| BOUCHER1, verbe trans. I.− [Avec une idée d'emplissage] A.− [Le compl. d'obj. désigne un orifice, un creux souvent accidentel] Remplir, combler. Boucher un trou : 1. À l'étage supérieur, (...) on bouchait avec du plâtre les petits trous que les opérations précédentes avaient laissés.
Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 1, 1869, p. 250. 2. Il est possible que les Turcs, en convertissant la plupart des églises grecques en mosquées, aient fait combler ou boucher des cryptes...
A. Lenoir, Archit. monastique,t. 1, 1852, p. 360. − P. métaph. : 3. Mathématiciens, physiciens, philosophes et politiques ont, tous, les yeux hors de la tête; au lieu d'ouvrir des passages, ils bouchent tous les trous. « Avec un sac de plâtre, disait le maçon, on fait tenir pour dix ans une maison qui branle ». Ainsi, confondant les métiers, les penseurs plâtrent et replâtrent, ...
Alain, Propos,1931, p. 990. 4. L'autre [Rodolphe] continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion.
Flaubert, Madame Bovary,t. 2, 1857, p. 207. 5. ... eux-mêmes baptisaient du mot monstres leurs vers à l'état d'ébauche et de premier jet et où les trous sont bouchés avant la reprise et le parfait achèvement du travail par des mots sans signification.
E. et J. de Goncourt, Journal,1890, p. 1168. 1. Emplois spéc., DR., vieilli. Boucher les vues d'une maison. ,,Murer celles de ses fenêtres qui voient de trop près sur une propriété voisine, contrairement à la coutume, à la loi`` (Ac. 1835-1932). Rem. Également attesté dans Besch. 1845, Lar. 19e-20e, Guérin 1892 et Quillet 1965. − MAR. Boucher une voie d'eau. Synon. Aveugler* une voie d'eau : 6. Le rocher, jusqu'à un certain point, bouchait l'avarie et gênait le passage de l'eau. Il faisait obstacle. L'ouverture désobstruée, il serait impossible d'aveugler la voie d'eau et de franchir les pompes.
Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 207. − TECHNOL. [Chez les doreurs] Boucher d'or moulu. ,,Réparer les ouvrages qui ont quelque petit défaut après avoir été brunis`` (Littré). Rem. Également attesté dans Besch. 1845, Lar. 19e, Nouv. Lar. ill. et Guérin 1892. 2. Loc. fig. Boucher un trou a) Remplir une place restée inoccupée ou devenue vacante (cf. bouche*-trou) : 7. Impossible de l'oublier, on l'a trop vu; il habite dans l'imagination de chacun, (...) la maîtresse de la maison le trouve sous sa plume quand, dans sa liste d'invités, elle a besoin de boucher un trou.
Taine, Notes sur Paris,Vie et opinions de M. F.-T. Graindorge, 1867, p. 183. 8. Madame de Gueldre fit de son mieux pour boucher les nombreux trous de la conversation languissante.
Gyp, Une Passionnette,1891, p. 240. 9. Je suis en train de déjeuner. On sonne. C'est le jeune Simond qui me sollicite pour boucher le trou que fait à l'Echo la désertion de Mendès et de Silvestre.
E. et J. de Goncourt, Journal,1895, p. 784. ♦ P. transpos. abstr. : 10. Quelle digne femme que cette mère abandonnée, qui ne demandait rien, qui ne voulait rien accepter, qui était toute bardée de fierté blessée... et repinçait le gosse, en douce pour boucher les silences.
H. Bazin, La Part du pauvre,1954, p. 11. b) Payer, rembourser une dette : 11. 333 000 fr. de droit d'auteur, cela bouchera juste tous les grands trous. Je n'aurai plus qu'à entamer le remboursement de ma mère, et après, ma foi, je serai bien à l'aise.
Balzac, Correspondance,1833, p. 393. B.− P. ext. 1. [Le compl. d'obj. désigne une ouverture aménagée dans un bâtiment] Fermer : 12. La fenêtre, un volet la bouche;
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T. Gautier, Émaux et camées,1852, p. 63. 2. [Le compl. d'obj. désigne qqc. qui est vide ou qui apparaît comme tel] a) [Dans l'organisme] En boucher un coin (pop.). Remplir l'estomac, le charger. − P. métaph. : 13. Pour les repas de corps, les noces, les festins,
La Revue des deux mondes
Peut en boucher deux coins aux pires intestins,
Ou le ciel me confonde!
Ponchon, La Muse au cabaret,1920, p. 119. − Emploi pronom. d'aut. : 14. Manger ... c'est s'approprier par destruction, c'est en même temps se boucher avec un certain être.
