Jason, blason, gazon, haillon, graillon, poulailler``; Kamm. 1964, p. 97 signale : ,,On entend parfois [ɑ] postérieur dans carotte, carriole, carrosse.`` Mart. Comment prononce 1913 note que c'est à Paris que l'on prononce [ɑ] post. dans carotte et il ne conseille pas cette prononc. Rouss.-Lacl. 1927, p. 148 fait la même constatation pour Paris mais ajoute : ,,En province, bazar, carrosse, carrote, casserole reçoivent des ɑ moyens.`` Pour Fouché, Prononc. 1959, p. 85 : ,,l'[ɑ] a pour ainsi dire disparu dans abrasif, avocaillon, basalte, basane, basilic, basilique, basoche, bazar, carotte, carrousel``. Fér. 1768 souligne qu'on ne prononce pas [tt] géminées dans carotte et Fér. Crit. t. 1 1787 propose d'écrire carote. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. 1. 1393 garroite « plante dont la racine charnue est comestible » d'où « la racine même de cette plante » (Ménagier, éd. Sté Bibliophiles fr., t. 2, p. 244); 1538 carote (Estienne, Dict. latinogallicum, s.v. daucus); 1564 carotte (Liébault, p. 377 ds Gdf. Compl.); d'où 1694 ne vivre que de carottes « vivre mesquinement » (Ac.); 1878 avoir ses carottes cuites « être mourant, agoniser » (ds FEW t. 2, 1, s.v. carota, p. 396b, sans ex.); p. anal. 2. 1721, 1eraoût tabac en carotte « rouleau de feuilles de tabac en forme de carotte » (Déclaration rendue à la suite du rétablissement du privilège de la Ferme générale ds Brunot t. 6, p. 491); 1723 carotte de tabac (Savary des Bruslons, Dict. universel de comm., Paris); 3. 1887-90 « petit cylindre de roche ou de terrain que l'on extrait du fond d'un trou de sonde » (Gde Encyclop.); 4. 1846 couleur carotte « couleur rouge » (Balzac, La Cousine Bette, p. 434 : une girafe couleur carotte); 1858 adj. cheveux carotte (Larch., p. 432). B. Fig. et fam. a) 1784 arg. de la police tirer la carotte « extorquer à quelqu'un des aveux par des moyens adroits » (Esn., sans ex.); d'où 1831 tireur de carottes « prétexte inventé pour soutirer de l'argent » (Raspail ds Esn.); b) 1966, 10 févr. « avantage accordé pour obtenir l'assentiment, la confiance d'une catégorie de subordonnés, d'administrés » (Le Monde ds Gilb.); 1969, 2 janv. le bâton et la carotte (La Croix, ibid.). Empr. au lat. carota « id. » (Apicius, 3, 21 tit. ds André Bot.) lui-même empr. au gr. κ
α
ρ
ω
τ
ο
́
ν (Diphilus Siphnius ap. Ath. 371c [texte douteux] ds Chantraine); A 3 est, comme A 2, issu de A 1 p. anal. de forme; l'hyp. d'un empr. à l'angl. (Dauzat 1973) est à écarter, l'équivalent étant dans cette lang. : core-sample ou core, terme des mines, proprement « centre d'une masse, noyau » (Harrap's standard French and English dictionary, English-French, ed. with Suppl. 1962); A 4 p. anal. de couleur. B a dér. de A, peut s'expliquer par le fait que l'on sort les carottes longues de terre en tirant doucement sur les feuilles (si on tire trop brutalement, les feuilles s'arrachent et la carotte reste dans la terre); peut-être aussi infl. de carotter « jouer mesquinement, ne hasarder que peu » (d'où l'idée de prudence et de ruse qu'implique l'expression tirer la carotte); b, cf. aussi l'expr. angl. to dangle a carrot « agiter la carotte » 1897 (Westm. Gaz. 24 Aug. 2/2 ds NED Suppl.) c'est-à-dire « faire des promesses pour attirer quelqu'un ». Pour d'autres explications, cf. supra rem. sous D in fine. Fréq. abs. littér. : 259. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 149, b) 516; xxes. : a) 636, b) 314. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 180. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 96. − Millepierres (F.). De qq. légumes. Vie Lang. 1966, pp. 17-25. − Rog. 1965, p. 50. − Sain. Lang. par. 1920, p. 148, 384. |