| BERCER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− [L'agent et le compl. d'obj. désignent une pers.] 1. Imprimer un mouvement de balancement léger et régulier au berceau d'un enfant que l'on veut calmer ou endormir. Bercer un enfant, un nouveau-né; bercer doucement, mollement. Synon. agiter, balancer : 1. Ma fille, va prier! − D'abord, surtout pour celle
Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle,
...
Hugo, Les Feuilles d'automne,1831, p. 792. Rem. Attesté dans les dict. gén. à partir de Ac. 1835. 2. P. méton. Bercer un enfant dans ses bras : 2. Ses épaules allaient et venaient dans un balancement ininterrompu, triste et monotone, comme si elle berçait un enfant...
G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 319. − Proverbe, vieilli. [En parlant de qqn] Le diable le berce. Il est inquiet, agité. Rem. Attesté dans les dict. gén. d'Ac. 1835 à Nouv. Lar. ill. − P. ext. [L'obj. désigne un adulte] :
3. − Maria...
C'est la première fois que j'ose la nommer ainsi. Mais c'est aussi la première fois que je la tiens serrée contre moi, et qu'il fait nuit autour de nous deux... Et puis, cette voix nerveuse, cette main qui tremble, ces yeux baissés que je ne parviens pas à voir... J'ai trop pitié d'elle! Je voudrais soudain l'étreindre, la porter, la bercer, l'endormir, pour qu'elle oublie tout, et calmer contre ma poitrine ce pauvre cœur que j'entends battre.
Farrère, L'Homme qui assassina,1907, p. 286. 3. P. métaph. [Le mouvement est imprimé par ou à un animal, un élément de la nature, etc.] :
4. Elles égrènent le rosaire ou nattent leurs cheveux, les brunes Andalouses nonchalamment bercées au pas de leurs mules; quelques-uns des arrieros chantent le cantique des pèlerins de Saint-Jacques, répété par les cent cavernes de la sierra, les autres tirent des coups de carabine contre le soleil.
Bertrand, Gaspard de la nuit,1841, p. 167. 5. Franz s'assit à l'endroit où la veille on était venu l'inviter à souper de la part de cet hôte mystérieux, et il aperçut encore, comme une mouette bercée au sommet d'une vague, le petit yacht qui continuait de s'avancer vers la Corse.
A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 416. 6. ... il [le dormeur du val] est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Rimbaud, Poésies,Le Dormeur du val, 1871, p. 76. − P. ext. [Agent et/ou obj. désignent des inanimés] :
7. ... un tendre dialogue s'établit, ponctué par les syncopes lentes qui bercent toute la pièce, pour se résoudre en une mesure d'expressive effusion. [Chabrier, Mélancolie].
A. Cortot, La Mus. fr. de piano,1930, p. 195. 4. GRAV. Utiliser l'instrument appelé berceau (cf. berceau II B 2). Bercer une planche. La travailler au berceau. Rem. Attesté dans la plupart des dict. gén. sauf Ac. et Rob. B.− Au fig. 1. Vieilli. [L'accent est mis sur la répétition régulière et entretenue du balancement du berceau] a) [Ce qui est affecté est une pers. ou un aspect de la pers.] − Emploi actif : 8. ... la fortune commença avec Félicien, qui put réaliser un rêve dont son grand-père, l'ancien régisseur, avait bercé son enfance : l'achat de la Piolaine démembrée, qu'il eut comme bien national, pour une somme dérisoire.
Zola, Germinal,1885, p. 1198. − [Le plus souvent au passif] Être bercé dès l'enfance de récits, de paroles. En être nourri, imprégné : 9. Les serviteurs du comte, la plupart vieux chouans nourris et bercés des chevaleresques traditions des Armoricains leurs aïeux, n'auraient osé défendre à leur jeune maître cette rencontre, l'épée à la main, qu'il allait avoir.
Ponson du Terrail, Rocambole,t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 504. b) [Ce qui est affecté est une chose] Entretenir un sentiment, développer une idée. Bercer une idée, une passion, un espoir, des illusions. Synon. fam. remâcher, ressasser : 10. Il [Zola] fait du réalisme à outrance; prenant un défaut, un vice quelconque, il s'en empare, il le nourrit, il le dorlote, il le berce, il lui donne un développement anormal...