Sartre, L'Être et le Néant,1943, p. 706. − Fig. En boucher un coin, une surface à qqn. Le remplir d'étonnement : 15. « Oh! Ben alors! ... Oh! Ben alors! ... » Il était couillonné le gendarme de retrouver un piston pareil... « Ah! Ça c'est un particulier! ... » Il savait pas quoi conclure... ça lui en bouchait plusieurs coins...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 673. b) [Concerne l'espace] Occuper. Le salon était plein ... des hommes, immobiles le long des murs, bouchaient les intervalles (Zola, Une Page d'amour,1878, p. 893): 16. Sur les pins plantés pour boucher les vides, les pousses de 1933 ont été rongées par les lapins alors qu'elles émergeaient de la neige, ...
Larbaud, Journal,1934, p. 304. 17. Sa beauté rayonnait sur un monde trop grand pour mon cœur et où ma place n'était prévue que pour boucher un coin, ...
J. Bousquet, Traduit du silence,1936, p. 243. − Partic., néol. [Dans le domaine des phénomènes atmosphériques] Couvrir, obscurcir : 18. Philippe ne se remet pas tout de suite à faucher. Il souffle un peu, appuyé sur la faux, regarde si le temps ne menace pas, si des nuages ne bouchent pas l'horizon...
Renard, Nos frères farouches,1910, p. 186. ♦ P. métaph. : 19. ... au lieu d'emplir le siècle de lumière, il [Hugo] a failli le boucher de la masse épaisse de sa rhétorique.
Zola, Doc. littér.,Études et portraits, 1881, p. 70. ♦ Emploi pronom. à sens passif [Le sujet désigne le ciel] Se couvrir, se charger de nuages, s'obscurcir. P. méton. [Le sujet désigne le temps] Se couvrir, devenir mauvais. Le temps va se boucher (Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 241): 20. Le ciel se bouchait de plus en plus. Une cavalerie de nuages galopait dans le jour tombant, en suivant les crêtes : du mauvais temps pour le lendemain.
Pourrat, Gaspard des Montagnes,La Tour du Levant, 1931, p. 267. − Au fig. Mais tout ce qu'il disait prenait un air faux, dit pour boucher du vide (Pourrat, Ibid.,1931, p. 84): 21. D'ailleurs, les rayons poussaient toujours, on en avait essayé deux nouveaux en décembre, afin de boucher les vides de la morte-saison d'hiver : ...
Zola, Au bonheur des dames,1883, p. 789. 22. Pour boucher bien vite cette lacune, je dirai très vite qu'aussitôt sorti du « dépôt » des Petits-Carmes, je fus mis, dans la même prison, en cellule, ...
Verlaine, Mes prisons,1893, p. 382. II.− [Avec une idée d'obstacle] A.− Faire obstacle au passage de quelque chose, en partic. d'un liquide. 1. [Le compl. d'obj. désigne une bouteille, un flacon...] Introduire un bouchon* dans le goulot. Boucher une bouteille. Boucher un flacon à l'émeri* (cf. bouchon* à l'émeri également) : 23. Ayant rempli d'eau bouillante un flacon d'un litre, puis l'ayant hermétiquement bouché, il le renverse sur une cuve à mercure; l'eau une fois refroidie, il le débouche sous le métal, pour y introduire un demi-litre d'oxygène pur...
J. Rostand, La Genèse de la vie,1943, p. 84. − P. anal. : 24. Je compte, au contraire, obstruer ce déversoir à son orifice, le boucher hermétiquement, ...
Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 171. 2. [Le sujet désigne une chose, le compl. d'obj. désigne un tuyau, une conduite, une canalisation...] Engorger, obstruer en gênant ou empêchant le passage de qqc., en partic. d'un liquide. Le chauffeur, (...) dit que le sable avait dû boucher le carburateur (Camus, L'Exil et le royaume,1957, p. 1560). ♦ P. métaph. : 25. ... enfin tout ce qui peut servir aux hommes, au lieu de leur boucher l'esprit, de les rendre superstitieux et de les aider à tuer le temps.
Erckmann-Chatrian, Hist. d'un paysan,t. 2, 1870, p. 388. 26. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent.
A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 430. − Emploi pronom. à sens passif : 27. − Jamais contents les locataires, on dirait des prisonniers, faut qu'ils fassent de la misère à tout le monde! ... C'est leurs cabinets qui se bouchent... Un autre jour c'est le gaz qui fuit... C'est leurs lettres qu'on leur ouvre! ...
Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 334. ♦ P. métaph. : 28. Vainement, Pierre s'efforça de l'instruire [le cardinal Sarno] de l'émouvoir, désolé de le sentir si fermé, si indifférent. Et il s'aperçut que cette intelligence, vaste et pénétrante dans le domaine où elle évoluait depuis quarante ans, se bouchait dès qu'on la sortait de sa spécialité.
Zola, Rome,1896, p. 275. − Spéc., MÉD. [Le compl. d'obj. désigne un canal, un conduit naturel de l'organisme] Synon. oblitérer* : 29. Les rapports anatomiques des fosses nasales et de l'arrière-gorge avec le conduit lacrymal permettent de rendre compte des divers accidents, (...) Rien ne prouve le moins du monde qu'il y eût carie; il y avait le conduit naturel que bouchait un obstacle incomplet, et cet obstacle cédait en partie si l'on pressait. De tels cas sont assez simples.
Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 114. 30. Un soir, à Mürren, par exemple. Au pied de la montagne, on boit vite une bière froide qui vous fracasse les tempes à bout portant. Le funiculaire part entre les mûriers. Peu à peu, les oreilles se bouchent, le nez se débouche; on arrive.
Cocteau, Le Grand écart,1923, p. 11. 31. Tant que l'expectoration peut libérer l'arbre bronchique des mucosités qui le bouchent, et tant que le cœur tient, l'animal peut vivre calmement et avec un exercice très modéré.
E. Garcin, Guide vétér.,1944, p. 99. ♦ Emploi pronom. à sens passif : 32. La phlébite, surtout visible à la jugulaire, se traduit par un engorgement chaud et douloureux sur une partie du trajet de la veine au bord inférieur de l'encolure. Au niveau de la plaie de saignée apparaît un peu de suppuration. Dans les cas graves, la veine peut se boucher complètement par un caillot assez long qui remonte vers l'auge.
E. Garcin, Guide vétér.,1944p. 193. B.− P. anal. avec l'emploi supra II A 2 1. [Le compl. d'obj. désigne une voie de circulation] Encombrer, barrer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose ou de quelqu'un : 33. ... il se produit alors comme un reflux dans toute la ligne, les bêtes épouvantées se pressent, s'empilent; non-seulement la rue est barrée, mais elle est bouchée, et l'on a devant soi une sorte d'obstacle confus, hérissé de jambes, surmonté de têtes, ...
Fromentin, Un été dans le Sahara,1857, p. 141. 34. ... comme la Méchain bouchait la porte, il [Saccard] dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir.
Zola, L'Argent,1891, p. 313. 35. Les soldats de Crucha, s'étant retirés à la hâte, bouchèrent avec des quartiers de roches toutes les issues du monastère...
A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 144. 36. Un défilé d'hurluberlus (...) il en surgissait toujours d'autres! ... Ils bouchaient la circulation.
Céline, Mort à crédit,1936, p. 531. 37. Pour les corps pesants, opaques, ceux qui vous bouchent l'entrée du métro ou vous froissent les côtes les soirs de feu d'artifice, je me fie à peu près [dans les statistiques] aux fonctionnaires de dénombrement...
A. Arnoux, Paris-sur-Seine,1939, p. 126. − P. métaph. ♦ Boucher la voie, les routes ... à qqn. Semer, sur son chemin, des obstacles qui rendent sa progression difficile ou impossible : 38. Je ne connaissais qu'eux. Ils me fermaient l'horizon, ils me bouchaient le ciel, le cœur, toutes les avenues de la vie.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Vue de la Terre promise, 1934, p. 240. 39. Ne vous obstinez pas dans ma direction; vous vous y épuiseriez. (...). Mais, si cette voie-là vous est bouchée, elle n'est pas la seule.
Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 931. ♦ Boucher les issues à qqn. Lui fermer toute possibilité de faire quelque chose : 40. La période qui suivit fut pour Rambert à la fois la plus facile et la plus difficile. C'était une période d'engourdissement. Il avait vu tous les bureaux, fait toutes les démarches, les issues de ce côté-là étaient pour le moment bouchées.
Camus, La Peste,1947, p. 1306. ♦ Boucher (une carrière). Encombrer (une carrière) et en gêner ou en empêcher l'accès : 41. Nous sommes inondés de fils, enfin! On ne voit que cela : ils bouchent toutes les carrières; ce sont des survivances qui barrent tout... C'est que les mœurs, voyez-vous, défont terriblement les lois...
E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 229. Emploi pronom. à sens passif : 42. Puis toutes les carrières s'encombrent et se bouchent par cette vulgarisation des aptitudes, des capacités. Un jour viendra où il n'y aura plus que des têtes, des plumes. Nous marchons à n'avoir plus de bras...
