| BOUGONNER, verbe. A.− Emploi intrans., fam. Grommeler, murmurer entre ses dents pour manifester sa mauvaise humeur. Synon. marmonner, marmotter, ronchonner : 1. La Teuse, qui était restée plantée à la même place, ramassa son écuelle et sa cuiller de bois, en bougonnant. Elle mâchait entre ses dents des paroles qu'elle accompagnait de grands haussements d'épaules.
Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1434. 2. Il est seul. On le rencontre qui marche par les champs en grommelant et en bougonnant.
Claudel, Tête d'or,1reversion, 1890, p. 35. 3. M. Lampre était bien obligé d'en convenir, mais il n'en continuait pas moins de bougonner. Ce petit homme de soixante-dix ans, bedonnant, à la mine empourprée, à la barbe sanglière, aux cheveux tout à fait blancs, était grognon mais complaisant et généreux.
Huysmans, L'Oblat,t. 1, 1903, p. 66. − P. métaph. : 4. ... les appas, Les soupirs, les baisers, ne s'inquiètent pas Si quelque orage couve, et si cette gorgone, La foudre, au loin, là-bas, à l'horizon bougonne.
Hugo, La Légende des siècles,L'Amour, t. 6, 1883, p. 229. ♦ Bougonner contre : 5. ... cet homme vigoureux, encore jeune, avait fait de brillantes campagnes au Soudan et à Madagascar; puis, brusquement, il avait envoyé tout promener, (...) passant ses journées à bouleverser ses plates-bandes, à étudier sans succès des exercices de flûte, à bougonner contre la politique, et à rabrouer sa fille, qu'il adorait...
R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 976. B.− Emploi trans. 1. Vx. Réprimander quelqu'un, chercher querelle à quelqu'un : 6. Il avait toujours la mine de mauvaise humeur, semblait vouloir intimider ses pratiques, bougonnait les gens qui entraient chez lui, et avait l'air plus disposé à leur chercher querelle qu'à leur servir la soupe.
Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 314. 2. Usuel. Dire en grommelant. a) [Pour introduire le discours dir.] :
7. Justin proteste avec rage. Jean-Paul Sénac baisse les yeux. Il se tait une minute et, bientôt, il recommence à bougonner dans sa moustache :
− Moi, je mange de la salade pour enlever le goût du gras. Faut-il encore qu'on l'ait, le goût du gras.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Désert de Bièvres, 1937, p. 188. b) [Avec un compl. d'obj. exprimant une idée de parole] :
8. Il (...) mit les mains dans ses poches en bougonnant des paroles indistinctes...
Colette, Chambre d'hôtel,1940, p. 67. 9. Joseph a bougonné des phrases assez vagues : « Tiens! voilà la maison de ces hurluberlus... »
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 118. Rem. On rencontre dans la docum. un part. prés. adjectivé bougonnant « enclin à bougonner ». ,,Du vieillard éducateur, au contraire, il savait beaucoup de choses : un esprit acharné à instruire, une largesse en cadeaux somptueux (...). La vie de l'enfant dépendait entière de celle-ci, sa vie présente et future, l'avenir de sa fortune. Caroline Cavrois, méticuleuse et triste, plutôt bougonnante, laide en outre, ne paraissait pas s'occuper de son pupille!`` (Adam, L'Enfant d'Austerlitz, 1902, p. 108). PRONONC. : [bugɔne], (je) bougonne [bugɔn]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1611 « exécuter un ouvrage de manière malhabile, bâcler » (Cotgr.), attest. isolée (jusqu'à Ac. 1798 : Bougonner. Gronder entre ses dents [...] Il est populaire), qualifié de ,,très-familier`` dans Ac. 1835 et de ,,familier`` dep. Besch.
D'orig. obsc., bougonner semble être un régionalisme. Cotgr. le signale comme ,,mot orléannois``; encore attesté au sens relevé par Cotgr. dans les dial. norm. (Dum.) et du Centre (Jaub.), tandis que les dial. vendéen, vendômois et cauchois attestent bougon dans des accept. qui font réf. à ce sens. L'hyp. est confirmée par le fait que la 1reattest. du mot (Cotgr.) est isolée jusqu'à la fin du xviiies. (où le mot n'est admis dans Ac. qu'avec la mention ,,populaire``) à rapprocher de l'angl. to bungle d'orig. onomatopéique (NED) attesté dep. 1530 chez Palsgrave qui le relève sous la graphie to bungyll et le glose fatrouiller c'est-à-dire « bâcler, faire hâtivement qqc. » (Palsgr., p. 461 et 472) et barbouiller « id. » (Ibid., p. 628). Le passage du sens de « faire » à celui de « dire » reste cependant inexpliqué. Un rapprochement avec le m. fr. bougon « tronçon », fr. mod. boujon* « outil à plomber » (EWFS2) ou boujonneur « juré du corps des drapiers qui marque les étoffes » (Littré) fait difficulté des points de vue sém. et phonétique. STAT. − Fréq. abs. littér. : Bougonner. 103. Bougonnant. 36. DÉR. 1. Bougonnade, subst. fém.Action de bougonner. ,,Quant au chevalier, une source de joie perpétuelle, avec ses chicanes, ses bougonnades!`` (J. Richepin, La Glu,1881, p. 209).(Attesté uniquement dans Guérin 1892 qui le donne comme néol.)− 1reattest. 1881 id.; dér. de bougonner, suff. -ade*. 2. Bougonnage, subst. masc.Action de bougonner. ,,Je commençais à bien me rendre compte, qu'elle me trouverait toujours ma mère, un enfant dépourvu d'entrailles, un monstre égoïste, capricieux, une petite brute écervelée... Ils auraient beau tenter... beau faire, c'était vraiment sans recours... sur mes funestes dispositions, incarnées, incorrigibles, rien à chiquer... (...). D'ailleurs pendant mon absence, ils s'étaient encore racornis dans leur bougonnage... ils étaient si préoccupés qu'ils avaient mes pas en horreur!`` (Céline, Mort à crédit,1936, p. 337).− 1reattest. 1936 id.; dér. de bougonner, suff. -age*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 323, 402. |