| BOULEVERSER, verbe trans. A.− [L'obj. désigne une chose concr. ou abstr.] Retourner, mettre sens dessus-dessous. Qui, dans sa vie, n'a pas, une fois au moins, bouleversé son chez-soi, ses papiers, sa maison (Balzac, La Duchesse de Langeais,1834, p. 200): 1. L'eau contenue dans la machine brisa la fonte, produisit un jet d'une puissance incommensurable, et se dirigea heureusement sur une vieille forge qu'elle renversa, bouleversa, tordit comme une trombe entortille une maison et l'emporte avec elle.
Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 243. SYNT. Bouleverser une armoire, un jardin, les montagnes; bouleverser des dossiers, les plans de qqn. − Emploi pronom. : 2. [Le curé :] − ... tout d'un coup j'ai senti sur ma tête que le ciel se bouleversait sous quelques énormes nageoires de feutre (...) rien ne se produisant, sinon toujours cette même nage de feutre, je relevais les yeux et je vis la plus belle escadre d'oies sauvages que j'ai jamais vue de ma vie.
Giono, L'Eau vive,1943, p. 282. B.− Au fig. Agiter, troubler, émouvoir profondément. 1. Péj. Là, tout vous remue à la fois. On est ébloui, étourdi, bouleversé, terrifié, charmé (Hugo, Le Rhin,1842, p. 398): 3. Tandis que cet ouragan de désespoir bouleversait, brisait, arrachait, courbait, déracinait tout dans son âme, il regarda la nature autour de lui.
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 408. − Emploi pronom. : 4. ... mon ami (...) ne sait pas encore ce que c'est que lui pour moi. Je ne puis, je le sens tous les jours davantage, exister en son absence; tout mon sang se bouleverse pour un courrier manqué, ...
Mmede Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1792, p. 25. 5. Un crime! Oh! ma tête s'égare et se bouleverse!
Hugo, Lucrèce Borgia,1833, III, 3, p. 175. Rem. Rare, fam. se ronger les sangs : 6. − Ton mari n'ira pas loin! S'il continue à se bouleverser de cette façon-là... Il maigrit chaque jour un peu plus...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 241. 2. Plutôt laudatif. Cet art divin, [la musique] cet art qui bouleverse l'âme, l'emporte, la grise, l'affole (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Un Fou?1884, p. 972): 7. Elle me ravageait le cœur. C'est une chose effroyable et délicieuse que de subir ainsi la domination d'une femme (...). (...), toutes les plus petites lignes de son visage, les moindres mouvements de ses traits, me ravissaient, me bouleversaient, m'affolaient.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Adieu,1884, p. 946. SYNT. Bouleverser une existence, les idées, les projets de qqn; bouleverser le cœur, l'âme, la vie de qqn; bouleverser un pays, la république, l'univers, le monde. − Absolument : 8. Avez-vous entendu ce travail du rossignol? Il peine. Il hésite. Il râcle. Il s'étrangle. Il s'élance et il retombe. Et soudain il trouve. Il vocalise. Il bouleverse.
Cocteau, Le Foyer des artistes,1957, p. 190. Rem. On relève dans la docum. le néol. bouleverseur, adj. Un esprit incertain, inquiet, bouleverseur du travail de la veille (E. et J. de Goncourt, Journal, 1888, p. 756); et aussi à la forme subst. Berlioz (...) un excentrique, un « bouleverseur » de la musique (J. G. Prod'homme dans H. Berlioz, Souvenirs de voyages, éd. 1932, Préface, p. 5). Prononc. : [bulvε
ʀse], (je) bouleverse [bulvε
ʀs]. Enq. : /bulveʀs/ (il) bouleverse. Étymol. ET HIST. − a) 1557 boulverser (les fondemens) (Belleau, Petites Inventions, Priere à Dieu − I, 173 − dans Hug.), graphie isolée; 1564 bouleverser (J. Thierry, Dict. fr.-lat., Paris) − 1611, Cotgr.; b) 1622 fig. pol. « mettre sens dessus dessous (un royaume) » (Caquets de l'Accouchée, 2ejournée, 85 dans IGLF Litt.); c) 1656-57 bouleverser (les consciences) « jeter le trouble (d'un point de vue moral) » (Pascal, Provinciales, 5, IV p. 310 dans IGLF Litt.).
Composé tautologique, formé de bouler* pris au sens de « renverser, abattre » et de verser* (Guir. Étymol., pp. 11-12). STAT. − Fréq. abs. littér. : 934. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 931, b) 1 039; xxes. : a) 1 752, b) 1 565. BBG. − Hagnauer 1968, p. 150. − Orr (J.). Qq. mises au point étymol. In : [Mél. Dauzat (A.)]. Paris, 1951, p. 247. |