E. et J. de Goncourt, Journal,1861, p. 871. ♦ Boucher l'avenir (à qqn). Lui borner ou lui fermer ses perspectives d'avenir : 43. − C'est trop fort, grondait-il. On dirait que tout complote pour m'empêcher de percer, de prendre mon vol, de débuter avec éclat. On dirait que tout le monde se ligue pour me boucher l'avenir. Et voilà pourtant un bouquin qui devrait partir tout seul avec son titre épatant : le vent dans les voiles.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 196. Emploi pronom. à sens passif : 44. Un homme ... n'a pas le droit, sous peine de se boucher l'avenir, d'accepter certaines fonctions subalternes; il s'y dévalorise...
A. Arnoux, Roi d'un jour,1956, p. 202. 2. [Le mot est utilisé pour signifier qu'il est fait obstacle, dans les emplois concrets, au passage de qqc. jusqu'aux sens, et, dans les emplois figurés, au passage de qqc. jusqu'à la conscience] .
a) Boucher la vue. Faire obstacle, faire écran au regard; empêcher de voir : 45. Maintenant, (...) on voyait une immense éclaircie, un coup de soleil et d'air libre; et, à la place des masures qui bouchaient la vue de ce côté, s'élevait, sur le boulevard Ornano, un vrai monument, ...
Zola, L'Assommoir,1877, p. 737. ♦ Au fig. : 46. Il s'agissait de bien faire tourner l'enquête : poser surtout Gilbert en victime et boucher ainsi la vue de ceux qui voudraient regarder le passé de trop près.
Pourrat, Gaspard des Montagnes,La Tour du Levant, 1931, p. 263. − Boucher les yeux de qqn (fig.). L'empêcher de s'apercevoir de quelque chose, lui masquer la réalité, l'aveugler : 47. [Josépha :] − ... Y a-t-il un de vous qui ait assez aimé une femme ... pour se laisser si bien bander les yeux qu'il n'ait pas pensé qu'on les lui bouchait afin de l'empêcher de voir le gouffre où ... on l'a lancé.
Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 375. 48. Oh, quand j'étais dans ce pays, avec une figure où tous les passants pouvaient me lire et ma voix qui muait, et mes désirs qui me bouchaient les yeux... comme j'étais peu le maître de moi-même, et comme j'étais inconscient même de mon esclavage!
Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 299. ♦ Emploi pronom., au fig. Se boucher les yeux. Refuser de voir les choses telles qu'elles sont : 49. C'était là l'évidence. Bien entendu, on pouvait toujours s'efforcer de ne pas la voir, se boucher les yeux et la refuser, mais l'évidence a une force terrible qui finit toujours par tout emporter.
Camus, La Peste,1947, p. 1357. − P. méton. Boucher le jour. Le masquer, faire écran au passage de la lumière : 50. ... pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe seul restait debout, devant la fenêtre, dont il bouchait le jour, de ses larges épaules.
Zola, La Terre,1887, p. 26. ♦ Au fig. Boucher l'horizon : 51. Mais le pire, quand on habite une prison sans barreaux, c'est qu'on n'a pas même conscience des écrans qui bouchent l'horizon.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 277. b) Boucher ses oreilles (à qqc.). Les obturer avec ses doigts, sa main (pour ne pas entendre quelque chose). Fig. Ne pas vouloir entendre pour ne pas savoir; vouloir ignorer : 52. François ne pouvait se mentir plus longtemps, ni boucher ses oreilles à la rumeur qui montait.
Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel,1923, p. 86. Rem. Noter, sur ce modèle, un emploi d'aut. boucher son âme : 53. Il [l'artiste moderne] peint, il peint; et il bouche son âme, et il peint encore jusqu'à ce qu'il ressemble enfin à l'artiste et à la mode...
Baudelaire, Curiosités esthétiques,1867, p. 219. − Au fig., emploi pronom. Se boucher les oreilles : 54. ... mais elle fermait les yeux, elle se bouchait les oreilles, elle voulait ignorer la conduite de son mari au dehors.
Balzac, La Cousine Bette,1847, p. 24. ♦ [Sur ce modèle] Rare : 55. Dans la cuisine chaude où Léonie me bousculait tendrement, je me défendais de ces mauvais souvenirs, j'aurais voulu me boucher la mémoire.
Aymé, Le Vaurien,1931, p. 186. 56. Parce que tu le veux bien que tu te bouches l'oreille, l'intelligence et la bonne foi, que tu te prêtes bénévolement à cette élasticité commode à l'espace.
