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BRUT, UTE, adj. et adv.
I.− Adjectif
A.− [En parlant d'un animé]
1. Vx. [En parlant d'un animal] Qui vit à l'état de nature, sauvage. Une bête brute.
P. ext., péj. Une bête brute. Homme bestial, dénué de sensibilité humaine :
1. Personne n'osait se risquer dans la chambre, parce qu'on connaissait Bijard, une bête brute quand il était soûl. Zola, L'Assommoir,1877, p. 556.
2. [En parlant d'une pers., de son comportement]
a) Qui est primitif, sauvage, non domestiqué. Instincts bruts (Mounier, Traité du caractère,1946, p. 726):
2. Uranus est le fou du tarot et ce nom lui convient à merveille. Parce qu'il est force brute, primitive, non captée, non dominée, tel un fleuve sauvage ou comme une coulée de lave en mouvement, il agit sans règle ni raison. Divin.1964, p. 224.
b) P. ext.
Qui n'a pas été formé, raffiné par la civilisation, la société, l'éducation. Avoir des manières brutes (Ac.1835-1932) :
3. D'ailleurs vous devez vous souvenir que je n'ai réellement pas eu d'éducation en peinture : je suis un paysan tout brut, je suis le Sedaine de la peinture. Delécluze, Journal,1824, p. 64.
Qui paraît d'une intelligence très fruste. Un esprit brut :
4. Chasseriau ne répondit pas. Il avait l'air lourd, brut, presque endormi. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 186.
B.− [En parlant d'un produit de la nature]
1. SC. NAT. (minér.) Corps bruts. Corps minéraux qui s'opposent aux corps organisés (végétaux et animaux). Les corps bruts, les composés organiques, les tissus vivants sont, par leur nature même, sensibles à certaines actions d'avance déterminées (Claudel, Art poétique,1907, p. 176).
2. Qui n'a pas subi de manipulation, de transformation. Un diamant brut (Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 273):
5. T'occupe pas, sois ton regard, Et sois l'âme qui s'exécute; Tu fournis la matière brute, Je me charge de l'œuvre d'art. Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame la Lune,1886, p. 236.
SYNT. a) [S'applique à une roche] Marbre brut, granit brut de minerais (Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 188). b) [S'applique à des pierres précieuses] Perle brute (A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 8, 1846, p. 777). c) [S'applique à toute matière] Cuir brut (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 139); laine brute, soie brute, coton brut (J. Brunhes, La Géogr. hum., 1942, p. 158); sucre brut (Balzac, César Birotteau, 1837, p. 175); papier brut (L'Industr. fr. du bois, 1955, p. 17); pétrole brut (J.-J. Chartrou, Pétroles naturel et artificiels, 1931, p. 76); métal brut.
P. ext.
a) [En parlant d'un vin] Qui n'a pas subi de deuxième transformation, ou de fermentation. Un authentique champagne brut (Peyré, Matterhorn,1939, p. 101).
b) MÉTALL., emploi subst. (Métal) brut de coulée. Métal coulé n'ayant subi aucun autre traitement.
C.− Au fig., domaine intellectuel, artistique, écon.
1. MATH., PHYS., SOCIOL. Fait brut, résultat brut, expérience brute. Qui n'a pas encore subi d'élaboration intellectuelle :
6. L'expérience empirique ne diffère donc réellement de l'observation empirique qu'en ce que dans l'expérience empirique le fait brut qu'on constate a été provoqué par l'expérimentateur, tandis que, dans l'observation empirique, le fait brut qu'on constate s'est offert naturellement à l'observateur. C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 55.
2. MUS., LITT., PEINT.
a) Sans nuance péj. Des tons bruts (Huysmans, Là-bas, t. 1, 1891, p. 44). Tons vifs, purs. Les voix brutes et justes (Malègue, Augustin,1933, p. 234).
b) Péj. Incohérent, grossier :
7. On s'est offensé de voir les sibylles composer des vers si méchants, si mal en ordre, si bruts et si grossiers, ... Barrès, Mes cahiers,t. 12, 1919-20, p. 312.
