| BRAQUER, verbe trans. A.− [L'obj. désigne une arme, un fusil] Pointer : 1. Au midi, Bazeilles conquis, vide et morne, finissait de brûler, jetant de gros tourbillons de fumée et d'étincelles; pendant que les Bavarois, maîtres de Balan, braquaient des canons, à trois cents mètres des portes de la ville.
Zola, La Débâcle,1892, p. 353. ♦ P. anal. [L'obj. désigne tout autre instrument qu'une arme (jumelles, lorgnettes, etc.)] Diriger : 2. Il l'arrête, braquant sur elle sa pipe en terre, tandis que ses joues vernissées prennent une teinte brique.
Bernanos, Nouvelle Histoire de Mouchette,1937, p. 1315. ♦ Arg. Mettre en joue : 3. Ce mec, qui la veille, (...) braquait à la rigolade deux encaisseurs (...) [s'effrayait, dans ce restaurant luxueux,] davantage de la truelle à poissons (...) que d'un calibre qu'on aurait pointé contre lui!
A. Simonin, Touchez pas au grisbi,1953, p. 179. − TECHNOL. [L'obj. désigne des pièces mobiles] Orienter en tournant : 4. Quand le semoir arrive au bout du rayage, l'homme décroche la chaîne (...) et fait tourner le semoir (...) en braquant l'avant-train...
T. Ballu, Machines agricoles,1933, p. 23. B.− P. métaph. ou au fig. 1. Au fig., fam. Braquer qqn.Le mettre dans de mauvaises dispositions, l'irriter : 5. Un parce que tout sec, catégorique, que ne suit nulle explication, voilà de quoi, certes irriter et braquer l'interlocuteur.
A. Arnoux, Visite à Mathusalem,1961, p. 126. ♦ Être braqué sur.Concentrer son attention sur. Braqué(e) sur ce malheureux manuscrit (S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 262). ♦ Être braqué contre.Adopter une attitude d'opposition butée et partisane. Braqué contre le communisme (Mauriac, Le Bâillon dénoué,1945, p. 434). ♦ Braquer qqn contre une pers., une chose. Lui faire adopter cette attitude d'opposition : 6. Thorez et Duclos, tant qu'ils tiendront le parti, braqueront contre lui, pour le grand bénéfice de la droite, tous ceux qui, dans la gauche française, ne renonceront jamais à l'indépendance nationale et à la liberté de l'esprit, et comme du vivant de Staline, la classe ouvrière demeurera confinée dans son ghetto.
Mauriac, Bloc-notes,1958, p. 277. 2. Emploi pronom., fam. Se braquer.S'entêter dans l'opposition, s'obstiner. Rem. On rencontre dans la docum. le part. passé adjectivé braqué. [En parlant des yeux, du regard] Fixé attentivement. Puis, un gros noir arrivait, haletant, comme un rapide entrant en gare, et tous les yeux braqués guettaient l'endroit où il allait tomber (Dorgelès, Les Croix de bois, 1919, p. 45). PRONONC. : [bʀake], (je) braque [bʀak]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1546 « faire tourner (le plus souvent un chariot, un véhicule) dans une certaine direction » (Rabelais, Le Tiers livre, éd. M. A. Screech, Genève, 1964, Prol., 108); 2. a) 1561 « diriger une arme vers l'objectif » (J. Grévin, Théâtre complet et poésies choisies, Paris, Classique Garnier, 1922, p. 346); b) 1930 arg. « mettre en joue (qqn) » (Esn.); 3. 1798 fig. braqué « (d'une pers.) prévenu contre, opposé à qqc. » (Ac.).
Étymol. obsc.; il semble cependant possible, en s'appuyant sur le doublet brater (dep. 1611, Cotgr.) et sur les formes dial. en partic. braster (Yonne) et brakhta (La Bresse) (FEW t. 1, pp. 484-485), de postuler un étymon b. lat. *brachitare « mettre en mouvement avec les bras », dér. de brachium « bras », avec suff. fréquentatif -itare sur le modèle de *movitare. L'alternance [k]/[t] de braquer / brater est difficile à expliquer; elle est, d'apr. FEW, loc. cit., comparable à celle de l'arg. fouquer « donner » (1596, Vie généreuse des Mercelots dans Sain. Sources Arg. t. 1, p. 147) pour foutre*. Bl.-W.5explique le fait par le caractère flottant de la prononc. des consonnes finales à l'époque de leur chute. L'hyp. d'une infl. de braque* (FEW, loc. cit., p. 485) n'est pas satisfaisante du point de vue sém.; celle d'une infl. de abraquer* ou de embraquer*, termes de mar., fait difficulté du point de vue chronol., ces mots n'étant attestés respectivement qu'en 1783 et 1687. L'hyp. d'un étymon ital. braccare « flairer » (REW3, no1268; Dauzat 1968, 2ehyp.) ne convient pas pour des raisons sémantiques. STAT. − Fréq. abs. littér. : 272. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 142, b) 506; xxes. : a) 423, b) 506. DÉR. Braqueur, subst. masc.a) Celui qui braque − Assez, vilain braqueur de lorgnettes (Morand, 1900,1931, p. 154).b) Arg. ,,Voyou qui joue du révolver`` (Esn. 1966). − 1resattest. 1931 braqueur de lorgnettes, supra; 1947 arg. « agresseur utilisant une arme à feu » (Esn.); dér. de braquer, suff. -eur2*. BBG. − Lew. 1960, p. 12, 16, 135, 156 (s.v. braqueur). − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 63. |