A. Arnoux, Le Seigneur de l'heure,1955, p. 75. Rem. Les expr. se boucher les yeux et se boucher les oreilles, qui rendent compte d'un même état d'esprit (refus de savoir, refus de la réalité, de l'évidence) se rencontrent associées : 57. Mais c'est le contraire, c'est exactement le contraire qui me frappe si fort. C'est notre immense bonne volonté à nous boucher les yeux et les oreilles. C'est notre lutte désespérée contre l'évidence.
Saint-Exupéry, Pilote de guerre,1942, p. 308. c) Boucher son nez, ses narines. Pincer son nez, comprimer ses narines, pour ne pas respirer quelque odeur désagréable. ♦ P. métaph. : 58. ... mais la ferveur extasiée, l'aventure révolutionnaire ou religieuse bouchent les narines et rendent insensibles à la puanteur...
A. Arnoux, Roi d'un jour,1956, p. 120. ♦ Emploi pronom. Se boucher le nez P. métaph. : 59. Diable! Je n'ai rien de la vieille dame sentimentale, je veux regarder la réalité en face, et sans me boucher le nez, si elle pue.
Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 146. Rem. On rencontre dans la docum. les composés a) Bouche-bouteilles, subst. masc. inv., néol., technol. Machine servant à effectuer le bouchage des bouteilles (cf. R. Brunet, Le Matériel vinicole, 1925, p. 496; Lar. encyclop. et Quillet 1965 qui écrit bouche-bouteille, subst. masc.; cf. d'autre part boucheur*). b) Bouche-four, subst. masc., technol. Synon. de bouchoir* (cf. L. Vincent, George Sand et le Berry, 1919, p. 356). c) Bouche-nez, subst. masc. inv., mét. : ,,Masque de cuir percé de trous et quelquefois recouvert de filasse que, dans certaines fabrications ou manipulations, les ouvriers se mettent sur le visage pour se garantir contre les émanations dangereuses`` (Guérin 1892; également attesté dans Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e, Littré, Nouv. Lar. ill. et Quillet 1965). d) Bouche-œil, subst. masc., fam., rare. ,,Somme d'argent que l'on donne à quelqu'un pour obtenir de lui qu'il ferme les yeux sur quelque chose, pour acheter son silence, sa complicité...`` Pour ne pas voir, il faut ou se boucher les yeux, ou avoir reçu un bouche-œil (L. Daudet, L'Avant-guerre, 1913, p. 211) (attesté dans Lar. Lang. fr. et comme terme arg., sous la forme bouche(-)l'œil dans Larch. 1880 : ,,Pièce de cinq, dix ou vingt francs dans l'argot des filles qui font allusion à la pantomime de certaines enchères`` et dans Esn. 1965 : ,,C'est une pantomime, pour se faire ouvrir une porte, de se poser une pièce d'or sur la paupière (campagnards, soldats, 1erEmpire)``. e) Bouche-pores, subst. masc. inv., néol., technol. : ,,Préparation à base de gomme − laque et de matières plastiques, destinée au remplissage des pores du bois avant vernissage, des rainures de parquet, etc.`` (Duval 1959; cf. également Ch. Coffignier, Couleurs et peintures, 1924, p. 744; Lar. encyclop. qui enregistre de plus bouche-porage : ,,Phase du vernissage du bois`` et bouche-porer : ,,Pratiquer le bouche-porage``). PRONONC. : [buʃe]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. a) Ca 1275 bouchiés (J. de Meung, Rose, éd. Fr. Michel, 4301 dans T.-L.); b) 1694 boucher la vue à quelqu'un « faire écran » (Ac.); 2. ca 1610 fig. se boucher les oreilles « ne pas vouloir entendre » (Régnier, Satires, II dans Littré); 3. a) 1690 part. passé adjectivé, fig. esprit bouché « esprit borné, obtus » (Fur.); b) av 1755 « (d'une pers.) inintelligent » (Saint-Simon, Mémoires, éd. Cheruel, t. IX, p. 141 dans Fr. mod., t. 17, p. 219).
Dér., avec dés. -er, de l'a. fr. bousche « poignée de paille, fagot », attesté lui-même dep. 1461 au sens de « botte de chanvre » (Gdf.) et dès la 1remoitié du xives. par son dér. bouchon*; bousche est issu du lat. vulg. *bosca « broussailles, faisceau de branchages », plur. neutre, à côté du masc. plur. *bosci, v. bois. STAT. − Fréq. abs. littér. : 568. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 413, b) 976; xxes. : a) 1 152, b) 846. BBG. − Brüch 1913, p. 61. |