| BRODER, verbe trans. A.− Orner une étoffe au moyen de fils (de coton, soie, or, argent ou laine) et parfois d'éléments décoratifs (paillettes, perles, rubans, etc.) passés avec une aiguille ou un crochet en formant des motifs ou des dessins. Broder une chemise, un drap, un mouchoir, une nappe; fil à broder, métier à broder : 1. ... et sa robe en crêpe de Chine, d'un vert argenté presque blanc, était brodée de feuillages d'argent et boutonnée de perles fines.
Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 7. 2. Elle avait terminé le petit feuillage d'or, elle se mit à une des larges roses, tenant prêtes autant d'aiguilles enfilées que de nuances de soie, brodant à points fendus et rentrant, dans le sens même du mouvement des pétales.
Zola, Le Rêve,1888, p. 44. SYNT. 1. [Le compl. désigne l'étoffe servant de fond ou l'objet à décorer] Broder des gilets, des bouts de cravates et des mouchoirs (Balzac, Les Illusions perdues, 1843, p. 90); broder des chasubles, des étoles, des manipules, des chapes, des dalmatiques, les mitres, des bannières, des voiles de calice et de ciboire (Zola, Le Rêve, 1888, p. 43). 2. [Le compl. désigne le dessin ornemental et la matière utilisée] Broder une fleur, un chiffre au coin d'un mouchoir; broder d'or, d'argent, de soie; broder à l'aiguille, au crochet, au métier, au tambour; broder à fils d'or et de soie (Faral, La Vie quotidienne au temps de St Louis, 1942, p. 141); [emploi pronom. à sens passif, rare] robe courte (...) ce qui se brode ou se soutache (Mallarmé, La Dernière mode, 1874, p. 813). − P. métaph. Broder de jolies phrases. Papier lisse qu'il faut broder de mon écriture (Colette, La Naissance du jour,1928, p. 27);comme une basse continue brodée des éclats de rire des filles ou des cris de quelque rare dispute (Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 295);le prêtre le brode [le catafalque] de perles d'eau bénite (Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 23): 3. Le soleil tenait lieu de lustre; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Hugo, Les Contemplations,t. 1, 1856, p. 138. 4. ... ces pécheresses (...) se vengeaient, comme se vengent les femmes, petitement. Le père Alta devint le canevas de parlage qu'elles brodèrent d'incroyables insinuations et d'indescriptibles calomnies.
J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 228. B.− Au fig. [Souvent avec un compl. prép. sur, indiquant le thème de départ] 1. Emploi trans., vieilli. Ajouter des détails, des circonstances souvent imaginaires à une histoire ou à un récit; l'embellir. Il brode fort bien un conte; on vous a brodé cette nouvelle (Ac.1835-78) : 5. Elle me rapportait tous les discours qu'il tenait; elle y ajoutait; elle les brodait.
Restif de La Bretonne, M. Nicolas,1796, p. 146. SYNT. Sur ce thème éternel (...) broder une fabulation ingénieuse (R. Martin du Gard, Devenir, 1909, p. 113); amour (...) canevas sur lequel je brode ma vie (Karr, Sous les tilleuls, 1832, p. 113). 2. Emploi abs. Inventer de nouveaux détails. Il a brodé agréablement sur ce thème (Ac.1932). − Péj. Ajouter des détails pour faire du remplissage. Ah! Monsieur, vous brodez! (Ac.1835-78) : 6. − Non, ne vous taisez pas. Tâchez seulement de ne pas broder. Donnez-moi les faits tout nus. N'essayez pas de me faire prendre le change avec vos commentaires.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 176. − Spécialement a) Arg. Signer des reconnaissances de dettes (cf. Hogier-Grison, Les Hommes de proie, Le Monde où l'on flibuste, 1887, p. 185). b) Mus. Ajouter des variations à un thème. Spéc. [En parlant d'un chanteur, d'un instrumentiste] Interpréter une œuvre musicale en l'agrémentant de variations ou fioritures pour faire briller son propre talent. Fioritures dont les chanteurs italiens brodent leurs airs les plus tragiques (Taine, Philos. de l'art,t. 1, 1865, p. 132): 7. Jusqu'à l'époque de Mozart il [l'interprète] fleurit et varie à son gré les mouvements lents (...). En 1831 encore, voici un puriste parmi les puristes, Spohr, qui considère comme légitime de broder le premier violon d'un quatuor; Baillot, en 1835, apprend à ses disciples l'art d'enjoliver un adagio de concerto.
Arts et litt. dans la société contemp.,1936, p. 6009. Rem. 1. La constr. trans. proche de la métaph. est plus fréq. au xixes. La constr. abs. l'emporte au xxes. 2. L'emploi pronom. est rare au sens fig. Sur le fracas continuel se brodaient deux ou trois lignes de bruits (Queffélec, Un Recteur de l'île de Sein, 1944, p. 41). PRONONC. : [bʀ
ɔde], (je) brode [bʀ
ɔd]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Av. 1105 judéo-français brosder infinitif substantivé « broderie » (A. Darmesteter, D.-S. Blondheim, Les Gloses françaises dans les Commentaires talmudiques de Raschi dans Bibliothèque des Hautes Études, fasc. 254, 1929, p. 18); vers 1160 « orner un tissu de broderies » (Énéas, 5881 dans T.-L.); 1200-20 fig. (J. Renart, G. de Dole, 14, ibid.); 2. 1690 fig. « enrichir un sujet » (Fur.).
L'orig. germ. semble certaine, mais il est difficile de dire si l'a. fr. (cf. lat. médiév. brusdus « broderie » Bourgogne ca 840 dans Nierm.), l'a. prov. broydar (xives., part. passé broydat dans Rayn., t. 6, p. 6, appendice) et leurs corresp. romans sont issus du germ. *bruzdan (FEW t. 15, 1, pp. 319-320, 1rehyp.) ou bien s'ils tirent leurs orig. respectivement : l'a. fr. de l'a. b. frq. *brozdôn; l'a. prov. et les lang. hisp., du got. *bruzdôn; l'a. ital., du longobard *brustan (FEW, loc. cit., 2ehyp.; v. aussi REW3et EWFS2); ces formes germ. sont à rattacher à l'a. nord. broddr, a. h. all. brort « pointe », a. nord. brydda « piquer », a. h. all. brortôn « border, orner » (De Vries Anord.; Karg-Frings). STAT. − Fréq. abs. littér. : 396. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 497, b) 801; xxes. : a) 720, b) 394. BBG. − Feugère (F.). La Volière de Marie de France. Déf. Lang. fr. 1970, no54, pp. 9-11. − Francescato (G.). Per la storia di it. borzacchino. Vox rom. 1961, t. 20, p. 298. − Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 285. |