| BRUME, subst. fém. I.− Amas de gouttelettes en suspension dans l'air, masquant d'une manière plus ou moins opaque, le ciel, la surface du sol ou des eaux. A.− Synon. de brouillard.Une brume épaisse; se perdre (s'enfoncer, disparaître) dans la brume. L'horizon sans brume (Gide, La Porte étroite,1909, p. 572): 1. Soudain, une brume descend dans le val : elle glisse lentement sur les bois, accrochant aux cimes nues des hêtres des lambeaux frissonnants que le vent effiloche; (...). Seuls, quelques lambeaux de brume tournoient à la surface de l'eau, pareils à des fumées; puis le brouillard s'épaissit, devient un mur, et la coulée du fleuve le pénètre, y glisse, se dérobe et on l'entend bruire vaguement quelque part, au fond de toute cette blancheur.
Moselly, Terres lorraines,1907, p. 295. − P. métaph. Me promenant seul, sous une brume intérieure assez abaissée (Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 162). − Expr. Aux premières brumes. Quelquefois en plein hiver ou bien aux premières brumes (Fromentin, Dominique,1863, p. 49). − [Sert à caractériser un pays, une région] Loin du beau ciel de l'Italie (...) dans les brumes du nord (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 3,1848, p. 361);Rembrandt (...) le plus intense de tous ces maîtres qui, du fond de leur brume, rêvaient le soleil (T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée,1872, p. 122). − Spéc. Brouillard de mer, brouillard épais réduisant ou annulant la visibilité. Un banc de brume; une corne de brume : 2. Leurs yeux ne pouvaient percer l'épais brouillard qui s'amoncelait sous la nacelle. Autour d'eux, tout était brume. Telle était même l'opacité des nuages, qu'ils n'auraient pu dire s'il faisait jour ou nuit.
Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 3. B.− Voile de vapeur. Brume légère; un voile de brume; brume du matin (du soir). Une légère brume de chaleur s'en élevait [de la Seine], une fumée d'eau évaporée (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, p. 510): 3. ... le ciel, d'un bleu pâle, verse sur la nature une brume gris-perle qui l'adoucit et l'enveloppe comme une gaze transparente; ...
Du Camp, En Hollande,1859, p. 13. Rem. À la brume dans Ponson du Terrail (Rocambole, t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 246) est une faute d'impression de certaines éditions pour à la brune*. II.− P. anal. A.− Écran constitué par un amas de fines gouttelettes d'eau : 4. À travers la brume que la chaleur de la salle répandait sur la devanture vitrée, on voyait fourmiller cent figures confuses, ...
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 330. B.− Amas de particules solides en suspension dans l'air. Une brume minérale : 5. ... une brume de poussière s'exhale du foin piétiné et met un halo blond autour de la bougie.
Genevoix, Les Éparges,1923, p. 266. C.− Sorte de nuage, de fumée. Les brumes d'encens (Valéry, Correspondance[avec Gide], 1942, p. 41). − P. méton. Amas de choses légères, vaporeuses, de couleur pâle. Ennuagée dans la brume d'une robe en crêpe de Chine gris (Proust, La Prisonnière,1922, p. 33): 6. Je vis Georges Rodenbach (...), sa pâle tête encadrée d'une brume de cheveux blonds qui semblait s'évaporer au-dessus des yeux d'un bleu de glace...
Jammes, Mémoires,1922, p. 187. D.− Voile sombre qui gêne la visibilité : 7. Les chandelles, dont on n'avait pas augmenté le nombre, jetaient si peu de lumière qu'on ne voyait pas les murs de la salle. Les ténèbres y enveloppaient tous les objets d'une sorte de brume.
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 364. − Spéc., PEINT. : 8. ... chez Rubens, Velasquez, Rembrandt, ... la couleur tantôt éclate en fanfare de soleil tantôt s'atténue en sourdines de brume.
A. Rodin, L'Art,1911, p. 139. III.− P. métaph. et au fig. A.− [Valeur causative] Ce qui empêche de voir, de comprendre clairement quelque chose. − [Domaine de la vue] Les brumes du sommeil, les brumes de l'ivresse. Ses yeux encore voilés par les brumes du sommeil (Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 16): 9. ... est-ce l'habitude de le voir, tous les jours? ... Je ne le trouve plus si laid, ni si vieux... L'habitude agit comme une atténuation, comme une brume, sur les objets et sur les êtres. Elle finit, peu à peu, par effacer les traits d'un visage, par estomper les déformations; ...
Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 172. − [Domaine de l'intellect] :
10. Cet œil, cette voix, ce visage, je les connaissais. Mais d'où, de quand? Certes, j'avais rencontré ce garçon-là, je lui avais parlé, je lui avais serré la main. Cela datait de loin, de très loin, c'était perdu dans cette brume où l'esprit semble chercher à tâtons les souvenirs et les poursuit, comme des fantômes fuyants, sans les saisir.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, L'Infirme, 1888, p. 748. 11. Revenu à pas lents par la vieille route, tout seul... Je sentais venir une minute de génie, je veux dire : de pleine conscience... Je n'avais plus guère de brume autour de la tête.
Renard, Journal,1897-99, p. 413. B.− [Valeur d'état] Ce qui est vague, peu clair, incertain. Des pensées de brume. Réalisme, idéalisme, autant de brumes à travers lesquelles l'homme aveugle cherche la vérité (Renard, Journal,1902-03, p. 800): 12. ... l'enfant infériorisé va mobiliser autour de son infériorité toutes les forces susceptibles d'assurer sa sécurité menacée. (...). Le désir de s'élever à la toute-puissance peut être si violent qu'il quitte le terrain de la réalité et s'enfonce dans les brumes de la fiction.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 598. PRONONC. : [bʀym]. Enq. : /bʀym/. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1265 « période des jours les plus courts » d'où « époque hivernale » (Brunet Latin, Trésor, 185 dans T.-L.) − 1611, Cotgr.; 2. 1562 « brouillard épais, spécialement brouillard de mer » (Rabelais, Cinquiesme Livre, ch. VI, éd. Marty-Laveaux, III, p. 26) [les dict. donnent comme première date à ce sens G. de Machault, à la suite d'une mauvaise lecture de bruines, v. éd. Hoepffner, t. 1, p. 148, v. 310]; 3. 1752 (Trév. Suppl. : On donne encore le nom de brume à une certaine vapeur, à un certain brouillard qui s'élève sur les cascades ou cataractes des eaux).
Empr. au lat. class. bruma « jour de l'année le plus court du solstice d'hiver » d'où « solstice d'hiver lui-même » puis « époque des froids, hiver »; étant donnée la grande rareté du mot dans le domaine d'oïl (FEW t. 1, p. 561) l'intermédiaire de l'a. prov. bruma, du lat. ci-dessus (xiiies., Alegret, Ara pareisson dans Rayn.) est très probable. STAT. − Fréq. abs. littér. : 2 395. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 003, b) 4 056; xxes. : a) 3 845, b) 3 990. BBG. − Goug. Mots t. 2 1966, p. 104. − Sizaire (P.). Le Parler des gens de mer. Vie Lang. 1971, p. 384. |