| BIFTECK, subst. masc. A.− Tranche de bœuf cuite sur le gril ou à la poêle. Bifteck aux pommes (de terre); bifteck (cuit) à point, saignant; bifteck (bien) tendre; faire griller un bifteck; attendrir un beefsteak : 1. − Ah! les potes, hein, la barbaque qu'on nous a balancée hier, tu parles d'une pierre à couteaux! Du bifteck de bœuf, ça? Du bifteck de bicyclette, oui, plutôt. J'ai dit aux gars : « Attention, vous autres! N'mâchez pas trop vite : vous vous casseriez les dominos; des fois que l'bouif aurait oublié de r'tirer tous les clous! »
Barbusse, Le Feu,1916, p. 26. − Beefsteack-pudding. ,,C'est, avec le plum-pudding, le plus anglais des poudings. Il se fait avec une pâte (...) dont on fonce un moule avant d'y disposer des lits d'escalopes de bœuf épaisses`` (Ac. Gastr. 1962). B.− P. ext. 1. Tranche de viande grillée ou cuite comme un bifteck. Bifteck de cheval, d'ours, d'hippopotame Nous mangeons à déjeuner un bifteck d' hippopotame, fort bon ma foi! (Gide, Le Retour du Tchad,1928, p. 905): 2. − Bah! répondit le rancunier harponneur, que diable voulez-vous qu'on mange ici? du foie de tortue, du filet de requin, du beefsteak de chien de mer!
Verne, Vingt mille lieues sous les mers,1870, p. 78. − P. anal., IMPR. Morceau de papier coupé. ,,En général, tout résidu de papier. En outre, les premières feuilles détachées d'une bobine de papier pour amorcer le déroulement (arracher le bifteack); c'est aussi les restes de papier sur le mandrin de la bobine. Enfin c'est le mot qui désigne chez les revendeurs le papier acheté pour des prospectus ou de menus travaux, papier qui provient de ces résidus (acheter des bifteacks)`` (Chautard 1937, pp. 54-55) : 3. Les petites feuilles locales le recevaient [le papier journal] des récupérateurs qui débitaient en rames les biftecks et les fins de bobines et les leur vendaient à un prix avantageux.
G. et H. Coston, L'A.B.C. du journ.,1952, p. 186. 2. Arg. Bifteck à la chamareuse, bifteck de grisette. ,,Saucisse plate, nourriture ordinaire des chamareuses (petites ouvrières)`` (France 1907). Bifteck à Ma(c)quart ,,Rosse, vieux cheval bon à être abattu`` (G. Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg., 1896, p. 35), ,,sale individu (...) c'est un équivalent de charogne`` (L. Larchey, Dict. hist. d'arg., 2eSuppl., 1883, p. 16). Faire du bifteck. ,,Frapper. Allusion à la viande frappée par le cuisinier pour la rendre moins dure`` (Larch. Suppl. 1880, p. 14), ,,monter sur un cheval qui trotte dur, c'est-à-dire qui fatigue le postérieur de son cavalier`` (L. Larch. Suppl., 1880, p. 14). Manger son beefsteak. ,,Se taire, dans l'argot des faubouriens`` (A. Delvau, Dict. de la lang. verte, 1866, p. 238). Ramasser un beefsteak. ,,Choir`` (Esn. 1966). 3. Pop., p. plaisant. Chair humaine; partie charnue du corps humain : 4. Il se montra dans le quartier, exhibant sa capote trouée, exigeant qu'on tâtât sa fesse : « dites, vous sentez, l'beafteck en moins? ».
Benjamin, Gaspard,1915, p. 124. C.− Au fig., pop. Nourriture; repas; gagne-pain; intérêts. Gagner, défendre son bifteck; la course au bifteck; le beefsteack quotidien : 5. [Ces Russes émigrés devenus chauffeurs à Paris,] se mirent à dévorer l'espace et le bifteck des autres.