F. Oswald, Le Gaulois,[À propos de Zola], 13 juill. 1873. 11. Petite Musyne, au piano, nous ravissait de classiques, rien que des classiques, à cause des convenances de ces temps douloureux. Nous demeurions là, des après-midi, coude à coude, le commissaire au milieu, à bercer ensemble nos secrets, nos craintes, et nos espoirs.
Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 98. 2. [L'accent étant mis sur l'effet ou l'impression d'engourdissement du corps et de l'esprit provoqué par le mouvement oscillant du berceau] a) [Le suj. désigne une pers. ou une manifestation de la vie pers.; l'obj. désigne un inanimé concr. ou abstr.] Atténuer la vivacité d'un sentiment par un agent qui lui est extérieur : musique, paroles, etc. Bercer une peine, la douleur, l'ennui. Synon. adoucir, apaiser; anton. attiser, raviver : 12. Pauline, comme si son cœur se fût réglé sur ce mouvement d'horloge, retrouvait son grand calme. Ses souffrances s'engourdissaient, bercées par les jours réguliers, promenées dans des occupations qui revenaient toujours les mêmes.
Zola, La Joie de vivre,1884, p. 1046. b) [Le suj. désigne une sensation, une impression, un mouvement de cœur, etc.; l'obj. désigne une pers. ou un aspect de la vie pers.] Produire un sentiment de calme, d'apaisement chez un enfant, une personne. Un air, le bruit de l'eau, une voix, une rêverie berce qqn. Synon. apaiser, calmer, endormir; anton. exciter : 13. Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l'esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre chaude.
Baudelaire, Petits poèmes en prose,1867, p. 25. SYNT. littér. et poét. La mélancolie, la monotonie, un murmure berce; se laisser bercer par, être bercé par. − Emploi abs. : 14. Mais, si petite que soit la consolation, elle berce.
R. Bazin, Le Blé qui lève,1907, p. 126. 3. Péj. Tromper. a) Rare. Bercer qqc. : 15. Mais pensez-vous qu'à tout jamais
Ç'en serait fini des gourmets;
Quand ils admettraient même,
Pour bercer un instant leur faim,
En guise de viande et de pain,
Ces « courants » de carême?
Ponchon, La Muse au cabaret,Nourriture électrique, 1920, p. 139. b) Usuel. Bercer qqn de qqc.Se jouer de quelqu'un, en l'entretenant dans de fausses espérances ou des promesses illusoires. Bercer qqn d'illusions, d'espérances, de promesses. Synon. abuser, duper, leurrer, illusionner; anton. désabuser, détromper : 16. − Ah! ma mère! s'écria le jeune homme avec amertume, pourquoi m'avoir trompé? pourquoi m'avoir bercé d'un fol et vain espoir? pourquoi m'avoir nourri, dès l'âge le plus tendre, de rêves insensés?
Sandeau, Mllede la Seiglière,1848, p. 41. − Rare. Bercer qqn avec qqc. : 17. ... trois vieilles femmes de la rue Saint-François et de la Vieille-Rue-du-Temple étaient donc venues s'établir dans le salon où madame Crochard les recevait tous les mardis. À tour de rôle, l'une d'elles quittait son fauteuil pour aller (...) lui donner de ces faux espoirs avec lesquels on berce les mourants.
Balzac, Une Double famille,1830, p. 57. − Emploi abs. (p. ell. du compl. prép.), arg. et fam. Bercer qqn. Le tromper, le duper. N'essayez pas de me bercer (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 135): 18. Mais vous dites que vous aimez ces eaux dormantes.
amalric. − Je les aime. J'aime sentir qu'on fait son trou dedans.
Et je déteste d'être ainsi manié, berné, bercé, brossé, crossé, culbuté,
Comme là-haut, près de la Crète, oh la la! par ce fou de vent dont on ne sait ni qui ni pourquoi.
Claudel, Partage de midi,1reversion, 1906, I, p. 994. II.− Emploi pronom. A.− Emploi pronom. réciproque, rare, toujours au fig. Pendant des heures ils [Jeanne et Henri] se berçaient de quelques paroles dites de loin en loin (Zola, Une Page d'amour,1878, p. 941). B.− Emploi pronom. réfl. 1. [En parlant d'une pers. ou par pers., d'un inanimé concr., d'un animal] Se balancer, osciller. Se bercer dans un hamac, sur une balançoire : 19. ... mais j'aperçus, en arrivant à la hauteur du port, le bâtiment tout appareillé qui se berçait majestueusement sur sa quille, et qui donnait ses derniers signaux de départ, avec une assurance si nouvelle, même pour les fameux mariniers de Greenock, qu'elle partagea un instant l'attention entre l'infortuné qui allait mourir et le vaisseau qui allait voguer.
