| * Dans l'article "BLÉ,, subst. masc." BLÉ, subst. masc. A.− AGRIC., BOT. 1. Céréale annuelle, de la famille des graminées, à épi composé, contenant les grains, qui, broyés, donnent la farine utilisée pour faire le pain. Blés mûrs; grain de blé; battre le blé. Synon. froment; anton. ivraie : 1. On donne trois façons à la terre pour les Bleds de mars ou Varte? à la fin de janvier, on herse en février, puis on laboure une seconde fois du 10 au 25 mars, et on sème. Les bleds de mars sont les bleds trémois, l'orge et l'avoine.
Chênedollé, Journal,1823, p. 122. 2. En compagnie des Alibert, au milieu des blés, le front bas j'ahanais avec persévérance et à pleins poumons j'aspirais dans les colonnes de chaleur montante le souffle de la glèbe saine et la force du sol. Le blé était beau, odorant de phosphore et il crépitait. Les pointes piquaient ma poitrine nue, et quand la lame de la faux tranchait la paille, quelquefois un paquet de grains trop mûrs tombait de l'épi.
Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 141. Rem. 1. Attesté dans les dict. gén. à partir de Ac. 1798. 2. Noter graphie bled ex. 1. SYNT. a) Blé d'automne, d'hiver, de printemps, de mars, de Pologne; blé avrillet (Du Camp, Mémoires d'un suicidé, 1853, p. 206); blé barbu (attesté dans Besch. 1845 et Guérin 1892); blé tendre, dur, amidonnier, épeautre. b) Brouissure, brûlure, nielle, rouille du blé (Hist. gén. des sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 540); balle de blé; terre à blé. c) Semer, faucher, moissonner, vanner le blé; le blé lève, mûrit. − Loc. proverbiales a) Manger son blé en herbe. Dépenser par avance un revenu attendu; p. ext., jouir par anticipation d'un plaisir attendu : 3. Que l'objet convoité soit en effet une femme ou un homme, même à supposer que l'abord soit simple, et inutiles les marivaudages qui s'éterniseraient dans un salon (du moins en plein jour), le soir (même dans une rue si faiblement éclairée qu'elle soit), il y a du moins un préambule où les yeux seuls mangent le blé en herbe, où la crainte des passants, de l'être recherché lui-même, empêchent de faire plus que de regarder, de parler. Dans l'obscurité, tout ce vieux jeu se trouve aboli, les mains, les lèvres, les corps peuvent entrer en jeu les premiers.
Proust, Le Temps retrouvé,1922, p. 834. b) Bon champ semé, bon blé rapporte. Sa bonne éducation est profitable (attesté dans Nouv. Lar. ill., Rob.). − P. anal. a) [Avec la couleur des blés mûrs] Blond, doré comme les blés : 4. Quand je te regarde et quand je me vois, je ne sais plus pourquoi tu m'aimes en retour. Tes cheveux sont blonds comme des épis de blé; les miens sont noirs comme des poils de bouc. Ta peau est blanche comme le fromage des bergers, la mienne est hâlée comme le sable sur les plages.
Louÿs, Aphrodite,1896, p. 60. b) [Avec la dimension du grain de blé] Gros comme un grain de blé : 5. Nous distribuons − sur les genoux, dans le creux du tablier, − des tuyaux de paille coupés menu, de la dimension d'un grain de blé, et des bouts de fil; nous montrons à faire des bagues, des chaînes de montre, des bracelets. La coquetterie séduit même les mioches de deux ans; tous s'appliquent, − à langue tirée.
Frapié, La Maternelle,1904, p. 178. 2. P. méton. a) [Le plus souvent au plur.] Champ de blé. Se cacher, se coucher dans les blés : 6. Non, madame. Je crois inutile de vous apprendre le moyen que j'ai choisi pour attraper le maraudeur... Qu'il vous suffise de savoir ceci : je ne lui conseille pas de folâtrer dans les blés que voilà, comme il le fait depuis qu'il est venu, je ne sais d'où, s'établir dans mon voisinage.
Crémieux, Orphée aux enfers,1858, I, 2, p. 12. − P. métaph. (p. compar. avec la mer, l'eau). Flots des blés, mer de blé; blés tempétueux, tumultueux : 7. Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l'océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape
Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.
