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BRISER, verbe.
I.− Emploi trans.
A.− [Le compl. désigne un obj. concr.] Casser en deux ou plusieurs morceaux par un choc ou un coup violent. Briser une vitre, briser qqc. en mille pièces :
1. Je ne puis plus traverser Paris. Les ouvriers sont lâchés, brisent les réverbères, enfoncent les boutiques, tuent, et sont fusillés et poursuivis par la Garde. Vigny, Le Journal d'un poète,1830, p. 910.
SYNT. Briser le cachet d'une lettre; briser le crâne, les os de qqn; briser les idoles, des portes, un verre.
Spéc., TECHNOL. Briser la laine, le chanvre, etc. En séparer les fibres pour les démêler.
Briser des chaussures. Les assouplir.
Loc. fig. Briser la glace. Supprimer la gêne ou la contrainte dans des relations humaines :
2. Et ce n'est pas de rencontrer davantage d'humains qui m'apprendrait à briser la glace, (...); je n'arrive pas à percer ce cercle infernal de la solitude. Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1390.
B.− Au fig.
1. Rompre l'unité d'un système (politique, social, intellectuel); abolir certains liens sociaux ou individuels, certains rapports existant entre les choses.
a) Domaine pol. et soc.Briser une alliance, un contrat, un pacte; briser l'esclavage, la famille, le mariage, la société :
3. Il faut maintenant signaler un autre élément de population qui était au-dessous des clients eux-mêmes, et qui, infime à l'origine, acquit insensiblement assez de force pour briser l'ancienne organisation sociale. Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 297.
Briser ses chaînes, ses fers, son joug. S'affranchir d'une domination tyrannique :
4. Voyez combien de temps il fallut au long parlement pour s'affranchir de cette vénération, (...). Croyez-vous que les corporations qui existent sous un usurpateur éprouveraient, à briser son joug, ce même obstacle-moral, ce même scrupule de conscience? Constant, De l'Esprit de conquête,1813, p. 256.
b) Domaine des relations individuelles.Briser une amitié, un attachement. La fortune, les caprices, les maladies, la mort brisent les chaînes les plus sacrées (Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 332):
5. ... il [Goethe] repousse, il écarte de soi tout ce qui peut affaiblir la volonté de vivre et de comprendre. Il ne recule devant aucune contradiction apparente, si la contradiction l'enrichit. Il brise vivement tous les liens, même les plus tendres; il veut ignorer tous les maux, même les plus proches, si ces liens, si ces maux lui font craindre de donner plus de vie qu'il n'en recevra de ces impressions. Valéry, Variété 4,1938, p. 117.
[Le compl. désigne une communication écrite ou orale] Briser un entretien, une correspondance. Les interrompre brusquement. Je brisai cette conversation ridicule (Nerval, La Pandora,1855, p. 745).
Absol. Je suis trop agité de ces souvenirs pour continuer, brisons là (Hugo, Lettres à la fiancée,1821, p. 44).
c) [En parlant d'une situation, d'un état existant soit dans la réalité, soit dans une construction intellectuelle, une composition artistique, etc.] Briser la monotonie du temps, le silence; briser un alexandrin, le rythme, l'unité d'un tableau, d'un système. Briser l'ordonnance acceptée des sujets (Huysmans, L'Art mod.,1883, p. 137):
6. Les romantiques ont contribué à notre formation. Vous ne souffrez pas de rompre ainsi des liens organiques? Il s'agit de sauver, plutôt que de détruire, et d'édifier avec des fragments de beauté et de vérité, plutôt que de les disperser. Je recherche les concordances, plutôt que les oppositions. Je n'aime pas briser la continuité, la collaboration humaine à travers le temps. Pourquoi renier, détruire ces heures de notre jeunesse et rejeter ces pierres de notre construction. Barrès, Mes cahiers,t. 14, 1922-23, p. 142.