A. Simonin, J. Bazin, Voilà taxi!1935, p. 100. 6. Informé, et comment! de cette passion, Barrams, qui ne songeait qu'à défendre son beefsteak, jetait de toutes parts des regards courroucés et charbonneux, ...
Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 53. − P. méton., arg. a) L'heure du repas. Il est beefsteak! c'est l'heure d'aller becqueter (G. Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg.,1896, p. 32): 7. Hé! M'sieu Virelain, v'là le bifteck moins le quart, l'apéro moins cinq.
A. Arnoux, Pour solde de tout compte,1958. p. 19. b) ,,Nom donné par le souteneur à la femme qui le fait vivre`` (J. Lacassagne, L'Arg. du « milieu », préf. de F. Carco, 1928, p. 22; Ch.-L. Carabelli, [Lang. de la pègre]). Bifteck à corbeau. ,,Vieille prostituée`` (France 1907). PRONONC. ET ORTH. : [biftεk]. L'orth. angl. beefsteak est admise comme var. dans Besch. 1845, Lar. 19e, Littré, Guérin 1892, Nouv. Lar. ill., DG, Ac. 1932, Rob., Quillet 1965. Parmi les nombreuses graph. qui s'écartent de l'orth angl., la plus fréq., bifteck, s'impose comme la forme « française ». Le consonantisme de la forme angl. [b-fst-k] est gén. simplifié par l'élision ou de -s- ou, plus rarement, de -f- (bisteck dans Dabit, L'Hôtel du Nord, 1929, p. 152). Les var., graphisme par graphisme, sont les suiv. (les graph. francisantes [phonét.] sont en it.) : voyelle de beef- : ea, e, i; voyelle de -steak : ee, a, e (beefsteck dans S. de Beauvoir, Les Mandarins, 1954, p. 87; bifteck; biftec dans Toulet, Les Demoiselles de la montagne, 1920, p. 28), è (biftèque dans Aymé, Le Bœuf clandestin, 1939, p. 7, 33, 36; R. Queneau, Zazie dans le métro, 1959, p. 176); consonne finale : ck, c, que. Bien que non fr., la graph. ck est également significative : elle constitue une marque outrée, volontiers dépréciative, du caractère étranger du mot en cause (v. p. ex. graph. bolchevick* de bolchevique). Une orth. biftek est également concevable. Le choix reste difficile en l'absence de normes orthographiques pour les emprunts. ÉTYMOL. ET HIST. − 1735 Beeft Steks, à l'Angloise (Le cuisinier moderne qui apprend à donner toutes sortes de repas, La Haye, t. 3, chap. 10, p. 196); 1786 beef-stake cont. anglo-amér. (Chastellux, Voy. dans l'Amér., sept., I, 78 dans Bonn.); 1805 biffteck (Trad. Souvenirs de Paris, A. Kotzebue, Paris, Chaignieau, t. 1, p. 267); 1807 bifteck (Viard, Cuisinier Impérial, p. 97 dans Bonn.).
Empr. à l'angl. beef-steak (FEW t. 18, p. 21) attesté dep. 1711 (Addison dans NED) et composé de beef « viande de bœuf » (d'où le fr. bif « bœuf », 1660 et (rôt de) bif, 1698 dans Mack. t. 1, p. 78) emprunté à l'a.fr. boef, buef, v. bœuf; et de steak « tranche ». STAT. − Fréq. abs. littér. : 121. BBG. − Behrens Engl. 1927, p. 174. − Bonn. 1920, p. 9. − Capelovici (J.). Beefsteak ou biftec. Vie Lang. 1960, no104, pp. 579-582. − Darm. 1877, p. 253. − Duch. 1967, § 40, 70. − Pohl (J.). Contribution à l'hist. de qq. mots. Arch. St. n. Spr. 1969, t. 205, p. 361. − Quem. 2es. t. 3 1972, p. 23. − Tardel (H.). Das Englische Fremdwort in der modernen französischen Sprache. In : Festschrift 45. Versammlung deutscher Philologen und Schulmänner. Bremen, 1899, p. 380. |