Péguy, La Tapisserie de Notre-Dame,1913, p. 676. − Loc. proverbiales. Être pris comme dans un blé. Être pris sans pouvoir s'échapper (attesté de Ac. 1798 à Lar. Lang. fr., ce dernier mentionnant ,,vx``). b) Le grain de la céréale séparé de l'épi. Cours du blé; prix du blé; halle au blé; sac, tas de blé; picorer, vendre le blé : 8. Heures tristes où il semble qu'on travaille dans un tunnel glacé.
Il ne reste que du blé pur dans le van, comme la perle dans la coquille.
Renard, Journal,1896, p. 348. 9. Pour l'intérieur, les deux présidents se sont engagés à déployer l'effort maximum pour obtenir de l'office du blé le fonctionnement du ravitaillement et l'équilibre de son budget.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 364. SYNT. a) Grenier à blé; boisseau, hectolitre de blé; pain de blé; engranger le blé. b) Maladies et parasites du grain : calandre, charançon du blé, moucheture du blé : 10. On croyait deviner qu'il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu'il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d'une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les héberges et dans les maisons, de l'orviot en fleur.
Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 205. − Loc. proverbiales. Crier famine sur un tas de blé. Proclamer sa pauvreté alors que l'on se trouve dans la richesse (attesté dans tous les dict. gén. à partir de Ac. 1798).C'est du blé en grenier. C'est une chose dont la possession est profitable (attesté de Ac. 1798 à Ac. 1932). Rem. Le blé est très utilisé dans le domaine de la gastr. pour ses propriétés nutritives; il est consommé en potages, bouillies (cf. Ac. Gastr. 1962, Mont. 1967). Potage de blé vert (E. et J. de Goncourt, Journal, 1882, p. 157). 3. P. ext. Graminée ou plante autre que le blé proprement dit. Grands blés. Seigle, froment; petits blés. Orge et avoine; blé noir, ou blé sarrasin. Sarrasin. Galette, pain de blé, crêpes de blé noir cuites sur un feu d'ajoncs. (Proust, La Prisonnière,1922, p. 36).Blé de Turquie, d'Inde ou d'Espagne, blé indien. Maïs Le blé indien, qui a plus que la taille d' un homme emplumé, présentant l' épi énorme et aigu.(Claudel, L'Échange,1reversion, 1894, p. 681).Blé-méteil. Mélange de froment et de seigle. Quant au méteil, il n'y faut pas penser (Du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853);(attesté de Ac. 1798 à Quillet 1965).Blé de la Saint Jean (vieilli). Seigle semé en juin (attesté de Lar. 19e, à Lar. 20e).Blé de Guinée. Sorgho (attesté dans Lar. 19e, Guérin 1892, DG, Rob.).Blé de vache. Mélampyre ou saponaire rouge (attesté de Ac. 1798 à Lar. 20e).Blé des Canaries. Alpiste (attesté de Lar. 19eà Quillet 1965). Rem. On appelle gén. blé ergoté le seigle ou le blé qui possède des épis contenant des grains noirs en forme d'ergot; c'est une maladie cryptogamique (cf. J. Rostand, La Genèse de la vie, 1943, p. 39). B.− Au fig. 1. Arg. Synon. argent.Avoir du blé en poche : 11. [Sylvestre à Clara]
− J'aide mon père... Le chiffon... la ferraille... et puis la fauche...
− Il est cultivateur? ... Il fauche quoi? (...)
− Où que t'as été élevée? Le blé, le trèfle, l'oseille ça veut dire le fric... l'argent.
P. Vialar, Clara et les méchants. Rem. Attesté dans Lar. encyclop., Quillet 1965 et dans dict. techn. A. Delvau, Dict. de la lang. verte, 1866. 2. Littér. et poét. − [P. réf. à l'idée de nourriture, de fécondité évoquée par le blé] Jeter le blé de quelque chose : 12. − Oh! voyez donc Paris dans cette pluie de soleil!...
− ... Le soleil ensemence Paris. Tenez! regardez de quel geste souverain il jette le blé de santé et de lumière, là-bas, jusqu'aux lointains faubourgs. Et même, c'est singulier, les quartiers riches, à l'ouest, sont comme noyés d'une brume roussâtre, tandis que le bon grain s'en va tomber, en poussière blonde, sur la rive gauche...
Zola, Paris,t. 2, 1898, p. 69. − [P. réf. au pain] Symbole eucharistique du corps du Christ : 13. C'est la fête du blé, c'est la fête du pain (...)
Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,
Fruit de la force humaine en tous lieux répartie,
Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins
La chair et le sang pour le calice et l'hostie!
Verlaine, Sagesse,1881, p. XXI. − [P. réf. au blé battu, écrasé après la moisson] :
14. Les justes ne peuvent craindre cela, mais les méchants ont raison de trembler. Dans l'immense grange de l'univers, le fléau implacable battra le blé humain jusqu'à ce que la paille soit séparée du grain. Il y aura plus de paille que de grain, plus d'appelés que d'élus, et ce malheur n'a pas été voulu par Dieu.
Camus, La Peste,1947, p. 1295. − Rare. [P. réf. à une certaine qualité de blé] :
15. « Tout cela, chevalier, tout cela je l'ai connu, je l'ai vu, je l'ai touché. Eh oui, mon amour était terrestre, impur; blé sauvage et lépreux et amer, ravagé par la nielle du dégoût et de la sénilité... Qu'importe! Le ver s'attaque aux plus pures choses. Quand l'adoration est là, brûlante et profonde, n'est-ce point peccadille que la pire aberration?... »
Milosz, L'Amoureuse initiation,1910, p. 147. Rem. On rencontre dans la docum. le subst. fém. blèrie. Halle, marché aux grains (cf. Marat, Les Pamphlets, Nouvelle dénonciation contre Necker, 1792, p. 171). Prononc. ET ORTH. : [ble]. Enq. : /ble/. Fér. Crit. t. 1 1787 : ,,on écrivait autrefois Bled et quelques uns l'écrivent encôre de même.``; cf. aussi Fér. 1768 : ,,C'est ainsi qu'on écrit ordinairement ce mot [blé] quoique l'étymologie exige qu'on écrive bléd.`` (cf. aussi Besch. 1845 et Lar. 19e: ,,blé autrefois bled``). Littré : ,,on a dit blée au féminin comme en italien``. Étymol. ET HIST. − 1. 1100 blet « céréale dont le grain sert à l'alimentation » (Roland, 980 dans T.-L.); 1160-74 blé (Wace, Rou, III, 5150, ibid.); 1231 blef (Ch. de Morv.-s.-Seille dans Gdf. Compl.); 1160 « champ de céréales » (Wace, Rou, II, 1026 dans T.-L.); d'où 1546, proverbe, manger son bled en herbe « dépenser d'avance son revenu » (Rabelais, Le Tiers Livre, éd. Marty-Laveaux, II, p. 21); 1160 « grain » (Benoit, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 578); 2. 1248, désigne une sorte de céréale, prob. le froment (Cart. Compiègne, 2, 349 d'apr. O. Jänicke, Die Bezeichnungen des Roggens in den romanischen Sprachen, Tübingen 1967, p. 134); 1690 (Fur. : On dit proverbialement, crier famine sur un tas de blé); 3. p. ext. se dit de graminées distinctes du froment, ici le seigle d'apr. Jänicke, op. cit., p. 134; 1530 (Bourgoing, Bat. Jud., II, 40 dans Gdf., s.v. fromenter).
De l'a.b.frq. *blād « produit de la terre » (REW3, no1160; FEW t. 151, p. 126; EWFS2) que l'on peut déduire du m.néerl. blat « récolte, produit de la récolte; jouissance d'un capital » (Verdam) et de l'ags. blēd, blǣd « produit, récolte », 1225 dans MED, ces mots remontant à la racine i.-e. *bhlē- « fleur, feuille, fleurir » (IEW t. 1, p. 122; v. aussi Falk-Torp, s.v. blad). Dans le domaine gallo-roman, le mot est attesté sous la forme du plur. collectif neutre blada, fin viies. (Formulae andecavenses, form. 22, cité par Jänicke, op. cit., p. 136) au sens de « récolte, produit de la vigne », même sens en 947, au sing. (Roussillon, ibid., p. 137); l'évolution sém. de bladum, du sens de « récolte » à celui de « céréale, blé » n'est pas encore très sûre au début du ixes. dans le Polyptyque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, éd. Longnon, II, p. 348 (in blado mittit operarios x.) où bladum est interprété « messis » par Aebischer (Les Dénominations des « céréales », du « blé » et du « froment » d'après les données du lat. médiéval dans Essais de philol. mod., Paris, 1953, p. 85) et « céréales, blé » par Jänicke (op. cit., p. 137); l'évolution de sens est relevée avec sûreté ca 1000 dans une charte de l'abbaye de Cluny (éd. Bruel, t. 5, 1894, p. 140 dans Aebischer, loc. cit., p. 85). Le mot gallo-roman est parvenu au sens de « céréales, blé » au xes. en Catalogne (967, Cartulaire roussillonnais, éd. Alart, 12, p. 26 dans Glossarium médiae latinitatis Cataloniae : bladum) et au xies., par les grandes routes alpines, en Italie du Nord, v. Aebischer, loc. cit., p. 91 et Jud dans Z. rom. Philol., t. 49, 1923, p. 410 (1028 à Gênes, 1054 à Milan, Aebischer, loc. cit., p. 91 : blava).