Nodier, La Fée aux miettes,1831, p. 137. − P. anal., MAN. [En parlant d'un cheval] Marcher en se balançant latéralement. Rem. Attesté dans les dict. gén. dep. Ac. Compl. 1842. ♦ P. ext., fam., iron. [En parlant de qqn, d'un animal] Synon. se dandiner, se déhancher : 20. Michka, replié en demi-cercle, les oreilles en auvent, semblait vouloir, avant de regagner ses falourdes, élucider le motif de cette rebuffade. Enfin il bâilla et, résigné, s'en retourna, en se berçant paresseusement sur ses reins hauts et minces.
Châteaubriant, M. des Lourdines,1911, p. 199. Rem. Attesté dans les dict. gén. depuis Lar. 19e. 2. Au fig. a) Se bercer au bruit de qqc. : 21. ... les entrelacements de rondes heureuses, parmi les affirmations triomphales et saccadées, l'enivrement de ces trilles délicieux, où le cœur se berce et s'endort, entre deux réveils de vigueur torrentielle, la superbe allégresse de cette reprise de possession du moi qui est un monde, ...
R. Rolland, Beethoven,t. 1, 1928, p. 245. b) Se bercer de qqc. [Le compl. prép. est toujours un inanimé concr. ou abstr.] Entretenir un souvenir, une idée chère, agréable, etc. − [Sans idée d'illusion] :
22. Jusqu'au jour où j'ai pu goûter sans alarmes les douceurs de la vie de famille, je me suis bercée de l'espoir de posséder dans quelque endroit ignoré une maison, fût-ce une ruine ou une chaumière, où je pourrais de temps en temps disparaître et travailler sans être distraite par le son de la voix humaine.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 389. 23. Il dit cela faiblement, sans grande conviction. Pourtant c'est une parole contre laquelle il n'y a rien à répondre. On la répète doucement, on s'en berce comme d'une vieille chanson.
Barbusse, Le Feu,1916, p. 99. − [Avec une idée d'illusion trompeuse] :
24. Je ne me berce plus d'illusions sur l'avenir que tu nous réserves! Nous avons, hélas, éprouvé à maintes reprises différentes toute l'âpreté, la vilenie de tes instincts, ton égoïsme effarant...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 316. Rem. On rencontre dans la docum. le verbe trans. berçotter, fréquentatif de bercer. [Le bidet] raccourcissait le pas comme pour mieux berçotter son maître (J. Richepin, La Glu, 1881, p. 208). Attesté dans Guérin 1892. PRONONC. ET ORTH. : [bε
ʀse], (je) berce [bε
ʀs]. Enq. : /beʀs/ (il) berce. ,,Placer et les verbes en cer prennent une cédille sous le c devant a et o`` (Ortho-vert 1966). ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1220 bercier (G. de Coincy, Mir. Vierge, 17 dans T.-L.); 2. 1537 être bersé de « bien connaître, être imprégné de » (Des Périers, Cymbalum, Dial. 4-I, 378 − dans Hug. : − Aussi bien te veulx je apprendre plusieurs belles fables que j'ay oy racompter autrefois [...] − Tu m'en bailles bien! Je suis tout bersé de telles matières); 1611 « amuser d'illusions » (Cotgr. : Il l'a si longuement bersé qu'il l'a endormy en son opinion); 1666 « apaiser, calmer » (Molière, Le Misanthrope, I, 2 : L'espoir, il est vrai nous soulage, Et nous berce un temps notre ennui); 1667 se bercer de chimères (Boileau, Satire, 8, 56); 3. 1751 man. (Encyclop. t. 2).
Dér. de l'a. fr. bers (ber*, berceau*); dés. -er. STAT. − Fréq. abs. littér. : 1 371. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 037, b) 2 540; xxes. : a) 2 225, b) 1 399. BBG. − Barb. Misc. 1 1925-28, p. 18. − Thurneysen (R.). Keltoromanisches. Die keltischen Etymologien im Etymologischen Wörterbuch der romanischen Sprachen von F. Diez. Halle, 1884, p. 90. |