3. COMM., ÉCON., FIN.
a) COMM. Poids brut. Poids de marchandises dont on n'a pas déduit le poids de l'emballage. Anton. poids net, poids des marchandises seules.
b) ÉCON., FIN. Dont on ne déduit rien. Anton. net.
SYNT. Produit brut (Say, Traité d'écon. pol., 1832, p. 66); valeur brute, taux brut; produit national brut (Perroux, L'Écon. du XXes., 1964, p. 554); bénéfice brut, recette brute (Hugo, Correspondance, 1866, p. 401). Salaire brut. Salaire dont on n'a pas déduit les charges sociales, etc.
II.− Emploi adv., rare, COMM. ÉCON. et FIN. (Cette) affaire (qui) a produit brut un (demi-) million (Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., Rob.); (le) ballot (qui) pèse brut 200 kgs (Lar. 19e, 20e).
PRONONC. : [bʀyt].
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Fin xiiie-début xives. « (d'un inanimé) qui est à l'état sauvage » (Aimé de Mont-Cassin, Yst. de li Normant, 300, Delarc dans R. Hist. litt. Fr., t. 5, p. 305); fin xives. « (d'une pers.) id. » (Gloss. Aalma dans Lex. fr. M. A. éd. M. Roques, t. 2, p. 38, no1056); ca 1378 bestes brutes (J. Lefèvre, Trad. La Vieille, 71 dans T.-L.); masc. brute jusqu'au xviiies. (av. 1778, Volt., Scythes, V, 4 dans DG); 2. 1416 « qui n'a pas été façonné par l'homme » (Guiffrey, Inventaires de Jean duc de Berry, I, 29); p. ext. 1751 « qui résulte d'une première élaboration » (Encyclop. t. 2); 3. 1751 écon. (Encyclop. t. 2); d'où divers emplois dans les domaines économiques et financiers, toujours en opposition à net* (v. Ac. 1835). Empr. au lat. brutus (attesté d'abord au sens fig. « stupide (d'un homme) », Naevius, dans TLL s.v., 2216, 18), employé en parlant d'animés dans le syntagme animal brutum (Pline, ibid., 2216, 49); en lat. médiév. devient synon. de rudis, incultus, appliqué à des hommes (1163-72 dans Mittellat. W. s.v., 1594, 8); en parlant d'un inanimé (Sénèque dans TLL s.v., 2216, 64; cf. Sulpice Sévère, ibid., 2216, 68). Étant donnée l'entrée du mot seulement en m. français, l'hyp. d'un empr. (FEW t. 1, s.v. brutus) est préférable à celle d'un mot hérité d'un lat. *bruttus (par gémination expressive, cf. lat. totus > tottus, et supposé par l'ital. brutto, tandis que l'esp.-port. bruto est aussi un empr.; Vään., p. 62).
STAT. − Fréq. abs. littér. : 386. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 363, b) 833; xxes. : a) 650, b) 493.
DÉR. 1.
Brutage, subst. masc.,joaill. Dégrossissage du diamant brut. Synon. ébauche (cf. A. et N. Metta, Les Pierres précieuses, 1960, p. 53). [bʀyta:ʒ]. 1reattest. 1877 (Littré Suppl.); dér. de brut, suff. -age*.
2.
Brutisme, subst. masc.,philos. [Ds la doctrine de Saint-Simon] Conception mécanique des phénomènes utilisée notamment par Espinas pour illustrer sa thèse cartésienne des animaux-machines. Ces impasses passionnelles qui ne mènent qu'à choir dans le brutisme conscient (Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 48). 1reattest. av. 1825 d'apr. Lal. 1968 : terme créé par Saint-Simon; 1884 id.; dér. de brut, suff. -isme*.
BBG. − Duch. 1967, § 19. − Gohin 1903, p. 229. − Gottsch. Redens. 1930, p. 27. − Henry 1960, p. 149. − Mots dans le vent. Vie Lang. 1969, p. 693.