2. Anéantir brutalement une force matérielle ou morale, collective ou individuelle.
a) [L'action est rel. à une force coll.] Briser l'ennemi, les forces ennemies; briser une grève, l'opposition, la résistance. L'Assemblée reçut de lui [La Fayette] sommation de briser le mouvement démocratique (G. Lefebvre, La Révolution fr.,1963, p. 255).
b) [L'action est rel. à une force individuelle considérée comme bonne ou mauvaise]
[Le compl. désigne soit une pers., soit une force morale de la pers.] Briser les efforts, les élans, les espoirs de qqn; briser le moral, l'orgueil, la volonté de qqn; briser les ressorts de l'âme; briser qqn. L'obéissance [selon Janet] : mille résistances à briser, mille tendances à discipliner, l'instinct à dompter (Mounier, Traité du caractère,1946, p. 507).
Rem. Les expr. briser qqn, briser la volonté, l'orgueil ou d'autres telles que briser le moi, la nature se retrouvent dans le domaine spécifique de la morale chrét. avec le sens de « détruire l'amour-propre qui s'oppose à la volonté divine ». La vie conventuelle le brisera et fera de lui un saint ou elle le confirmera dans sa cruauté naturelle (Green, Journal, 1948, p. 224).
Briser le cœur. Accabler de douleur, affliger profondément. Un chagrin capable de briser à jamais un pauvre cœur d'enfant (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Garçon un bock! 1844, p. 900).
[Le compl. est un mot abstr. désignant les manifestations de ce dynamisme hum. tel qu'il se développe dans le temps] Briser l'avenir, la carrière de qqn :
7. En ce moment, Fœdora marchait, sans le savoir, sur toutes mes espérances, brisait ma vie et détruisait mon avenir avec la froide insouciance et l'innocente cruauté d'un enfant qui, par curiosité, déchire les ailes d'un papillon. Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 127.
[L'action s'exerce dans le domaine physique; le compl. désigne une partie du corps ou la pers. tout entière] Harasser, fatiguer à l'extrême. Ce sommeil qui brise le corps au lieu de le reposer (A. Dumas Fils,La Dame aux camélias,1848, p. 224);une marche inégale qui brisait les jambes (Dorgelès, Les Croix de bois,1919, p. 173).
II.− Emploi pronom.
A.− Domaine concr.
1. [Le suj. est un subst. désignant un corps solide] Se casser, se réduire en pièces. Le navire se brisa contre les rochers; le verre, la faïence, la porcelaine se brisent facilement (Ac.1835-78) :
8. Si on jetait une pierre, elle semblait quelque temps suspendue, puis se heurtait aux parois, déboulait en ricochant, se brisait en éclats, ... Flaubert, Par les champs et par les grèves,1848, p. 250.
2. [Le suj. désigne un corps liquide tel que la mer, les vagues] Se réduire en écume, déferler. L'arrivée sur la côte, de rouleaux réguliers qui déferlent et se brisent sur le rivage (V. Romanovsky, La Mer, source d'én.,1950, p. 13).
3. P. anal., emplois techn.
a) OPT. [Le suj. désigne un faisceau lumineux] Se réfracter, changer de direction en passant d'un milieu dans un autre. La propriété de la lumière de se transmettre en ligne droite, de se réfléchir ou de se briser au passage d'un milieu dans un autre (Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 2).
b) TECHNOL. Un bois de lit, une table, un fauteuil qui se brisent (Ac. 1835-1932). Qui se replient sur eux-mêmes pour pouvoir se raccourcir, s'allonger.
B.− Au fig.
1. [L'idée dominante est celle de la dislocation d'un ensemble, de la rupture de certains liens, de certains rapports] C'est le dernier déchirement : le suprême lien qui le rattachait au monde vivant se brise (R. Martin du Gard, Devenir,1909, p. 201):
9. Le pinceau de l'ombre joue sur lui, l'efface, le rend équivoque ou menteur. Une ondulation imprécise enveloppe, comme une brume, la structure intérieure qui se dissimule et fléchit. Des parallélismes trop étroits, ou bien des mouvements trop excentriques raidissent ou désorbitent l'ensemble monumental. L'unité divague, ou se brise. Trop chargées, les branches cassent. Les rapports flottent et commencent à se nouer au hasard. É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 30.
