| BOITEUX, EUSE, adj. et subst. I.− Emploi adj. A.− [En parlant d'un animé, d'un inanimé relatif à la marche, parfois d'une collectivité] Qui boite, (qui est) atteint de claudication. Jument (...) borgne et boiteuse (A. France, Le Miracle du Grand Saint Nicolas,1909, p. 89). − P. métaph. : 1. L'horloge, c'est le Juif Errant. Écoutez ce pas boiteux, et lent, et fatigué, qui ne s'arrête jamais.
Renard, Journal,1897, p. 437. − Au fig. [En parlant d'un inanimé abstr., parfois d'une collectivité, d'un animé] Mal fait, qui va de travers intellectuellement, moralement, dans les actes. Paix boiteuse. C'est aux esprits impurs, sourds, aveugles, boiteux, qu'Il [le Christ] se signale (Claudel, Un Poète regarde la Croix,1938, p. 26). B.− P. anal. 1. [Avec le mouvement de claudication; en parlant d'un animal qui vole ou qui rampe; d'un élément naturel; d'un inanimé concr., en partic. d'un meuble, d'une voiture] Des chaises boiteuses, (...) des fauteuils manchots (Balzac, Le Curé de village,1839, p. 54). − Loc. fig. Pas de pitié pour les canards boiteux. Pas de pitié pour ceux qui ne le méritent pas, sans égard pour personne : 2. Pourquoi Dupont (...) m'avait-il sorti du pétrin? (...) peut-être ne m'avait-il enfoncé la tête sous l'eau que pour avoir l'occasion de me sauver? (...) Pas de pitié pour les canards boiteux!
P. Vialar, Le Bon Dieu sans confession,1953, p. 111. 2. [Avec l'apparence que le mouvement de claudication donne à un animé; en parlant d'un inanimé concr.] Synon. de dissymétrique : 3. La cour du Cheval Blanc, malgré l'escalier original et grandiose, malgré le noble et fier portail inscrit du nom de Charles IV, est boiteuse par l'inégalité déplaisante des deux ailes : ...
Michelet, Journal,1857, p. 373. − Spécialement a) IMPR. [En parlant d'une colonne imprimée, d'une ligne, d'une page] Qui est plus court que les autres (cf. E. Leclerc, Nouv. manuel complet de typogr., 1932, p. 170, 203). b) LITT. [En parlant d'une œuvre, d'un genre littér., d'une structure, d'une phrase, d'un vers, etc.] Qui manque de symétrie, d'harmonie, qui ne suit pas les normes habituelles. Un livre de composition boiteuse et de style incorrect (Zola, Les Romanciers naturalistes,Stendhal, 1881, p. 102). c) MUS. [En parlant d'un son, d'une note, d'un air, d'un motif, etc.] Discordant, irrégulier. Rythmes boiteux et instables (cf. Ch. Lalo, Esquisse d'une esthétique musicale sc., 1908, p. 145). d) TEXT. [En parlant d'un châle, d'un ruban] Dont les deux extrémités sont différentes par le dessin, la broderie, la couleur. Aimez-vous (...) ce cachemire boiteux? (P. Borel, Champavert,M. de l'Argentière, l'accusateur, 1833, p. 26). II.− Emploi subst. A.− Celui, celle qui boite. Est-il vrai (...) / Que vous apparaissez aux borgnes, aux boiteux? (Cocteau, Poèmes,1916-23, p. 173). − P. métaph. : 4. Les mots de qualité, les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de leurs grottes exquises
Faisant la bouche en cœur et ne parlant qu'entre eux,
J'ai dit aux mots d'en bas : Manchots, boiteux, goîtreux!
Redressez-vous...
Hugo, Les Contemplations,Quelques mots, t. 1, 1856, p. 153. − Au fig. Personne faible, imparfaite, privée de certaines facultés intellectuelles, morales : 5. Nous sommes convenus de nous laisser guider par des boîteux, plutôt que de risquer à tomber avec des hommes de talent.
Balzac,
Œuvres diverses,t. 2, 1850, p. 71. − Loc. proverbiales 1. (Il faut) attendre le boiteux. (Il faut) attendre que soit confirmée une nouvelle, que se présente une occasion (lesquelles viennent souvent lentement, comme marche un boiteux). 2. Il ne faut pas clocher devant les (le, un) boiteux. Il ne faut pas dire ou faire quelque chose qui rappelle à quelqu'un un défaut physique. Rem. Loc. attestées dans la plupart des dict. gén. du xixeet du xxesiècle. B.− P. anal. 1. CHARPENT., boiteuse, subst. fém. Pièce de bois dont une extrémité est scellée dans un mur et l'autre dans un chevêtre. Rem. 1. Attesté dans la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes. 2. Lar. 19e, Lar. encyclop., Guérin 1892 et DG en font une vedette partic., sous la forme boîteuse. 2. MUS. et DANSE, vx. Ancienne danse allemande et air sur lequel on la dansait. Rem. Attesté dans Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e, Littré, Guérin 1892. Prononc. ET ORTH. : [bwatø], fém. [-ø:z]. Orth. boîteux, boîteuse (cf. p. ex. Musset, Revue des Deux-Mondes, 1833; E. et J. de Goncourt, Manette Salomon, 1867, p. 401; Colette, La Vagabonde, 1910, p. 290). Étymol. ET HIST. − 1226 boistous (Cens Paraclet, fo14 vo, A. Aube dans Gdf. Compl.); 1268 boisteuse (Claris et Laris, 11758, dans T.-L.); av. 1580 les ames boiteuses (Montaigne, 1, 150 dans Littré).
Dér. de boîte*, « cavité d'un os »; suff. -eux*. STAT. − Fréq. abs. littér. : 470. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 568, b) 841; xxes. : a) 791, b) 587. BBG. − Rog. 1965, p. 96, 109. |