En a. fr., à côté des formes blet et blé, se rencontre la forme blef (originaire des dial. de l'Est, v. exemples localisés dans FEW, loc. cit., p. 137, note 71); de même à côté de blee « céréales, blé » (xiies. Aliscans dans T.-L.; du lat. blada, plur. collectif neutre, « céréales », 1183, Cart. Amiens, 1, 92 dans Jänicke, op. cit., p. 142) se rencontre la forme blave « grains, blé » (ca 1500 dans Gdf.); et à côté de l'a. fr. embläer « ensemencer » (1200-10 G. de Dole dans T.-L.), le verbe emblaver. Parallèlement, en ital., à côté du type de lat. médiév. bladum, blada de l'Italie centrale (1009, 1012, Farfa en Sabine d'apr. Jänicke, op. cit., p. 138; d'où l'ital. biada « fourrage, céréales, spécialement avoine », xiiies. dans Batt.), existe la variante lat. de l'Italie du Nord blava (Gênes 1028, supra; d'où l'ital. du Nord biava, blava, Jänicke, p. 141, frioulan blave, DEI). Ces formes en -v- (> -f) s'expliquent à partir de bladu, blada (coll.) devenus régulièrement *bla
δ
u, bla
δ
a puis avec développement de [v] bilabial par assimilation de [δ] avec le b précédent : *blavu, *blava (Fouché, p. 601).
Étant donné que les plus anc. formes rom. de type bladum supposent un étymon en -t- ou en -d-, les étymons celtique *blavos ou lat. flavus (Ulrich dans Z. rom. Philol., t. 29, p. 227; v. aussi ibid., t. 3, p. 260, note 1) ne peuvent convenir. Le part. passé substantivé ablatum du lat. auferre « emporter », avec phénomène de déglutination (DIEZ5, p. 50), se heurte à des difficultés chronol., ce verbe ayant trop tôt disparu au profit de portare pour que le maintien du part. passé soit à envisager. L'étymon celtique *mlato « farine », à rattacher à molitum, part. passé du lat. molere « moudre » (Jud dans Z. rom. Philol., t. 49, pp. 405-411) fait difficulté du point de vue sém., l'évolution de sens normalement attendue étant « céréale » > « farine » et non l'inverse. STAT. − Fréq. abs. littér. : 2 606. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 204, b) 3 310; xxes. : a) 4 657, b) 3 773. DÉR. Bléer, verbe trans.Ensemencer en blé. Synon. plus usité emblaver.Attesté de Ac. Compl. 1842 à Lar. 20e, dans les dict. gén. et dans Fén. 1970.− Seule transcr. dans Fér. 1768 et Land. 1834 : blé-é. − 1reattest. 1273 bleanz (Etabl. de S. Louis, II, iv, p. 335, Viollet dans Gdf., s.v. desbleer), 1300 bleer (Ord., XII, 347, ibid.) − fin xves. (ds Gdf., s.v. blaier), 1752 (Trév.); dér. de blé; dés. -er. BBG. − Aebischer (P.). Les Dénominations des « céréales », du blé et du froment d'après les données du lat. médiéval. Ét. de stratigraphie ling. In : Essais de Philol. mod. Paris, 1953, pp. 77-94. − Aebischer (P.). Matériaux tirés de chartes lat. médiévales d'Italie pour l'ét. du type blava. Z. rom. Philol. 1943, t. 63, pp. 392-403. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 83. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 33. − Jud (J.). Mots d'orig. gaul.? Romania. 1923, t. 49, pp. 405-411. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 91. − Sain. Sources t. 3 1972 [1930], p. 123. |