2. [L'idée dominante est celle de la destruction d'une force matérielle ou morale] Se briser sur, contre.Le cœur se brise :
10. Et comme la force capitaliste sera dispersée par la nécessité même de surveiller le mouvement le plus étendu et le plus divers, comme notamment l'armée de répression sera disséminée, noyée dans le vaste flot, le prolétariat aura dissous l'obstacle où jusqu'ici il se brisait, et maître enfin du système social, il installera le travail souverain. Jaurès, Ét. socialistes,1901, p. 103.
3. [L'idée dominante est celle d'une interruption brusque; le suj. désigne un son ou un bruit] Un dernier « crescendo » comme un soupir d'extase, qui se brise brusquement sur l'avant-dernier accord, pour s'évanouir (R. Rolland, Beethoven,t. 1, 1928, p. 118):
11. ... Et ma voix chaque fois, dans mon sein repoussée, Se brisait en tronquant l'antienne commencée... Lamartine, Jocelyn,9eépoque, 1836, p. 769.
III.− Emploi intrans.
A.− Emploi subjectif. [Le suj. est un mot concr. désignant la mer, les flots, etc.; cf. II A 2] Ce sont les vagues qui brisent sur la grève (M. de Guérin, Correspondance,1834, p. 177).
Rem. Except. le suj. peut désigner un corps solide. Le navire alla briser contre un écueil (Ac. 1835-78).
B.− Emplois abs. [P. ell. du compl. d'obj.]
1. Emplois techn.
a) HÉRALD. Modifier par une brisure (cf. brisure B 1) l'écu d'une famille pour distinguer la branche cadette de la branche aînée ou la branche bâtarde de la branche légitime. Briser d'un lambel, d'une bordure de gueules (Ac. 1835-1932).
b) VÉN. Marquer la voie d'un animal avec des branches brisées. Briser bas (lorsque les branches sont arrachées et jetées sur le sol), briser haut (lorsque les branches restent pendues à l'écorce).
Rem. Attesté dans la plupart des dictionnaires.
2. Au fig. [Le suj. désigne une pers.] Briser avec qqn.Cesser ses relations avec lui. Synon. rompre avec qqn.
P. ext. [Le compl. introd. par avec est un mot abstr.] Briser avec des habitudes, des préjugés. Je brisais avec les illusions de ce monde (Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 75).
Rem. Sur le rad. de briser et avec la forme brise ont été formés plusieurs composés que relèvent les dict. (cf. aussi brise-bise*, brise-cou*, brise-jet*, brise-glace(s)*, brise-lames*) : a) [En parlant d'une pers.] Brise-scellé, subst. masc. ,,Celui qui brise les scellés apposés par l'autorité légale`` (Lar. 19e). Attesté aussi dans Littré (peu usité) et Nouv. Lar. ill. et Ac. 1798-1878; brise-cœur(s), subst. masc. Séducteur, séductrice qui fait souffrir. Attesté dans Rob. Suppl. 1970 qui cite un ex. de G. Chevalier (Clochemerle, p. 152) où le mot est empl. adj. : étant devenu un peu brise-visière et brise-cœur, par l'effet de son stage à la caserne. V. aussi casse-cœur*; brise-ménage, subst. masc., rare. Personne qui aime à détruire un ménage. Attesté dans Rob. Suppl. 1970 : Le chef n'est pas un brise-ménage (A. Sarrazin, La Cavale, 1965, p. 274). b) [En parlant d'appareils ou d'instruments] Brise-mariage, subst. masc., text. ,,Instrument utilisé dans les filatures, sur les métiers à tisser, pour empêcher les mariages ou fils doubles`` (Lar. encyclop.); brise-mottes, subst. masc., agric. Rouleau qu'utilisent les paysans pour écraser les mottes de terre soulevées par le soc de la charrue. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes.; brise-pierre, subst. masc., chir. Instrument pour briser la pierre dans la vessie. Synon. lithotriteur. Attesté dans Besch. 1845, Lar. 19e-20e, Littré, Quillet 1965; brise-soleil, subst. masc., archit. Dispositif formé soit d'un cadre muni de lamelles métalliques, soit d'éléments en béton avançant sur la façade d'un bâtiment pour protéger des rayons du soleil les baies vitrées. Attesté dans Lar. encyclop., Rob. Suppl. 1970 et Gilb. 1971; brise-vent, subst. masc., agric. ,,Clôture, abri, plantation destinée à garantir des arbres et des plantes de l'action du vent`` (Ac. 1835-1932) Brise-vent en fibres synthétiques tissées coloris vert (...) pour protéger les récoltes du vent, ombrer les balcons, loggias, patios (Catal. Manufrance, [1974], p. 824).
PRONONC. : [bʀize], (je) brise [bʀi:z]. Enq. : /bʀiz/ (il) brise.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Ca 1100 « mettre en pièces par un choc, un coup violent » (Roland, éd. Bédier, 1200); fig. a) 1214 briser la paix (Paix de Metz, Arch. mun. Metz dans Gdf.); ca 1274 briser un vœu (Berte aus grans piés, éd. A. Henry, 1375); xives. briser son arrest (Froiss., I, I, 154 dans Littré); b) xives. briser les courages (Bersuire, fo36 ro, ibid.); d'où 1541 brisé de terreur (Calv., Instit., 461, ibid.); c) xives. « faire cesser, mettre un terme à » (Froiss., Chron., IV, 215, Luce, ms. Rome dans Gdf.); d) 1718 « fatiguer, harasser » (Ac.); e) 1808 technol. briser de la laine (Boiste); 2. xiiies. vén. « marquer avec des branches coupées le passage des animaux » (Lambert Le Tort, A. de Bernay, Alexandre, leçon isolée du ms. H, éd. H. Michelant, p. 128, 20; cf. éd. Elliott Monographs, t. 2, II, 1013); 3. a) ca 1243 mar. « échouer » (Ph. Mousket, Chroniques, 22535 dans T.-L.); b) 1678 id. « (de la mer) déferler sur la côte » (Guillet, Les Arts de l'homme d'épée, 3epart., p. 70); 4. 1470 « interrompre brusquement » (Wavrin, Anch. Cron. d'Englet., II, 230 dans Gdf. Compl.); 1643 abs. brisons là (Corn., Othon, IV, 4 dans Littré). De *brisiare, forme postulée par l'a. fr. brisier et les formes ital. (Brüch dans Z. rom. Philol., t. 68, 1952, p. 289), prob. formé à partir du b. lat. brisare « fouler le raisin » (synon. de exprimere dans les Scholies de Perse, 1, 76 dans TLL s.v., 2194, 75; à rattacher au lat. brisa « raisin foulé, marc de raisin », très rare, Columelle, 12, 39, ibid., 2194, 2), peut-être p. anal. avec la finale de verbes comme *quassiare « mettre en pièces, briser » (forme dér. du class. quassare « secouer » et postulée par l'a. fr. caissier, xiies. dans T.-L.). Brisare est d'orig. obsc. Un rapprochement avec l'irl. brissim « je brise » (Ern.-Meillet, s.v. briso; FEW t. 1, p. 535a; Dottin, p. 237; v. aussi Thurneysen, pp. 93-94) fait difficulté du point de vue phonét., le verbe qui en serait issu devant être *brissier et non briser; l'hyp. d'une infl. de l'a. fr. bruisier « briser » pour expliquer en ce cas [z] au lieu de [s] attendu (Bl.-W.5) fait difficulté car brisier est antérieur à bruisier (av. 1167, Marie de France dans T.-L.); en outre l'orig. de bruisier est elle-même très obscure.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 3 986. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 076, b) 6 938; xxes. : a) 5 329, b) 3 986.
BBG. − Dauzat Ling. fr. 1946 (s.v. brise-pierre).Duch. 1967, § 15. − Ernout (A.), Meillet (A.). Dict. étymol. de la lang. lat. Paris, 1951 [Cr. Corominas (J.). Vox rom. 1953/54, t. 13, p. 373]. − Gottsch. Redens. 1930, p. 134, 217, 313, 330. − Hemming (T.D.). Lexicology and old French. Mod. Lang. R. 1968, t. 63, pp. 819-820. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 244. − Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 10, 285, 293; t. 3 1972 [1930], p. 256. − Tilander (G.). Brisier, bruisier. Romania. 1925, t. 51, pp. 105-111. − Thurneysen 1884, pp. 93-94.